Depuis que la guerre a été déclarée en Ukraine, les ressortissants russes installés en France sont désemparés. À Toulouse, des étudiants s’interrogent : sentiment d’impuissance et avenir toujours plus flou.
« Lorsque la guerre a éclaté, je me suis senti comme un criminel de guerre », confie Ivan*. Étudiant en droit international et économique à l’Université de Toulouse et originaire de Moscou, le jeune homme n’a jamais soutenu le gouvernement de Vladimir Poutine. Pour autant, son impuissance s’est rapidement transformée en honte. La honte de ne pas avoir pu empêcher la guerre de se produire. « J’ai participé aux manifestations en soutien à l’Ukraine organisées ici et j’ai donné un coup de main pour les récoltes. J’essaye d'aider comme je peux. »
Olessya Bondaruk, kazakh en reprise d’études dont la soeur vit en Russie, ne sait plus où donner de la tête. « Depuis que ça a commencé, je n’arrive plus à me concentrer sur quoi que ce soit. Je passe mon temps à regarder l’actualité et m’inquiéter pour ma famille. » Elle se souvient des manifestations ayant secoué le Kazakstan en janvier dernier et de l’impossibilité de communiquer avec sa famille. « Cette fois, j’ai demandé à ma soeur de me donner son adresse postale, pour lui envoyer des lettres au cas où je n’aurais plus la possibilité de l’appeler. » À l’heure actuelle, seuls les réseaux Facebook et Twitter sont inaccessibles en Russie. Mais dans cette guerre où chaque jour est incertain, il faut anticiper toutes les éventualités.
L'effet propagande
Bloquer une partie des réseaux sociaux est une stratégie du gouvernement russe pour limiter l’accès à l’information de ses citoyens. « Il faut comprendre que la propagande s’est mise en place depuis une dizaine d’années. En Russie, il n’y a qu’un point de vue : celui du gouvernement. Et si vous êtes contre le gouvernement, vous êtes contre la Russie », explique Ivan*. Difficile donc, pour certains, de s’opposer ouvertement à la politique de Vladimir Poutine. « En rentrant au pays, vous pouvez être interrogé par la police, si vous avez par exemple participé à des manifestations dans d’autres pays. En montrant mon soutien à l’Ukraine, je suis devenu un ennemi du gouvernement. »
Anastasia Glazova, future professeure d’anglais originaire de Nijni Novgorod, à 400 kilomètres à l'Est de Moscou, se sent totalement perdue dans cette guerre de l’information. « D’un côté, mes parents voient la télévision russe et ne comprennent pas mon opinion. De l’autre, il y a une telle différence entre ce qui est dit en Russie et dans les médias européens, que je ne sais plus en qui placer ma confiance », souffle la jeune femme. Pour ne plus se laisser influencer, elle tente de s’éloigner des réseaux sociaux, mais en ce moment, la guerre est partout. « Même avec mes amis, il y a parfois des tensions. J’ai une amie très engagée politiquement et elle ne supporte pas que je sois modérée. Si on parle de la guerre, on se dispute. »
Les étudiants ne seront pas exclus
Sur sa chaîne YouTube, Olessya Bondaruk tente de démêler les informations erronées qui circulent. Dans les commentaires, certains évoquent une montée de la russophobie en Europe, d’autres les sanctions des pays européens à l’égard des ressortissants russes. Dernièrement, une fausse information a touché de nombreux étudiants russes : la rumeur qu’ils seraient exclus des universités européennes et envoyés en Russie. « Je me doutais que c’était faux, mais je suis allée voir sur les groupes Facebook russophones si des messages avaient été postés », souligne Olessya Bondaruk. L’étudiante comprend rapidement que ce n’est pas vrai, mais de son côté, Anastasia Glazova ne s’est sentie rassurée qu’à la réception d’un mail officiel de l’Université, assurant à ses élèves qu’il n’était pas question d’annuler leur scolarité. Et sa famille n’y croyait pas. « Si je n’avais pas eu la preuve sous les yeux j’aurais été tentée d’y croire. C’est tellement dur de démêler le vrai du faux. »
Peur d'être mis de côté
Malgré le soutien de leurs amis ou collègues en France, ces étudiants russes craignent d’être mis à l’écart à cause de leur nationalité. « Maintenant, j’hésite beaucoup plus à dire d’où je viens, précise Anastasia Glazova. Une fois, je discutais en russe avec une amie, et le regard d’un passant nous a beaucoup gênées. On baisse le ton ou on évite de parler notre langue en public… » Ivan*. lui, comprend que certains russes n’osent plus déclarer leur nationalité. « Ce n’est pas vraiment de la discrimination, mais on se sent mal à l’aise en l’évoquant. C’est dommage car nous n’avons rien à voir avec la guerre », rappelle-t-il.
La plus grande incertitude pour ces étudiants reste cependant l’avenir. Avant que le conflit n’éclate, Ivan*. comptait revenir dans son pays d’origine pour y travailler en tant qu’avocat. « En Russie, nous n’avons pas beaucoup d’avocats qui ont étudié à l’étranger, c’était une plus-value. Mais aujourd’hui, c’est trop risqué. Il n’y aura plus de travail et mon séjour en France ne sera pas bien vu. » Alors il imagine un autre futur. Peut-être au Canada, où le climat lui rappellera Moscou, la ville où il a grandi, « jusqu’à ce que les choses changent » et qu’il puisse retrouver son pays natal.
Anastasia Glazova, installée depuis 4 ans à Toulouse, travaille déjà ici. Sa seule inquiétude : voir son visa annulé dans les prochains mois. « J’aime mon pays, mais je n’ai pas envie de retourner y vivre. Je me suis intégrée à la société française et j’espère y rester. » Pour ces Russes installés en France, les points de vue peuvent diverger, mais un constat les relie : leur impuissance face à une guerre qui les dépasse.
*Le prénom a été modifié