"Naturellement, ça inquiète le ministre de la Justice que je suis, comme ça inquiète l'ensemble de nos compatriotes", a déclaré Eric Dupond-Moretti à propos de ces 3 évasions de patients jugés dangereux. Entre protection des citoyens et liberté des malades, le débat pourrait devenir politique.
Les 3 hommes qui ont réussi à s'extraire des unités psychiatriques toulousaines sont des hommes dangereux. Il n'y a pas de doutes là-dessus. Se pose alors une question légitime : comment assurer la protection des citoyens sans céder au populisme réactionnaire qui voudrait enfermer ces malades dans un asile?
Eric Dupond-Moretti se dit "inquiet"
Cette troisième évasion en quelques jours a fait réagir le garde des sceaux en visite à Perpignan au micro de France Bleu. "Naturellement, ça inquiète le ministre de la Justice que je suis, comme ça inquiète l'ensemble de nos compatriotes. Je déplore cette situation, comme tout le monde, mais que voulez-vous que je vous dise ? Il conviendra de tirer un certain nombre de mesures de ces évasions. Quand il s'agit d'un irresponsable pénal, il quitte le périmètre de la justice pour entrer dans le périmètre de la médecine et de la psychiatrie. Mais il y a un certain nombre de défaillances. À l'évidence, je pense que le ministre de la Santé a pris la mesure de ces questions. J'ai échangé avec lui et je pense qu'on va regarder ça de façon très, très précise".
Cette "loi des séries" comme la qualifie aussi le ministre risque de raviver le débat sur l'irresponsabilité pénale de ces patients qui échappent à la justice. Certains organismes, comme le syndicat Sud de l'hôpital Marchant, se sont émus d'un possible retour de la bien-pensance réactionnaire qui voudrait que les patients atteints de trouble psychiques restent à l’asile.
Santé ou justice, l'enfermement vu différemment
Si le garde des sceaux s'est exprimé, celui de la Santé ne l'a pas encore fait. Pour Monique Iborra, députée LREM de Haute-Garonne, "à partir du moment où les gens sont déclarés irresponsables, ils deviennent des personnes qu’il faut soigner. Le problème de l’enfermement a toujours été posé en termes différents selon la justice ou la santé. Pour un psychiatre, on parle de fugue et non d'évasion. Mais au-delà des mots, on doit assurer la sécurité du citoyen."
La députée assure être en contact avec l'ARS pour que lumière soit faite sur ces 3 évasions et demande des comptes. "Il ne s'agit pas de désigner des responsables. Ce sujet doit être traité avec beaucoup d’humanité. Bien sûr que les populistes peuvent s'emparer du débat et trouver des solutions trop faciles. Sans tomber dans cet excès, on ne peut pas accepter ce qui s'est passé. Les psys doivent s'exprimer, les gens qui sont responsables des conditions d'hospitalisation doivent expliquer aux citoyens comment ça se passe. On a besoin d'avoir des réponses."
30 ans de retard et de manque de moyens pour la psychiatrie
Il est demandé à la psychiatrie d’endiguer les débordements de la folie, tout en se portant garant des libertés fondamentales des malades qu’elle accueille. L'exercice est plus que compliqué, encore plus dans un contexte de manque de moyens.
Pour Vincent Bounes, médecin et vice-président de la région Occitanie, c'est bien là le problème. "Le champ de la santé mentale est le grand oublié des politiques de santé. Ce n'est pas une surprise qu'il y ait tous ces problèmes. Il n'y a pas assez de psy, comme il n'y a pas assez de juges. Il faut d’abord faire un grand plan santé mentale axé sur la prévention. Nous avons 30 ans de retard."
Sur la problématique même des patients dangereux atteints de troubles psychiatriques, "il y a un cadre légal avec l'expertise de plusieurs médecins et l'avis d’un juge pour les hospitalisations d’office. Les réévaluations sont obligatoires, tout est très règlementé. Mais ce n'est ni blanc, ni noir. Il existe une zone grise très compliquée entre justice et santé. La privation de liberté peut entraîner des troubles graves. Il ne faut pas oublier que plusieurs de ces patients guérissent, fort heureusement."
Une stigmatisation de la maladie mentale peut conduire à limiter les soins psychiatriques à une neutralisation par l’enfermement.
Si la loi des séries devait se confirmer, le politique pourrait s'emparer du dossier comme l'avait fait le président Nicolas Sarkozy en décembre 2008. Un schizophrène s’était échappé de l’hôpital où il était soigné. Il avait tué un étudiant de 26 ans à Grenoble. Ses propos avaient fait polémique sans rien changer pour autant.