Elles sont complémentaires et fusionnelles jusque dans le nom de leur entreprise : Clarnie. Clara Silveiro et Marnie Atgé sont étudiantes à l’École nationale supérieure agronomique de Toulouse. Leur projet veut mettre en relation deux mondes en difficulté : les étudiants et les agriculteurs pour travailler ensemble. Rencontre.
Elles croient dur comme fer à leur idée et elles ont raison. D'un côté, les étudiants cherchent du travail qui serait compatible avec leurs études ; de l'autre, les agriculteurs ont du mal à trouver de la main d'œuvre saisonnière ou régulière tout en restant occasionnelle. En dernière année d'études à l'ENSAT, Clara Silveiro et Marnie Atgé viennent de concrétiser ce projet de mettre en relation étudiants et agriculteurs pour travailler ensemble.
Une amitié professionnelle
Elles sont originaires de la région parisienne et ne se connaissaient pas. Marnie Atgé a bien des grands-parents qui vivaient à la campagne dans le Tarn et Clara Silveiro a travaillé un peu dans le domaine agricole à 18 ans, mais rien ne les destinait vers ce projet de ruralité.
"La première année à l'ENSAT, nous avons fait des stages sur des exploitations agricoles, reconnaît Marnie. On s’est aperçu du travail et des difficultés à trouver de l'aide. Il y a des tâches répétitives qu’un étudiant peut faire en rentrant des cours et d’autres plus ponctuelles comme les récoltes. Nous avons été touchées, on s’est senti super proche des agriculteurs avec des valeurs communes." "On s'est identifié à ça, poursuit Clara. C'est un milieu ressourçant avec un travail considérable. On a pris conscience de ce qu'on mange et de ce qui est nécessaire pour le produire."
Les deux étudiantes trouvent aussi une complicité. Elles se découvrent complémentaires et attachées aux mêmes valeurs. Très rapidement, elles veulent mener le même projet ensemble. Marnie : "on a l’impression d’aider des gens qui en ont besoin." Clara : "on voit notre utilité, plus que dans les métiers intellos et moins axés sur le pratique".
Rentrée 2023, les deux étudiantes sont dans la spécialisation. Elles doivent créer une entreprise fictive. Et pourquoi pas créer LEUR entreprise. Leurs amis (ies) étudiants (es) les encouragent même s'ils préfèrent choisir d'autres filières. Il y a un projet de fin d'études à mener sur six mois avec un stage à faire. "Clara m’a dit : on va faire le stage au sein de notre propre entreprise !"
Pas évident, car Clara avait souscrit un prêt étudiant et le stage devait servir à commencer à le rembourser. Mais elles y croient et la volonté soulève les montagnes. Elles gagnent plusieurs concours et remportent en tout 11.000€ qui serviront pour rembourser les dettes et poser les bases du projet.
Voir cette publication sur Instagram
Un projet en herbe
Elles commencent par une étude de marché avec une centaine d'entretiens dans toute l'Occitanie. "Les agriculteurs ont de suite été très emballés par le projet, reconnaît Marnie. Ils nous disent vouloir prendre des étudiants. On s'est aperçu que ce n'était pas seulement pour les taches agricoles, mais aussi des choses annexes comme la vente, la communication, la compta, l'administratif ou les réseaux sociaux".
Anselme Pailhiez est un jeune agriculteur (26 ans) installé en maraichage bio dans le Tarn-et-Garonne. Il a été l'un des premiers à faire appel à leur service "J'ai besoin de main d’œuvre chaque année pour les récoltes, planter, désherber. On cherche toujours du personnel. On ne peut pas courir à droite, à gauche pour en trouver. Leur plateforme est très bien. Je fais un appel, l'annonce est posée et quelques jours après, j'ai du personnel. Elles sont au top, avec le sourire. Elles ont une très bonne approche du milieu des agriculteurs. Elles font bien leur boulot. Dès que j'ai vu leur initiative, j’en ai parlé direct."
Le maraicher ne tarit pas d'éloge sur ce projet. Il souhaite aussi plein de courage aux deux initiatrices pour sélectionner les étudiants intéressés. "Les jeunes, c'est bien mais trouver les bons, c’est dur."
Le constat : un besoin de main d'œuvre agricole rarement satisfait
La campagne, ça vous gagne : le plein air, la verdure, les animaux... Mais il faut aussi se la gagner. Les deux jeunes femmes n'en sont qu'au début du projet, mais elles ont ouvert toutes les portes qui voulaient bien ne pas se refermer. Via les réseaux, des banques comme le Crédit Agricole, le département de la Haute-Garonne, des influenceurs, leurs professeurs comme François Purseigle, elles se sont lancées fin avril 2024.
Un agriculteur en moyenne aurait besoin momentanément d'une quinzaine de saisonniers par an. Il faut donc les trouver. "On s’est assurées qu’ils soient prêts, déclare Clara. On a démarché toutes les formations : droit, com, médecine, philo, français, psycho... Car les besoins sont multiples. À part ceux qui ont des alternances ou pas le temps, ils ont tous dit que c’est génial. On veut des profils recommandés par les agriculteurs pour les agriculteurs."
En tout, elles ont ciblé plus de 300 candidats par relation ou via les réseaux : Instagram, mais aussi LinkedIn et TikTok. La cible : 14/26 ans.
57% des projets de recrutement du secteur agricole sont jugés difficiles. Nous souhaitons mettre en lumière les métiers agricoles et attirer les jeunes vers ce secteur essentiel et vital pour notre société.
Clara Silveiro et Marnie Atgé, co-fondatrices de Clarnie
Agathe Brébant est une amie de Clara depuis le lycée. Elle est diplômée l’an dernier d'un master en marketing et communication digitale. "J’ai trouvé l’idée très bien dès le départ. Je me suis lancée comme auto-entrepreneur et elles m'ont mis en relation avec un agriculteur tarnais. Il avait des besoins pour la gestion et l'alimentation de son site qu’il avait laissé à l’abandon. Il voulait aussi créer un compte Instagram. Je l’ai eu au téléphone, je me suis rendu dans ses locaux. Le dialogue est fluide et clair. Tout se passe très bien. Je suis contente que le projet ait pris une telle importance en si peu de temps."
Pour la petite histoire, Marnie Atgé est aussi passée chez cet agriculteur pour un stage avant de lancer le projet. "On essaie toujours de créer une relation de confiance. Au bout de deux semaines, ils m’ont laissé conduire une moissonneuse très très chère en plein champ !"
Avant de mettre en relation les agriculteurs avec les étudiants, un entretien a lieu avec ces derniers pour éviter le plus de déconvenues possibles. Tout se passe en toute transparence, Clara et Marnie réalisent aussi des vidéos sur les agriculteurs pour montrer sans angélisme où ils vivent et comment ils travaillent. Elles ne font que mettre en relation via les réseaux sociaux sur lequel elles travaillent et une application à venir. C'est ensuite à l'agriculteur et à l'étudiant de convenir des modalités du contrat.
La suite du projet
En idée de fond du projet, elles souhaitent également sensibiliser la jeunesse au milieu agricole. Et pourquoi pas créer des vocations.
L'idée est intéressante car elle répond à de vrais besoins, sans aller en concurrence avec ce qui existe déjà : service de remplacement agricole, jobs étudiants, jobs d'été. Le projet est bien lancé et relayé par des personnes influentes. Pour l'instant Clarnie est présent sur les réseaux et un site internet devrait voir le jour. Pour aller plus loin, elles lancent une campagne de financement participatif sur la plateforme MiiSOMA spécialisée dans le domaine agricole.
"Dans un premier temps, on espère obtenir 10000€ pour notre site internet. C'est notre premier palier. Le deuxième, c'est 7000€ de plus pour la communication. Et pourquoi pas atteindre le troisième avec 25000€ pour lancer l'idée dans toute l'Occitanie, puis la France et l'Europe. Ensuite, il y aura l'application mais on veut tester le produit et le co-construire avec les agriculteurs et les étudiants. C'est l'humain qui est au cœur de notre projet."
En attendant, elles viennent de remporter le concours CRECE (concours régional des étudiants créateurs d’entreprise) avec 4000€ à la clé.
Le modèle économique prévoit pour l'instant une adhésion mensuelle de 4€ pour les coopératives qui doivent s'engager pour un an et de 4,99€ pour les agriculteurs qui peuvent se désengager quand ils veulent. Elles espèrent pouvoir se dégager un SMIC pour chacune lors du premier exercice et embaucher des gens dès que possible pour le service client, la communication et la partie commerciale. "Notre objectif ultime : aider tous les agriculteurs qui en ont besoin. Ne laisser personne sur le côté. Nous voulons faire ce métier car il correspond à nos valeurs. On est super ravies de le faire à deux."
Mais les études ne sont pas encore terminées. Il y aura la soutenance du mémoire en septembre et devinez quoi : elles vont la faire ensemble. Une première à l'ENSAT.