Un Toulousain de 61 ans en pleine santé subit une ablation de deux lobes pulmonaires en 2018 suite à une erreur médicale. Depuis il ne parvient pas à obtenir justice.
"J’ai été mutilé. Pour rien ! On m'a opéré en 2018 d'un adénocarcinome pulmonaire, autrement dit un cancer du poumon sur la base d'une analyse qui n'était pas la mienne. Ma colère ne retombera pas. Elle ne peut pas retomber", réagit Paul* lorsqu'il évoque, 4 ans après, l'intervention chirurgicale qu'il a subie.
En 2018, ce fumeur de 61 ans est victime d'une infection pulmonaire. La radio met en évidence une tâche sombre. Une biopsie est pratiquée dans la foulée qui révèle un cancer du poumon. Les médecins préconisent une intervention chirurgicale. Paul veut s'en sortir, il accepte et se fait opérer le 12 mars 2018 à la clinique des Cèdres à Cornebarrieu.
"Le chirurgien m'annonce que je n'ai pas de cancer"
" En avril, le chirurgien m'annonce que je n'ai pas de cancer", poursuit ce père de trois enfants qui a aussi un petit-fils. Il se dit abasourdi par la nouvelle. " Le médecin n'était pas à l'aise forcément, même si lui n'y est pour rien. Mais le fait est là : on m'a enlevé deux lobes au poumon alors que je n'avais aucune pathologie. Après c'est l'abandon total. Je me retrouve seul. On me dit "Au revoir Monsieur" et je me retrouve abandonné par la médecine avec une question : pourquoi est-ce qu'on m'a enlevé un poumon ?".
Paul était très sportif. Aujourd'hui, il n'arrive plus à monter une volée d'escaliers sans faire d'arrêt, tant le souffle lui manque. "Je suis d'une famille de gens qui vivent très vieux. On m'a mutilé, on a raccourci ma vie. Je ne l'accepte pas !".
La biopsie d'une inconnue
Atterré, révolté, Paul saisit l'ONIAM (Office national d’indemnisation des accidents médicaux). En mars 2019, il se soumet à trois expertises médicales. Elles révèlent que la biopsie sur laquelle se sont fondé les médecins pour opérer n'est pas la sienne. L'ADN provient d'un autre corps, celui d'une femme.
C'est un laboratoire de Montauban l'AMAPATH qui a réalisé l'analyse. Paul est persuadé que l'erreur vient de là. Pour lui les prélèvements ont été inversés. "Je ne comprends pas comment ils peuvent encore exercer leur métier. J'ai alerté l'ARS (Agence régionale de santé) mais il ne s'est rien passé. Or l'essence de la profession d'un laboratoire, c'est la traçabilité ! S'il n'y a plus ça, tout est possible, on peut faire n'importe quoi. Et c'est ça qui m'est arrivé !" dénonce-t-il. Pendant des mois, des années, il se sent victime d'une injustice criante. Ce d'autant que personne ne réagit.
La justice aux abonnés absents
Face à ce silence assourdissant, Paul porte plainte contre X pour "blessures involontaires" auprès du parquet de Montauban le 30 juillet 2021. Mais là encore, rien ne se passe. " La plainte a été classée sans suite dix jours après que nous l'ayons déposée sans aucune investigation, relate son avocat Laurent de Caunes. Nous avons saisi le procureur et un juge d'instruction devrait être désigné. L'enjeu, c'est qu'il y ait des investigations et qu'on comprenne comment une telle inversion a pu avoir lieu".
"Ce qui étonne mon client au sens littéral du terme et l'indigne profondément, c'est la désinvolture manifestée par les responsables éventuels, mais aussi par le parquet face à cette affaire. Le dépôt de plainte a été classé sans suite pour absence d'infraction. Or il y a une question pénale qui se pose et il faut la traiter. La réponse à cette question pénale passe par une enquête. C'est important pour mon client mais aussi pour la sécurité globale des patients. C'est une question de sécurité publique".
Aucune explication
Paul et son avocat manifestent notamment une inquiétude extrême pour la femme dont les analyses ont circulé en son nom : "elle souffre d'un cancer et n'a pas su en temps immédiat qu'elle avait une maladie grave" déplorent-ils. "Elle est peut-être dans la nature sans aucune conscience des dangers qu'elle encourt du fait de sa maladie", ajoute Paul.
Un fait que dénie le laboratoire AMAPATH de Montauban qui a procédé à l'analyse des cellules prélevées sur le poumon de Paul. Le médecin signataire des analyses de Paul est en congés, mais l'un de ses collègues, le Dr Vincent Laborie, a accepté de répondre à nos questions. " On a su qu'il y avait une affaire au civil mais je ne savais pas qu'une plainte avait été déposée. On a des éléments pour penser que l'erreur ne vient pas de nous. C'est la hantise de tous les labos et on fait tout pour qu'elle ne se produise pas. Sur le fond de l'affaire, on n'a aucune explication".
"J'irai jusqu'au bout !'"
Le Dr Laborie explique que des recherches ont été menées au labo en interne dès que la nouvelle du résultat de l'opération de leur client leur a été communiquée. "On s'est bien sûr préoccupé de ce qui aurait pu arriver à la personne à qui appartenait le prélèvement. On a recherché les analyses des femmes qui avaient fait l'objet d'une biopsie 10 jours avant et 10 jours après celle de ce patient. On a trouvé deux ou trois femmes mais toutes avaient eu un cancer de diagnostiqué. On a cherché tout de suite mais on a aucune explication".
Paul intente deux procédures conjointement : l'une au pénal et l'autre au civil pour bénéficier d'une indemnisation. "Ils vont me faire un chèque mais je veux que justice soit faite et que l'omerta de la médecine soit brisée. Je suis victime d'une injustice, d'une erreur médicale qui a abouti à une mutilation et tout le monde s'en fout ! Je veux savoir ce qui s'est passé pour moi, pour les autres patients. J'irai jusqu'au bout !". Une nouvelle et énième expertise est prévue fin août pour évaluer le préjudice subi par Paul.
* le plaignant a préféré un prénom d'emprunt