ENTRETIEN. "L'extinction de Néandertal pourrait se rapporter à notre propre future extinction", pour l'archéologue Ludovic Slimak

Il y a quelques semaines, le chercheur en archéologie de Toulouse (Haute-Garonne) Ludovic Slimak publiait le compte rendu de ses recherches et celles de ses équipes. À la clé, une remise en question de 12.000 ans de l'arrivée en Europe de l'homme moderne, Homo sapiens, et un nouveau regard sur l'extinction de Néandertal.

Dans son livre "Le dernier Néandertalien", Ludovic Slimak, paléoanthropologue toulousain, publie les résultats de ses recherches. Elles remettent en question l'apparition de l'homme moderne sur le Vieux continent, et donc le scénario de l'extinction de Néandertal.

D'après lui, l'étape que nous pensions actuellement être la première vague de colonisation d'Homo Sapiens sur le sol européen (il y a 42.000 ans) serait en fait la dernière. Il y aurait en réalité eu des peuplements bien antérieurs. Deux vagues l'auraient précédée, la première 12.000 ans plus tôt, soit il y a 54.000 ans. 

Pour arriver à ces conclusions, le chercheur et ses équipes se sont notamment basés sur des échantillons de silex, retrouvés dans une grotte de la vallée du Rhône. Explications avec Ludovic Slimak lui-même.

France 3 Occitanie : Cet assortiment de silex, c'est le cœur de votre étude ? 

Ludovic Slimak : Oui, c'est une collection de la grotte du Mandrin, dans la vallée du Rhône. Ces silex, avec les équipes d'Oxford, nous les avons estimés à 54.000 ans avant notre ère. Et dans leur conception, ils ont exactement la même technologie que des silex retrouvés à l'Est de la Méditerranée, d'origine Homo sapiens. C'est ce que j'ai appelé la technologie du Néronien

Ces silex du Rhône nous permettent de savoir qu'Homo sapiens était présent en Europe dès 54.000 avant J.C, soit 12.000 ans plus tôt que ce que l'on pensait.

France 3 Occitanie : Qu'est-ce que ces silex ont de particulier ?

Ludovic Slimak : Ils sont remarquables dans leur conception. On en a retrouvé environ 1.500, tous produits en série. Ils sont extraordinairement standardisés. 

Avec des silex de ce type, mis au bout d'une flèche, on pouvait transpercer une chèvre de part en part sans soucis. 

Une pointe de silex, ça se lit comme un livre. Ça nous raconte bien plus que l'objet, ça nous détaille toutes les phases de production artisanale qui ont permis d'aboutir à cette technologie. 

France 3 Occitanie : C'est l'objet le plus précieux de vos recherches ? 

Ludovic Slimak : L'idéal, c'est lorsque l'on retrouve des dents. Mais par exemple dans la grotte du Mandrin, on en a retrouvé 9 en 30 ans. Rendez-vous compte. Ces dents donnent un enregistrement très précis de l'Histoire, de 120.000 ans avant notre ère, jusqu'à l'extinction de Néandertal. 

France 3 Occitanie : Néandertal justement, c'est votre sujet de prédilection. 

Ludovic Slimak : Oui, j'ai écrit deux livres sur le sujet. "Néandertal Nu" (Éditions Odile Jacob, 2022), et "Le dernier Néandertalien" (2023). En 2015, avec mes équipes, nous avons découvert un corps de Néandertal dans la grotte du Mandrin. Le premier en France depuis 1979. Depuis, on a fouillé grain par grain à la pince à épiler. Il nous reste encore 15 ou 20 ans de travail pour percer les mystères de cette découverte remarquable. . 

France 3 Occitanie : Pourquoi dédier votre vie à l'étude de Néandertal ?

Ludovic Slimak : Depuis tout petit, je suis passionné d'archéologie. Et ce moment de contact entre les populations Néandertal et Homo sapiens, c'est la grande phase de l'histoire de l'humanité.

La fin de Néandertal, ce moment précis, est la dernière grande extinction de l'humanité. Dans notre étude, nous l'estimons à 42.000 ans avant notre ère, lors d'une troisième vague de colonisation d'Homo sapiens. 

La question qu'on se pose alors, c'est comment une humanité si développée, si créative, a pu s'éteindre subitement sans qu'on n'en comprenne la cause. C'est un événement majeur de notre Histoire. 

C'est pour ça que depuis 30 ans, je me suis investi, à aller gratter dans les cavernes, à traquer la "Créature" Néandertal.

Car pour moi, c'est une créature. Je ne l'appelle pas "humain", sinon je ne serais plus capable de me détacher de lui, et d'affirmer qu'il n'était pas vraiment comme nous. On le voit dans son artisanat, Néandertal n'a pas la même structure mentale que nous.

France 3 Occitanie : Vous êtes en admiration devant Néandertal ? 

Ludovic Slimak : Je peux vous garantir qu'ils sont fascinants. Mais je ne suis pas en admiration. Je cherche à les comprendre, comme un objet d'étude. Ils ont tellement à nous enseigner sur nos propres sociétés. C'est donc de la passion plus que de l'admiration. Qui sait, peut-être qu'ils étaient de sales types ! (rires). 

France 3 Occitanie : Est-ce que vous pourrez un jour répondre à la question "comment s'est éteint Néandertal ?"

Ludovic Slimak : Je touche la réponse du doigt. Dans mon livre (Le dernier Néandertalien, Éditions Odile Jacob, mai 2023), j'en suis arrivé à un schéma d'extinction assez inattendu, où j'ai ouvert les portes de ma pensée. Alors, je ne vais pas vous divulgâcher le contenu du livre, mais cette extinction de Néandertal pourrait très bien se rapporter à notre propre future extinction. 

France 3 Occitanie : C'est-à-dire ?

Ludovic Slimak :  Quand on pense à l'extinction de l'humanité, on pense "bim bam boum", une épidémie, une météorite, un grand bouleversement climatique. Mais ce sont des imaginaires tirés de la structure de pensée de nos sociétés Sapiens. La structure mentale, et donc l'imaginaire, de Néandertal est différente, et c'est peut-être dans cette direction qu'il faudrait creuser pour dessiner cette future extinction de l'Homme.

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