Après 7 ans de harcèlement scolaire, Liane a mis fin à ses jours en 2018. Un drame pour sa famille aujourd’hui rongée par le sentiment de culpabilité. Pour lutter contre le mutisme et libérer la parole des victimes, sa sœur aînée publie des extraits de carnets intimes de Liane sur Instagram.
Après des années de harcèlement scolaire, Liane, 21 ans, a mis fin à ses jours à Toulouse en 2018. "Une maladie silencieuse" que la jeune fille n’a pas réussi à surmonter malgré ses efforts. Un drame aussi pour sa famille. Ses parents et sa sœur, Louise, n’ont jamais rien vu ni su de cet enfer que subissait Liane depuis des années, de la 6ème à la terminale.
La famille est aujourd’hui encore bouleversée et "rongée" par un insoutenable sentiment de culpabilité. Mais Liane n’est pas partie sans rien dire. Elle a laissé derrière elle des carnets intimes. Des écrits dans lesquels elle raconte comment le harcèlement scolaire s’est mis en place, la violence et la mécanique des faits et gestes de ses camarades de classe, et leurs conséquences. Elle y décrit et explique de l’intérieur ses blessures, son désarroi, sa tristesse et sa descente aux enfers.
Ce récit, sa sœur aînée, Louise, le met en lumière sur un compte Instagram baptisé, "La fille.decristal" , dans le but de libérer la parole sur le harcèlement scolaire :
Partager une histoire pour aider d’autres personnes victimes de harcèlement scolaire, leur donner l’occasion de commencer à parler, car ma sœur ne nous a jamais rien dit, c’est bien-là le drame. Si aujourd’hui je peux aider au moins une personne en libérant la parole… car nous, on est passé à côté et on ne pensait pas être un jour concerné.
Louise
Le harcèlement scolaire, "une maladie silencieuse"
Louise a perdu sa "petite" sœur il y a à peine 4 ans, mais la blessure est toujours vive. Pour avancer et prendre de la distance avec ce drame familial, elle vit désormais à Copenhague au Danemark avec ses enfants. Aujourd’hui, elle veut éveiller les consciences et inciter les victimes de harcèlement scolaire à sortir de leur mutisme. "Cela peut toucher tout le monde et surtout les adolescents qui ont l’air d’aller bien", explique-t-elle.
Souvent, les gens pensent qu’une personne qui vit un harcèlement scolaire est une personne qui se renferme, qui a l’air triste mais ce n’est pas cela. Ma sœur avait l’air d’aller très bien, personne n’a rien vu, c’est bien là le danger, c’est une maladie silencieuse le harcèlement scolaire. On n'a rien vu et cela nous ronge !
Louise
L’insoutenable sentiment de culpabilité
En donnant fin à ses jours, Liane laisse ses amis, sa sœur et ses parents dans le plus grand désarroi. Tous éprouvent un sentiment de culpabilité et la "blessure est toujours ouverte", explique Louise. Personne n’a rien vu, décrit-elle.
Selon Louise, Liane avait effectué de nombreuses démarches pour sortir de cet enfer. Elle a consulté l’infirmière du collège, a déposé une plainte pour harcèlement. Afin d'être accompagnée, elle s’est même inscrite dans un centre spécialisé à Toulouse. Mais cela n’a pas suffi, regrette Louise, "car elle n’était pas soutenue du côté de sa famille et de ses amis, personne ne savait. Tant que la personne ne parle pas... Personne, je vous assure que personne ne peut deviner. Si on avait été sensibilisé, on aurait peut-être trouvé les mots pour en parler avec elle et entre nous".
Tout le monde dans la famille s’est senti extrêmement coupable. Elle avait tout pour être heureuse, elle faisait super bien du patinage artistique, elle a obtenu sa licence en chimie, elle avait de très bonnes notes, et des projets... Un enfant qui part à 21 ans, c’est un drame.
Louise
Le combat de Louise
En France, le harcèlement scolaire touche une personne sur dix. Pour aider les jeunes à sortir de leur mutisme, Louise a créé un compte Instagram : "La fille.decristal", où elle publie le récit des cahiers intimes de sa sœur disparue.
"Je l’ai créé il y a trois semaines à peine et il y a beaucoup de personnes qui m’ont contactée pour me dire qu’elles vivaient la même chose que ma sœur, qu’elles n’en parlaient pas à leur proche. Je suis contente de pouvoir les aider et je vois que les gens se confient plutôt sur internet qu’à leur famille. Si je peux créer un déclic, moi qui était la sœur ainée et qui ait raté des choses. Je n’ai pas envie que cela arrive aux autres".
Liane voulait être écrivain et dans ses écrits, elle a réussi à expliquer ce que vit une victime de harcèlement scolaire de l’intérieur. Avec ses mots, elle explique que le harcèlement a commencé dès la 6ème et on peut lire toute la descente aux enfers, comment cela s’est mis en place, la spirale infernale. Elle raconte son quotidien et comment à l’âge adulte c’était dur de se remettre de tout cela : "le harcèlement scolaire est terminé et moi je reste en plan, je suis blessée et je ne sais pas comment avancer".
"Créer un déclic, commencer à parler"
Près de 1200 personnes suivent le compte Instagram de Louise depuis sa création. Elles échangent avec celle qui espère "créer un déclic" chez ces jeunes victimes.
"J’ai échangé avec une jeune fille et elle m’expliquait qu’elle s’était rendue compte, par les écrits de ma sœur, qu’elle vivait la même chose et que cela n’était pas anormal. Elle m’a confié avoir échangé avec sa famille, expliquant avoir lu sur internet les carnets intimes d’une jeune fille qui vivait cela".
D’autres s'identifient à Liane, "elles me disent ce passage-là, je l’ai vécu aussi et cela libère la parole, c’est l’occasion de commencer à parler à ses proches et ensuite, les associations peuvent prendre le relais".
Une loi contre le harcèlement scolaire
Pour faire face à ce phénomène qui prend de plus en plus d’ampleur, le gouvernement a voté une loi, le 2 mars dernier, visant à combattre le harcèlement scolaire.
"Aucun élève ou étudiant ne doit subir de faits de harcèlement résultant de propos ou comportements, commis au sein de l’établissement d’enseignement ou en marge de la vie scolaire ou universitaire et ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de dégrader ses conditions d’apprentissage". La loi du 2 mars 2022 vise à combattre le harcèlement scolaire, en créant notamment un nouveau délit : celui de harcèlement scolaire, prévu dans un nouvel article 222-33-2-3 du code pénal.
Pour Louise, "on peut faire les lois que l’on veut, tant que les victimes ne parlent pas on n’avancera pas, il faut une prise de conscience globale de la problématique". Louise a été contactée par un éditeur qui devrait prochainement publier les carnets intimes de Liane. "La Fille de Cristal" est un récit à deux voix, celle de Liane avec des extraits de ses carnets intimes et celle de sa famille qui raconte ce drame.
Une manière de libérer le chagrin d’une famille qui a perdu un enfant avec l’espoir de sauver d’autres vies de victimes du harcèlement scolaire. Pour Louise c'est aussi l'opportunité de laisser, sur la toile et dans un livre, le témoignage de sa sœur Liane. Comme une empreinte indélébile.
Si vous êtes victime de harcèlement, vous pouvez appeler le 3020 ou en parler à un proche.
Les fonds collectés grâce au livre seront reversés à des associations qui luttent contre le harcèlement.