Point final pour un emblématique magasin de stylos toulousain, ouvert depuis 78 ans

Philippe Léon dirigeait depuis treize ans la dernière boutique spécialisée dans les stylos haut de gamme de la région, comme avant lui sa sœur et son père. Il s'apprête à prendre sa retraite. Son départ marque la fin d'une saga familiale à succès et d'une institution bien connue de la rue d'Alsace-Lorraine, ouverte depuis 1945.

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Un briquet Cartier réparé il y a 30 ans toujours dans l’attente de son propriétaire, des stylos haut de gamme rares, un meuble à tiroir astucieux vieux de 80 ans… La cave du numéro 26 de la rue d’Alsace Lorraine regorge de petites pépites. A elles toutes, elles racontent une histoire. Celle du magasin « Toulouse Stylos » ouvert à cette adresse précise, au sortir de la seconde guerre mondiale. Une institution où les amateurs d’écriture de tout le Sud-Ouest de la France se succèdent depuis 1945. Au rez-de-chaussée, des vitrines datant des années 80 donnent à voir une multitude de stylos haut de gamme : des Dupont, des Parker, des Sheaffer, des Pelican… et des Waterman, d’origine bretonne.

Oui mais voilà, Philippe Léon, son propriétaire va devoir faire beaucoup de tri dans tout cela. Le 24 décembre prochain, il fermera définitivement boutique. A 63 ans, l’heure de la retraite a sonné. Faute de repreneur, le local sera cédé à une enseigne basque d’affiches, Cadrimages.

C’est la fin d’une aventure familiale commencée au début des années 60. Philippe Léon dirige ce point de vente depuis 2010 mais avant lui, sa sœur Dany a tenu la boutique durant 40 ans. Leur père, Amador – industriel de la poupée-, l’avait rachetée en 1962 à son fondateur.

Années après années, ils en ont vendu des stylos, des briquets et des articles de maroquinerie. La vente de stylos de grandes marques représentait 70% de l’activité du magasin. Un service de réparation était également proposé. D’où tout une collection de pièces détachées stockées au sous-sol. Assis face à un vieux meuble à tiroirs, Philippe Léon en a passé de nombreuses heures à rechercher LA pièce manquante pour redonner à certains stylos leurs airs de jeunesse. Pour le plus grand plaisir de leurs propriétaires.

Plumes d'or

"Le stylo est un objet avec lequel certains ont des liens très affectifs.C’est très courant d’avoir des clients de 80 ans qui viennent avec leur stylo reçu en cadeau lors leur première communion. Cela fait 70 ans qu’ils conservent le même stylo. Il s’agissait à l’époque de stylos plumes avec des plumes en or qui pouvaient être réparés, et la problématique c’est que chaque stylo à l’époque avait ses propres pièces. Deux stylos de la même marque n’avaient pas les mêmes pièces. D’où la difficulté au fur et à mesure des années de continuer à retrouver des pièces car bien sûr les maisons, 40 ans après, ne fabriquent plus et n’assurent plus le service après-vente des modèles."

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Philippe Léon a passé de nombreuses heures à rechercher LA pièce manquante pour redonner à certains stylos leurs airs de jeunesse. ©Adeline Raynal

L’union fait la force, c’est bien connu. Alors pour dénicher la pièce manquante, et donner le sourire à un fidèle client,  Philippe Léon avait sa botte secrète. Avec deux autres spécialistes du stylo de l’Hexagone, Mora stylos à Paris et Creutz et fils à Nice, ils avaient pris pour habitude de s’échanger les pièces rares pour réussir à réparer un maximum de modèles. "La boutique d’André Mora à Paris a fermé début 2023, or il avait beaucoup de très vieilles pièces à disposition, on faisait beaucoup d’échanges avec lui. Mais il a pris sa retraite début 2023 et la boutique a fermé. Dès le jour où il n’a plus été en activité, c’est devenu très compliqué de retrouver des pièces anciennes", déplore le commerçant.

Lui n’a pas toujours été dans le métier. Après des études de droit et d’expertise comptable suivies à Toulouse, ce natif des Minimes est parti vivre plus au sud. En Andorre d’abord, où il s’occupait de l'exportation des poupées de l’entreprise de son père, les poupées Stella. Il s’y est associé avec un importateur de jouets chinois, puis au bout de quelques années, à travers les Pyrénées. Désormais installé à Madrid, il y fonde une entreprise d’équipements de pêche (canne, hameçons, fils, moulinets….) avec un associé espagnol. Puis, au milieu des années 2000, il travaille cinq ans comme directeur général de « La Brosse & Dupont », une marque alors propriété du groupe LVMH, spécialisée dans la vente de brosses, qu’il s’agisse de brosse à cheveux ou de balai-brosse… Pendant ce temps, c’est sa sœur Dany qui tenait le magasin de la rue d’Alsace-Lorraine.

"Cela fait un coup au cœur"

«Toulouse stylos», était devenu, au fil des décennies, une institution du stylo dans le Sud-Ouest. Le fichier-client compte plus de 30 000 noms et adresses. "Il n’est pas rare lorsque nous avons un nouveau client qui vient, qu’il retrouve dans le fichier client ses parents, ses grands-parents, ses cousins ; donc effectivement nous avons beaucoup de liens avec énormément de clients" confie Philippe Léon.

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Les stylos de la boutiques coûtent entre 5 et 1000 euros. ©Adeline Raynal

Un monsieur au chapeau passe justement le pas de la porte. Jean-Louis, septuagénaire habitant du quartier, a beaucoup de souvenirs entre ces quatre murs. "Je suis venu souvent pour faire des cadeaux à ma femme, elle aussi m’a offert un beau briquet, de beaux stylos… Elles venaient souvent ici à l’occasion de la fête des pères ou de Noël", se remémore-t-il. 'Savoir que la boutique va définitivement fermer, cela fait un coup au cœur quand même, parce qu’en passant dans cette rue on regardait toujours ces vitrines, on voyait toujours de belles choses, et ça, ça va disparaître" confie ce fidèle client. Il regrette la disparition de plusieurs magasins emblématiques de la rue Alsace-Lorraine, qui ont changé de propriétaire ces dernières années.

Une demi-heure plus tard, c’est au tour de Simon d’entrer dans la boutique pour demander conseil pour entretenir son stylo Pilot, reçu en cadeau de la part de ses collègues lorsqu’il a quitté son précédent employeur en 2016. "Cette expertise et ce conseil avisé devient rare, c’est triste de voir disparaître ces commerçants indépendants" s’exclame-t-il, les yeux rivés sur les vitrines.

Depuis l’annonce de la fermeture prochaine de la boutique, le ballet des clients est incessant. La boutique a vu son stock de cartouches d’encre presque dévalisé en quelques jours. A croire que l’on se passe le mot, entre passionnés. Brice et Nathalie, les deux employés, continueront jusqu’au dernier moment de conseiller avec précision chaque client. Le futur de la boutique s’écrira avec eux. L’entrepreneur basque qui rachète les murs les garde. Début janvier, ce n’est plus des stylos et des briquets, mais des affiches et des encadrements qu’ils accrochent dans les vitrines. Mais une chose est sûre : ils n’oublieront pas monsieur Léon.

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