Pour l’OMS, l’addiction aux jeux vidéo est désormais une maladie. Face à la pandémie Fortnite, un jeu vidéo en ligne pratiqué par des centaines de millions de personnes, les parents se posent beaucoup de questions. Décryptage pour eux par un designer de jeux toulousain.
La communauté Fortnite a des centaines de millions d'adeptes à travers le monde. Le profil : jeunes de la primaire au lycée, voire étudiants ou jeunes adultes. Le concept : une centaine de joueurs est débarquée sur une île. Ils s'affrontent. Un seul survivra.
Une constante : l'inquiétude des parents qui ont du mal à endiguer le phénomène et doivent souvent sévir pour que leur ados, garçons le plus souvent, décrochent. Les spécialistes leur conseillent de garder la main sur le temps de jeu et de consulter s'il excède 3h par jour.
Mais pourquoi Fortnite, et d'autres jeux vidéo avant celui-ci, suscite un engouement de cette envergure ? Pour le compendre nous avons rencontré Julien Barbe, designer de jeux vidéo. Il décrypte pour les parents les mécanismes qui rendent les ados "accros" à ce jeu.
Pourquoi Fortnite plaît autant ?
Julien Barbe : Beaucoup d'études scientifiques établissent que pour être plaisante, une action doit avoir 3 composantes qui répondent à des besoins psychologiques : le besoin d'appartenance, le besoin de compétence, le besoin d'autonomie.
J'entends par autonomie, le fait de dire : mes actions, c'est moi qui les choisies et elles ont une influence sur le monde. Je peux voir cette influence-là. On ne me met pas sur des rails.
Or il se trouve qu'une des caractéristiques du jeu vidéo, qui rend cela intéressant, c'est justement l'interactivité. On n'est pas là en train de me donner un message et de me dire ce que je dois penser.
Les ados sont particulièrement ciblés ?
Disons que c'est un public particulièrement sensible aux ressorts de jeux vidéo comme Fortnite. Pourquoi ? Parce que ça me permet de m'exprimer dans un milieu où il n'y a pas de conséquence. Parce que j'y retrouve mes amis. Parce que je peux agir et être récompensé, c'est-à-dire qu'on est très rarement un gratte-papier dans les jeux vidéo, mais plutôt un héros.
Ce n'est pas une question de sauver le monde. On vous donne une tâche qui est complexe dont on sait que vous allez pouvoir la réaliser car on vous a donné les moyens de la réaliser. Et on vous l'a enseigné.
Un jeu vidéo, c'est avant tout un logiciel qui s'auto-enseigne. Et parce qu'on va me donner la solution, mais qu'on va faire semblant de ne pas me la donner, je vais avoir l'impression de la trouver tout seul et je vais me sentir puissant.
Les ados que nous avons rencontrés disent être attachés à la communauté Fortnite. Qu'est ce que cela signifie ?
Fortnite a une forte composante sociale. C'est un jeu auquel on ne joue pas tout seul. On joue en ligne avec des d'autres gens. ça permet de se retrouver entre copains et de développer un langage. Et au final, à l'adolescence, qu'est-ce qu'on fait ? On développe son propre argot avec des termes que les parents ne comprennent pas... Uniquement parce que les parents ne comprennent pas ! (rires)
On cherche un langage. Et la série de règles d'un jeu, c'est un langage contraint, dans lequel on va pouvoir s'exprimer et dans lequel on aura nos codes. Hors de la vue et de la critique parentale.
La meilleure façon pour qu'un jeune s'investisse à fond dans un jeu, c'est de lui donner l'impression qu'il peut là, échapper à ses parents. Le plus souvent, les parents disent : "c'est pas mon domaine, je n'y connais rien. je ne vais pas lui en parler".
Les jeux vidéo génèrent-ils de l'agressivité, des comportements violents ?
Dire cela, c'est comme dire que les gouttières créent de la pluie... Il y a déjà dans ce cas, quelque chose qui est là, qui est diffus. Et c'est vrai que certains moyens cathartiques comme le jeu vidéo ou les sports peuvent canaliser cela. Quand on le canalise, on mesure sa force.
Ce qu'on peut voir, ce sont des comportements compulsifs qui sont finalement explicables par le fait que dans un jeu vidéo, aussi dur soit-il, tout est fait pour faire gagner le joueur. On est déjà dans un monde avec une série de règles qui font qu'il y a une solution.
Contrairement à ce qui se passe parfois dans la vie, on peut gagner et si on nous met dans un problème complexe, c'est parce qu'on nous fait confiance pour nous en sortir... Il y a forcément une solution. C'est très stimulant.
Et ces univers-là, comme les univers du cinéma, du livre - car on peut être compulsif aussi dans ces univers-là - ça peut être un bon moyen pour faire ressortir un certain malaise et proposer une fausse alternative à quelqu'un qui est mal dans sa peau, qui peut-être cherche ses repères. Et là, vous remarquez que je retombe sur la définition de ce que peut être un adolescent !
Les jeux vidéos développent aussi des compétences ?
Il y a énormément de bénéfices en terme de dextérité, de coordination oeil/main, en terme multi-tâches... ça peut être très bien d'être capable de partager son attention et de passer d'une tâche à l'autre très rapidement.
Enfin, ça développe énormément, et peut-être paradoxalement pour certains, des compétences sociales. Et notamment en terme de coopération. Des études l'ont prouvé. On voit d'ailleurs aujourd'hui des cursus scolaires qui s'inspirent de game design et ça porte ses fruits de façon spectaculaire.
Chrisine Ravier et Christophe Romain ont recueilli des témoignages de parents sur l'imprégnation des ados par l'univers Fortnite.