Rugby : La dépression dans le rugby professionnel, une réalité qui se dévoile

Longtemps passée sous silence, la dépression touche de nombreux joueurs de rugby professionnel, au cours de leur carrière ou lorsque celle-ci s'achève. Aujourd'hui le tabou commence à être levé, certains joueurs osent en parler, et le syndicat Provale a créé une cellule de soutien psychologique qui leur offre écoute et accompagnement.

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Le vide, la perte de repères, de sens, le laisser-aller, le manque d'adrénaline, Julien Tomas a connu tout ça quand il a mis fin à sa carrière de joueur professionnel. Pendant 15 ans l’ancien demi de mêlée de Montpellier et du XV de France a connu l’intensité des grands matchs, trois finales au Stade de France, le Tournoi des six nations, une vie d'une grande exigence, et de lumière, qui s'est arrêtée il y a cinq ans.

L'adrénaline, l'endorphine qui te montent dans les tours, (...) ce côté qui te pimente le cerveau, c'est compliqué de retrouver ça

Julien Tomas

ancien demi de mêlée de Montpellier et du XV de France

"L'adrénaline, l'endorphine qui te montent dans les tours, et que tu n'a plus. Quand tu retombes, tu es en roue libre, ça c'est dur." raconte-t-il aujourd'hui. "Quand tu arrêtes tu te dis qu'il n'y a plus d'exigence. Qu'est-ce que ça fait si je me couche à quatre heures du mat' ? Qu'est-ce que ça fait si je grossis ? T'as plus de repères, ton cerveau n'est plus programmé à être restreint, droit. Ce côté qui te pimente le cerveau, c'est compliqué de retrouver ça." reconnaît-il.

Des addictions pour compenser

Hypnothérapeute et préparateur mental, l’ancienne joueuse internationale Maylis Bonnin est l’un des trois intervenants de la cellule psychologique créé en 2019 par le syndicat de joueurs professionnels Provale. Un dispositif unique en France dans les sports collectifs, qui offre une écoute et un accompagnement aux joueurs en difficulté.

Pour compenser le manque d'adrénaline que décrit Julien Tomas, elle constate chez ceux qui viennent la voir le recours fréquent à des addictions : "Ceux qui font la démarche, ils font le constat qu'ils sont dans l'addiction, ça peut-être de l'alcool, des jeux, de la sexualité aussi, et à un point presque de non retour. Et c'est là qu'ils appellent à l'aide" constate-t-elle.

Une démarche difficile à engager

Le rugby est un sport de combat, pratiqué par des guerrières et des guerriers. Pas simple d'y faire une place à la fragilité. "Le plus dur, c'est le premier pas. Mais une fois qu'ils ont fait la démarche, la parole se libère. C'est accepter de dire qu'on est vulnérable. Toute notre carrière de rugby on a cultivé justement cette force mentale, donc forcément ça peut paraître antinomique. Culturellement, on n'a pas été habitué à ça, exprimer ses émotions, acquérir des outils pour les gérer, accepter d'être traversé, savoir que c'est transitoire. Ce n'est pas un aveu de faiblesse." explique  Maylis Bonnin.

Il y a la dépression pendant la saison, pendant la carrière. Il y a l'après, mais il y a pendant aussi.

Julien Tomas

ancien demi de mêlée de Montpellier et du XV de France

Julien Tomas se souvient qu'il s'était dit : "en fin de carrière, j'irai vider mon sac, ça va me libérer." Parce que les souffrances psychologiques n'apparaissent pas seulement quand ça s'arrête. "Tu prends sur toi-même, tu ne te dis pas que tu as mal, tu joues avec des blessures, tu ne pleures jamais. Alors que des fois tu as envie de chialer parce que ça fait deux mois que t'es pas dans le groupe et que t'as envie de tout foutre en l'air. Il y a la dépression pendant la saison, pendant la carrière. Il y a l'après, mais il y a pendant aussi" confie-t-il.

Dépression post-commotion et burn-out

Blessures, mises à l'écart, concurrence, Maylis Bonnin confirme que les facteurs de souffrance psychologiques peuvent être multiples au cours d'une carrière : "La dépression est aussi un symptôme possible de suite de commotion. Il y a des burn-out aussi. Les joueurs qui évoluent en équipe de France et en Top 14 sont tout le temps sollicités. C'est un rythme effréné. Les années s'enchaînent à un rythme fou. Et parfois la blessure c'est un moment où on peut souffler, c'est malheureux mais c'est une réalité" constate-t-elle. "Chez les filles, le rythme est un peu moins soutenu au niveau de la compétition, mais plus au niveau études ou travail parce qu'elles ne sont pas pro, donc c'est une grosse charge aussi."

Ne pas perdre de vue l'après

Pour l'ancienne joueuse, il est indispensable de ne pas perdre de vue, même au plus fort de sa carrière sportive, le double projet professionnel qui est mis en place en centre de formation. Et de développer d'autres centres d'intérêt, d'autres appétences. 

Loic Charlon, qui est venu se confier à elle, en est l'illustration. Blessures, commotions, il a 32 ans quand il doit arrêter prématurément sa carrière en pro D2, et après une dernière saison difficile, sa nouvelle vie sans le rugby l'est aussi. L’ancien deuxième ligne de Perpignan a sombré : "J'ai été très focus rugby, à fond dans ma carrière pendant 10 ans. On ne pense que rugby, on mange rugby, on dort rugby. Tu penses pas à l'après, tu vis le truc et ça passe très vite. J'ai eu une grosse blessure avec six mois de rééducation. Ça a précipité la fin de ma carrière. Et là tu te retrouves à te demander qu'est-ce que tu fais. Qu'est-ce que je sais faire, qu'est-ce que je peux faire, qu'est-ce que j'aime faire d'autre que le rugby. Et c'est plein de questions qui te sont jetées à la gueule d'un coup et il faut arriver à  dépatouiller tout ça et c'est compliqué. Surtout quand tu fais des grosses dépressions comme j'ai pu faire. Tu n'as plus d'énergie pour rien, plus d'envie. Tu ne peux pas t'en sortir tout seul" témoigne-t-il.

Depuis Loïc a fait du chemin, accepté le trouble bipolaire qui lui a été diagnostiqué, et trouvé de nouvelles perspectives professionnelles qui valorisent les compétences acquises en pratiquant le sport de haut niveau.

Recueillir la parole, proposer des exercices, des séances d'hypnose, des bilans de compétences, orienter vers des centres d'addictologie ou d'accueil psychologique, les solutions proposées par la cellule de soutien de Provale sont multiples.

Et Provale espère développer la prise en compte de la santé mentale au sein des clubs de rugby, à travers des formations dispensées aux encadrants. C'est un des projets de la saison prochaine.

(Avec Sophie Pointaire)

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