Des avocats demandent la nullité de fichiers issus du réseau crypté SKY ECC, utilisé par la criminalité organisée. Basées sur ces conversations interceptées, des informations judiciaires pour trafic de drogue, homicides et blanchiment d'argent à Toulouse (Haute-Garonne) pourraient être annulées.
L'affaire étudiée, jeudi 26 janvier 2023, par la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Toulouse (Haute-Garonne) est particulièrement "sensible". Elle sera sûrement très attentivement suivie partout en France par les enquêteurs et magistrats luttant contre la criminalité organisée.
Plusieurs avocats demandent la nullité de fichiers issus du réseau crypté Sky ECC. Ces conversations ont permis à la justice d'ouvrir trois informations judiciaires à Toulouse (Haute-Garonne) pour des faits de trafic de stupéfiants, de blanchiment d'argent et d'homicide en bande organisée.
Sky ECC, l'application cryptée des trafiquants
"Ce sont des éléments issus du craquage d’un serveur Sky ECC à Roubaix que l’on estime être totalement illégal et par conséquent leurs données récupérées qui le sont également " estime Me Alexandre Parra-Bruguière, l'un des avocats à l'origine de la demande d'annulation de ces pièces.
Sky ECC est l'application préférée des trafiquants à travers le monde. A l'aide d'un téléphone spécialement conçu au Canada, les criminels profitent de ce système de cryptage pour communiquer entre eux sur leurs affaires : règlement de compte, livraison de drogue, transfert d'argent.
Comme le rapporte le quotidien le Monde, le 15 février 2021, "après plusieurs mois de recherches, les services de police belges parviennent à accéder en direct au contenu des quelque 1,5 million de messages échangés quotidiennement entre 164.000 utilisateurs sur cette application particulièrement prisée par les narcotrafiquants du Benelux, mais aussi de région parisienne : 12.000 utilisateurs sont recensés aux Pays-Bas, 6.000 en Belgique, 2.000 en France" dont Toulouse...
Des centaines de mises en examen grâce aux informations issues de Sky ECC
Quelques jours plus tard, une opération menée conjointement par les services belges, français et hollandais permet 48 arrestations, la saisie de plus de "17 tonnes de cocaïne, 1,2 million d'euros, et des arsenaux complets."
La juridiction chargée de la lutte contre la criminalité organisée (Junalco) récupère alors l'ensemble des données de Sky ECC pour ensuite les ventiler dans toutes les juridictions françaises. Un partage d'informations qui a permis, selon le décompte du Monde, d'alimenter "67 dossiers déjà ouverts" et de mettre en examen 111 personnes.
À Toulouse, en mars 2022, le procureur de la République annonce l'interpellation de 6 individus, "résultat de l'interception des communications du réseau crypté Sky ECC", dans le cadre de trois informations judiciaires distinctes.
Les deux premières avaient été ouvertes par le service de lutte contre la criminalité organisée du parquet de Toulouse, suite à deux homicides par arme à feu, survenus le 24 aout 2020 aux Izards pour le premier et le 7 septembre 2020, au même endroit, pour le deuxième. Ces meurtres avaient été perpétrés dans le contexte de rivalités liées au trafic de stupéfiants. La troisième instruction, ouverte par le même service, visait des faits de blanchiment de trafic de stupéfiants en bande organisée.
Procureur de la République de ToulouseCommuniqué de presse, le 18 mars 2022
Une captation de données de masse ?
Ce sont les éléments issus de Sky ECC qui sont aujourd'hui attaqués par les avocats des mis en examen dans ces différents dossiers toulousains. "Avant d'arriver à Toulouse, l'enquête a commencé à Lille, puis a été transmise à Paris pour finir chez nous, explique Maître Caroline Marty, avocat de la défense et nouveau bâtonnier de Toulouse. Le premier motif de nullité que nous souhaitons soulever est le fait de ne pas avoir accès à des pièces qui nous permettrait de vérifier la régularité de la procédure. Nous contestons également les conditions de transmission des pièces au parquet de Paris, puis au parquet de Toulouse."
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Pour Me Alexandre Parra-Bruguière, la récupération des fichiers Sky ECC relève tout simplement "de la captation de données de masse." "Habituellement, vous avez une personne suspecte et dont le téléphone, et ceux de ses proches, est mis sur écoute. Dans le cas de Sky ECC, la justice considère qu’un serveur dans sa globalité peut être écouté et surveillé, sous prétexte qu'il n'est utilisé que par des criminels. Dans ce dernier cas de figure, c’est un peu comme si, on nous dit que des délinquants utilisent un opérateur téléphonique, les enquêteurs vont donc décider de compulser toutes les conversations et tous les sms de l'ensemble des clients de cet opérateur. Je pense que cela poserait problème à pas mal de gens" argumente-t-il.
Des procédures déjà annulées en Belgique et aux Pays-Bas
Les avocats toulousains espèrent être entendus par la chambre de l'instruction, afin notamment d'aboutir à l’annulation des mises en examen. Mais Me Parra-Bruguière voit plus loin : "si on peut annuler ces éléments-là, cela fera tomber énormément de procédures, pense-t-il. C’est déjà arrivé aux Pays-Bas, en Belgique. Il y a déjà eu pas mal de procédures qui ont "sauté" dans les pays du Nord. Pas encore en France. Ce serait une première."
Vu l'enjeu, il est fort probable que ce soit à la Cour de cassation de trancher au final la question. "Soit on obtient gain de cause et le parquet général formera un pourvoi, analyse l'avocat, soit c'est le contraire. Dans ce cas, c'est nous qui irons en cassation."