La polémique enfle après les fugues, en cinq jours, de deux patients de l'hôpital psychiatrique Marchant à Toulouse (Haute-Garonne). La question de la prise en charge de ces deux meurtriers, reconnus irresponsables pénalement, refait débat. Avec une question récurrente : comment concilier droits du patient et sécurité ?
Des fugues, "il y en a toutes les semaines" reconnaît un employé de l'hôpital Marchant à Toulouse (Haute-Garonne). Celle de Jérémy Rimbaud, connu comme le "cannibale des Pyrénées", puis quatre jours plus tard, celle d'un autre patient de l'établissement psychiatrique, âgé de 47 ans, ont malgré tout suscité l'émoi. Car l'un comme l'autre ont été reconnus irresponsables pénalement de deux meurtres.
Un fait divers "tragique certes"...
Si le second a été rapidement retrouvé après sa fuite, sans être à l'origine du moindre problème, Jérémy Rimbaud, un ancien militaire interné pour avoir tué et mangé le cœur d'un agriculteur de 90 ans aura eu le temps de violemment agresser une femme.
Un fait divers, "tragique certes" pour le syndicat Sud Santé sociaux de l'établissement psychiatrique, mais "qui ne doit pas questionner notre choix de société démocratique." L'organisation de salariés juge les articles parus, suite à ces fugues, comme "plus que douteux visant à stigmatiser les usagers des soins psychiques."
La manière dont une partie de la presse tend à mettre en lumière les événements de ses derniers jours nous fait craindre une remise au goût du jour d’une vieille idée réactionnaire issue des heures les plus sombres de notre histoire qui voudrait que les patients atteints de trouble psychiques restent à l’asile.
Syndicat Sud de l'hôpital MarchantCommuniqué de presse, mardi 25 janvier.
L'affaire remet sur la table la question de la prise en charge de ces personnes et interroge sur l'évaluation de leur dangerosité.
Permettre aussi aux patients irresponsables pénaux de se réinsérer
Pour le Docteur Radoine Haoui, chef de pôle psychiatrie générale du CH Marchant, l’hôpital psychiatrique "n’est pas une zone de non-droit" et n’est pas, par définition, "un lieu de privation des libertés".
Comme l'a rappelé la direction du centre Marchant, après avoir été placé dans une unité pour malades difficiles (UMD), Jérémy Rimbaud avait intégré l'hôpital toulousain. Preuve d'une certaine "stabilisation" de son état.
"La graduation des soins se fait en fonction de l'état clinique du patient" souligne le Docteur Haoui. L'objectif recherché est de permettre à terme de "les faire redevenir des personnes comme les autres et les faire revenir dans la cité".
"Pour l’un (Jérémy Rimbaud), il pouvait y avoir une situation clinique qui pouvait nous alerter, ce qui nous a amené à prendre un certain nombre d’éléments pour resserrer le cadre de soin, révèle le chef de pôle psychiatrie générale. Pour la deuxième personne, il n’y avait pas de décompensation avérée".
Autorisations de sortie dans le parc ou à Toulouse
Pourtant, au sein même de l'établissement médical, certains employés, sous couvert d'anonymat, pointent du doigt ce que ces deux fugues révéleraient en terme de "dysfonctionnements" de l'institution.
"Les choses n'arrivent pas par hasard, estime l'un d'eux. Quand l'on a des patients reconnus comme dangereux, il faut avoir un cadre strict de soins."
"Nous avons, en effet, des personnes qui sont en irresponsabilité pénale et qui ont des permissions de sortir pour aller se balader dans Toulouse, mais ce n'était pas le cas de Jérémy Rimbaud" rapporte ce témoin. L'ancien militaire, placé dans un "service ouvert", pouvait se promener dans le parc à des heures précises. "Là est le problème, estime-t-il. Marchant est un endroit où l'on peut sortir et rentrer comme l'on veut. Il n'y a pas de service de sécurité. Bien sûr qu'il ne faut pas stigmatiser la maladie psychiatrique, mais il y a un juste milieu entre des mesures de sécurité et les droits de patients."
Des alertes pour dysfonctionnements sans réponses
Une consigne datant d'avril 2020 illustre ce difficile équilibre. En mettant en avant le "droit et libertés individuelles des usagers en psychiatrie", le docteur Radoine Haoui a interdit que les patients puissent se promener en pyjama dans le parc du centre hospitalier. "Alors qu'un patient en fugue est beaucoup plus facile à repérer en pyjama lorsqu'il est à l'extérieur" juge notre personnel anonyme.
Selon nos informations, le syndicat Force ouvrière alerte depuis plusieurs mois l'ARS sur "des manquements graves à la réglementation par l'équipe de direction" demandant l'ouverture d'une enquête. Des messages demeurés lettres mortes jusqu'au lundi 24 janvier et la fugue des deux patients.
La situation est d'autant plus difficile à gérer que le personnel de santé alerte depuis plusieurs années sur le manque de moyens de la psychiatrie française. Des difficultés renforcées par la crise du Covid provoquant burn out et démissions successives au sein de ces services.
Des "injonctions inconciliables" pour le personnel
À l'hôpital Marchant, quarante patients, "irresponsables pénaux", sont actuellement pris en charge. Selon les informations de France 3 Occitanie, l'unité où se trouvait Jérémy Rimbaud comptait 20 lits, mais accueillait 21 malades. Un patient supplémentaire, reconnu comme "dangereux", peut s'avérer particulièrement difficile à gérer pour des personnels "épuisés".
À ceci s'ajoute, selon la CGT, "les injonctions inconciliables" de l'Agence régionale de santé dans l'accompagnement des patients irresponsables pénaux : "raccourcir les temps d’hospitalisation", "faire sortir les patients le plus rapidement possible" et "rappeler que l’hôpital ne doit pas être un lieu de vie".
Le syndicat questionne : "Faut-il, contrairement aux injonctions de nos tutelles, transformer l’hôpital psychiatrique en lieu d’hospitalisation à vie en y tenant en permanence et définitivement enfermées les personnes jugées irresponsables pénalement ?" La réponse est pour la CGT "politique" et pourrait venir alimenter l'actuelle campagne présidentielle. Jérémy Rimbaud rejoindra lui prochainement une unité pour malades difficiles (UMD) à Albi (Tarn). Une unité fermée.