L'Association nationale de la police judiciaire (ANPJ) se mobilise depuis 6 mois contre la réforme de la PJ. Elle vient d'obtenir une première victoire, le 1er novembre 2022, au Sénat, avec l'adoption d'un amendement au projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur (Lopmi).
Le 1er décembre 2022, les sept députés et sept sénateurs composant la commission mixte paritaire ont trouvé un accord sur le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur (Lopmi).
La réforme, contestée, de la Police judiciaire s'est invitée dans les débats. Le rapporteur de la Lopmi, Marc-Philippe Daubresse, a réussi à faire passer un amendement qui assure-t-il "reprend toutes les garanties que souhaitait la PJ." Les motifs de ce texte précisent que : "la cartographie des services exerçant des missions de police judiciaire devra être maintenue", "les offices centraux et l’échelon zonal devront être privilégiés pour le traitement de la criminalité organisée, complexe ou présentant une particulière gravité", "l’échelon zonal devra disposer de moyens humains et budgétaires propres permettant de garantir le traitement des infractions complexes et graves".
L'Association nationale de la Police judiciaire entendue
Christophe, enquêteur toulousain et vice-président de l'Association nationale de la police judiciaire (ANPJ) ne cache pas sa satisfaction : "cet amendement est une émanation directe de l'ANPJ. À tel point que nous avons été consultés pour sa rédaction comme pour sa mise en page. Il va moins loin que nous l'espérions, mais c’est déjà une grande avancée."
Les enquêteurs de la Police judiciaire obtiendraient ce qu'ils réclament à corps et à cris depuis plusieurs mois : le maintien du niveau régional dans le cadre de leur travail. Car la réforme voulue par Gérald Darmanin projette de réunir les services de police sous une autorité à la fois départementale et préfectorale. La crainte des agents est que cet échelon départemental les mette en prise directe avec les élus locaux et les politiques locales de sécurité, mais aussi d'être déployés pour des missions fort éloignées de leur domaine de spécialité.
Christophe utilise une comparaison avec la presse : "la départementalisation nous mettrait dans un autre temps d’enquête. Ce qu’il faut comprendre, c’est exactement la différence entre un quotidien et un magazine mensuel. Nous la PJ, nous sommes un mensuel. On travaille sur le fond. On ne traite pas tous les dossiers, car certains n’ont pas la même importance, la même répercussion. Certains dossiers ne nécessitent pas toujours la même expertise et le même savoir faire. Si on passe au département, nous allons passer sur du quotidien. Cela veut dire que chaque jour, chasse la veille. Chaque affaire du matin revêt une importance impérative, mais uniquement pour la journée. Du coup, en ne faisant que des faits-divers, on en oublie les dossiers de fond. Nous risquons de perdre notre expertise."
Une vraie spécialisation à la Police judiciaire réclamée
Ce projet de réforme engendre un fort sentiment de déclassement dans les rangs des enquêteurs de la PJ. Beaucoup ont le sentiment qu'on cherche à les faire "descendre d'un étage." "Seul moyen" trouvé par les politiques pour aller "éponger des dossiers qui se sont accumulés" car leurs collègues sont en "souffrance et abandonnés de tous dans une situation insupportable, sans renfort avec des conditions de travail des plus déplorables".
Le vice-président de l'Association nationale de la police judiciaire (ANPJ) s'interroge : "Lorsque l’on fait du maintien de l’ordre, on met des CRS, des gendarmes mobiles, car ils sont formés au maintien de l’ordre. Lorsque l’on interpelle un terroriste retranché comme Mohammed Merah, on fait intervenir le Raid ou la BRI. Car ce sont des spécialistes. Pourquoi ne reconnaît-on pas à la Police judiciaire cette spécialité qui engendre une formation spécifique et offrirait une vraie efficacité, une vraie spécialisation ?"
Le questionnement semble d'autant plus légitime que les brigades mobiles de la Police aux frontières échapperont à la réforme. Leur nouveau directeur, Frédéric Gardon, cheville ouvrière de la réforme, a sorti ses services en charge d’investigation de l’autorité de la direction départementale de la police nationale (DDPN), directement concernés par les évolutions souhaitées par le ministère de l'Intérieur. Les raisons avancées sont les "spécificités des infractions", "l'expérience nécessaire" et "la transnationalité des dossiers". "C’est exactement la définition de la Police judiciaire" souligne malicieusement Christophe.