La cour d’appel de Toulouse (Haute-Garonne) a créé un pôle judiciaire dédié à la maltraitance animale. Une initiative unique en France qui a notamment abouti à la mise en place d’un stage obligatoire pour les personnes condamnées. Reportage complet pour l'émission Enquêtes de région diffusée le mercredi 15 mars à 23:02 sur France 3 Occitanie.
En France, les actes de cruauté envers les animaux ne cessent d’augmenter. Les forces de l’ordre enregistrent une hausse de 30% entre 2016 et 2022.
12 000 infractions sur animaux en 2021
En 2021, les services de police et de gendarmerie ont enregistré 12 000 infractions visant des animaux domestiques, apprivoisés ou tenus en captivité. Depuis 2016, ce nombre augmente de manière quasi-constante : +5% par an.
Plus des deux-tiers de ces infractions concernent des mauvais traitements et des sévices graves (privation de soins, de nourriture, violences…).
Près de la moitié du temps, les victimes de maltraitance sur animaux sont des chiens (46%), devant les chats (24%).
Un pôle judiciaire pour lutter contre ces maltraitances
A Toulouse (Haute-Garonne), le procureur général à la cour d'appel, Franck Rastoul a décidé de s’attaquer à la question. En septembre 2022, il crée un pôle judiciaire à la cour d’appel, spécialisé dans ces dossiers et dans la protection de l’environnement. Ce pôle est unique en France.
Ce pôle couvre 6 juridictions : Toulouse, Saint-Gaudens, Montauban, Castres, Albi et Foix. “Aujourd’hui la sensibilité a évolué”, constate le procureur général de Toulouse. “Il faut s’en féliciter. Il faut donc que la réponse pénale réponde à cette attente nouvelle de la société de voir sanctionner, ni plus ni moins, mais de manière adaptée, des faits qui heurtent à juste titre les consciences. La violence est unique.”
La création de ce pôle permet un meilleur suivi de ces dossiers. Il aide aussi à raccourcir les délais d’audience et à mieux organiser la prise en charge des victimes.
Nous avons des faits d’une extrême gravité, il faut être capable de les sanctionner de manière adaptée, c’est-à-dire vite et d’une manière ferme.
Franck Rastoul, procureur général à la cour d'appel de Toulouse
En 6 mois, le procureur général a organisé la formation des magistrats aux questions de la maltraitance animale. Il a également nommé des référents spécialisés dans le domaine, et des délégués du procureur, chargés de suivre les dossiers et d’accompagner les magistrats lorsque c’est nécessaire. “C’est un travail de fond”, précise-t-il. “Il faut être capable d’identifier les bons circuits procéduraux, et en fonction de la gravité des faits d’apporter la bonne réponse, avec un souci d’effectivité et de résolution de la situation. On ne doit pas avoir des situations qui durent dans le temps et où l’on voit des phénomènes de maltraitance auxquels on aurait dû apporter une réponse plus rapide.”
Des référents au sein de la police nationale
Autre initiative du pôle judiciaire de lutte contre la maltraitance animale, la nomination de référents au sein de la police et de la gendarmerie de ses 6 juridictions.
Au commissariat de Castres (Tarn), le commandant Lucie François est celle qui a été nommée en novembre dernier. Elle mène les enquêtes, reçoit les signalements des associations, des témoins ou du procureur lorsqu’un cas est identifié. “J’ai découvert un volet d’infractions que je ne connaissais pas”, raconte-t-elle. “Quelles étaient nos compétences, quelles étaient les sanctions, comment on pouvait intervenir sur ce genre de faits… Parce que c’est de l’affecte aussi lorsque nous touchons à la maltraitance animale. Pour certaines personnes, la maltraitance n’est pas avérée, c’est pour eux un mode de vie. Donc on intervient dans l’intimité des gens et parfois on le met face à leurs problématiques.”
Céline Gardel est capitaine de police à Toulouse. Elle est aussi la présidente de l’association de protection animale Les 4 Pattounes.
Les associations se sentent maintenant écoutées, associées à une réponse pénale effective, ce qui était attendu depuis très longtemps.
Céline Gardel, capitaine de police à Toulouse et présidente de l’association Les 4 Pattounes.
Depuis la création du pôle, elle travaille, comme d’autres associations, en étroite relation avec les services judiciaires. “En tant que policier, nous avons vraiment ressenti un changement”, analyse la capitaine Céline Gardel. “Depuis que les magistrats sont formés, il est beaucoup plus facile d’obtenir l’autorisation de confisquer provisoirement un animal lorsqu’il est en danger. Les procédures sont suivies et les magistrats se sentent beaucoup plus concernés.”
En début d’année, le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin a annoncé vouloir étendre cette fonction de référent au niveau national.
Un stage obligatoire pour les délinquants
La juridiction de Castres est l’une des plus actives en matière de protection des animaux de compagnie. C’est dans cette ville qu’a lieu le premier stage de sensibilisation à la maltraitance animale. Une journée obligatoire pour des personnes physiques ou morales, condamnées par la justice. A l’image des stages de sécurité routière ou de lutte contre les violences faites aux femmes. Organisé par le pôle judiciaire de la maltraitance animale, c'est une première en France.
Pour ce premier stage, organisé le 9 février dernier, 5 participants sont présents. Un couple, deux hommes seuls et un dernier, condamné au nom de son entreprise. Certains accusés de violences ayant entraîné jusqu’à la mort de l’animal, d’autres de négligence. Tous disent aimer les animaux, beaucoup minimisent les faits qui les ont conduits ici mais chacun affirme son besoin d’informations. “Je suis au stage pour avoir plus de renseignements et comprendre certaines choses”, confie l’un d’entre eux. “Je pense que c’est important parce que l’on doit connaître tout ça.”
“Nous apprenons beaucoup de choses, des choses que nous même nous ne savons pas. Je pense que c’est très intéressant”
Un participant au stage de lutte contre la maltraitance animale
Comment bien s’occuper de son animal ? Quelle est la réglementation en vigueur ? Juriste, associatifs, policiers et vétérinaire proposent une véritable formation aux participants. “Le vétérinaire apporte tout simplement la vie au quotidien”, explique Marie-Christine Weibel, vétérinaire. “Qu’est-ce-qu’un animal qui a mal ? Pourquoi est-ce-qu’il ne pleure pas ? Pourquoi un animal mord ? Qu’est-ce-qu’on fait au quotidien dans ces cas-là ? Pourquoi un animal aboie ? Qu’est-ce-qu’on peut faire ? Et je pense que nous, nous sommes là pour apporter cette simplicité de terrain.”
Rapidement, la discussion glisse sur les questions de la souffrance de l’animal et des actes de maltraitance. Céline Gardel, la capitaine de police et organisatrice du stage, diffuse plusieurs photos : des animaux battus, affamés ou gravement blessés. “Par rapport aux vidéos, aux photos, et aux choses que j’ai vues aujourd’hui, je trouve qu’il y a pire que ce que j’ai fait”, réagit l’un des participants accusé de violences sur son chat. “Moi je n’ai pas fait quelque chose de spécialement grave. Je me retrouve quand même ici aujourd’hui.”
Ce stage vient à la place ou en complément d’une autre condamnation, selon la gravité des faits. “On voit bien que finalement les sanctions sont indispensables mais ne sont pas suffisantes”, analyse Céline Gardel, la capitaine et présidente de l’association les 4 Pattounes. “On voit bien sur le terrain que le frein financier, ou est dû au manque de connaissances ou à des croyances limitantes. Ce stage est un moment d’échanges constructifs où l’on peut rappeler les sanctions, les besoins de l’animal et ce que la personne a le droit ou pas, de faire.” Les intervenants ont choisi de ne pas prendre connaissances des dossiers de ces personnes , afin d’éviter tout jugement et de favoriser le dialogue. Les participants ont dû débourser 150 euros pour cette journée. Une somme qui permettra les soins et la stérilisation d’animaux maltraités et en refuge.
Un virage dans le traitement de la maltraitance animale
Durant de nombreuses années, la maltraitance animale est restée un angle mort de la justice française. En droit, jusqu’à 2015, l’animal était considéré comme un objet et non un être vivant doué de sensibilité comme aujourd’hui. “Nous n’avons pas délaissé cette matière là, elle était traitée”, insiste Chérif Chabbi, procureur de la république de Castres. “La maltraitance était traitée dans le cadre du circuit classique. Sauf que le circuit classique ne répond pas à la prévention, ne répond pas à la souffrance animale. Donc on a traité une filière d’urgence et nous traitons quasiment aujourd’hui en temps réel la maltraitance animale.”
Aujourd’hui, avec la création de ce pôle dédié, les magistrats entendent juger ces infractions en temps réel, notamment grâce à la comparution immédiate et la reconnaissance préalable de culpabilité. Une mesure appliquée plusieurs fois sur les 33 dossiers suivis par le pôle judiciaire de Toulouse.
Enquêtes de région, le mercredi 15 mars à 23:02 sur France 3 Occitanie