Souvenez-vous, c’était il y a 20 ans, à Toulouse. Le 21 septembre 2001, l’explosion du hangar 221 de l’usine AZF fait 31 morts et des milliers de blessés. Un cadre d'AZF se souvient du choc et des efforts mis en oeuvre pour tenter de sécuriser ce qui pouvait l'être. Témoignage. #20ansexplosionAZF
Ils sont ouvriers, professeurs, commerçants, à la retraite, médecins, pompiers, élus. Ils ont tous les âges. Ils sont toulousains. Le 21 septembre 2001, tous ont vécu l'explosion au sein de l'usine AZF, plus grande catastrophe industrielle d'après-guerre en France. Tous ont été marqués, choqués... Qu'ils soient indemnes ou blessés, sinistrés ou dans le deuil. Vingt ans après, nous sommes allés à leur rencontre. Afin de recueillir leurs souvenirs.
Une première, puis une seconde explosion
Il est 10h17, Michel Gaubert, cadre au sein du bureau d'études d'AZF, se prépare pour la traditionnelle réunion du vendredi avec les services généraux et techniques.Son bureau se situe au sud de l'usine. "Brutalement, il s’est produit une explosion, la première explosion. Elle a été souterraine, sourde. Elle a secoué le bâtiment à tel point que j’avais un éclairage de bureau fait de néons, et leurs enjoliveurs en plastique sont tombés".
"Une deuxième explosion s’est produite, aérienne, beaucoup plus forte que la première, avec des bruits de verre dans le bâtiment, de cloisons qui tombent. Donc là, je suis descendu".
Il y avait déjà pas mal de morceaux de verre, il y avait même des gouttes de sang. Des tâches de sang.
Dès la première déflagration, Michel Gaubert a la certitude que l'explosion a eu lieu dans son usine. Mais comme son bureau est situé au sud du périmètre, il ne réalise pas immédiatement l'ampleur de la catastrophe. Les vitres sont brisées, le souffle a fait des dégâts importants mais, autour de lui, les bâtiments sont debout, les murs intacts.
"Il y a un grand cratère !"
"Jusque- là nous n’avions rien vu, nous ne savions pas ce qui s’était passé. Et c’est là que des personnes du dehors nous ont dit : mais il y a un grand cratère ! Il y a un grand problème qui s’est produit dans la zone nord de l’usine ".
Presque immédiatement, Michel Gaubert croise l'ingénieur "chaînes et fabrication" qui assure l'intérim ce jour-là alors que le directeur de l'usine est en vacances. Celui-ci lui donne plusieurs missions, coup sur coup.
"Il me dit : va voir à l’atelier d’ammoniaque si le stockage de 5.000 tonnes a pu être isolé." Michel Gaubert part en courant faire cette vérification, croise à l'extérieur le chef de l'atelier qui le rassure. "Oui, oui c’est isolé !".
On a un espèce de réflexe, on était comme boosté, on avait une sorte d’adrénaline. On savait qu’on devait mettre les ateliers, les installations en sécurité. On savait qu’on avait des choses à faire. Voilà.
Le cadre va d'une cuve d'acide à une autre pour vérifier qu'aucune fuite n'est en cours du fait d'impacts dus à l'explosion. Et il n'est pas le seul à s'activer au coeur de ce chaos. "Le personnel de fabrication, les conducteurs de travaux sont restés jusqu'au bout, jusqu'à ce que tout soit mis en sécurité. On craignait des fuites de produits chimiques. Tout ceux qui étaient valides ont participé à la mise en sécurité le jour-même et les jours qui ont suivi. Tout le monde était là le matin à 8 heures...".
Vingt-et-un de ses collègues sont morts
Peu après les deux explosions, les salariés réalisent progressivement qu'il y a des blessés. Des morts. Mais ce n'est que le lendemain qu'ils apprennent que vingt-et-un de leurs collègues ont laissé leur vie dans les décombres. "Vu l’intensité des explosions et les témoignages des gens qui venaient du nord, qui étaient blessés, qui saignaient… on se doutait bien que c’était une catastrophe majeure".
Michel Gaubert ne parvient à prévenir sa femme qu'à 15 heures. Toutes les liaisons par téléphone, portable, talkie-walkie sont coupées. La suractivité lui permet de ne pas penser. Mais le soir, alors qu'il reprend sa voiture pour rentrer chez lui, il craque.
"Après une telle journée, une telle tension, c’est là qu’on s’effondre. On est en pleurs, on s’effondre, on en peut plus. Je crois que le fait de participer à tous les secours et aux remises en état, cela a été une sorte de thérapie. Parce que j’ai constaté que certains collègues, qui avaient été blessés et qui n’avaient pu revenir qu’un mois après, ça avait été très difficile de revenir dans cet univers chaotique".
20 ans plus tard, Michel Gaubert souhaite parvenir à tourner la page. Mais il éprouve des regrets : "Difficile de de ne pas connaître la vérité vraie, la vérité technique. On a une vérité judiciaire qui ne nous convient pas. Pour nous, il n’a jamais été prouvé que ce mélange qui en lui-même est explosif, ait été réalisé".
Des pistes en suspens
"Et puis il est probable que toutes les pistes n’aient pas été étudiées à fond. Il y a d’autres pistes qui se sont révélées par la suite avec notamment la présence de la nitrocellulose dans le sol avec Saica Pack qui s’est produite au moment du deuxième procès". Saica Pack est une entreprise de carton ondulé où s'est déclenché, en décembre 2011, un incendie suite à une explosion qui serait due à de petits bâtonnets de nitrocellulose contenus dans les sous-sols. Ces derniers proviendraient des anciennes activités d'une poudrerie.
Pour Michel Gaubert, il y a peut-être d'autres causes. "C’est technique et c’est compliqué… De toutes manières, cela peut être un enchaînement de causes complexes".
"On peut être en colère contre le système mais 20 ans après, on ne peut pas y passer la vie. Il faut essayer de tourner la page… sauf si un événement venait un jour constester ce qui a été dit et faire surgir une autre hypothèse", conclut-il.
Retrouvez l'ensemble des témoignages recueillis pour la série anniversaire : il était 10h17, les 20 ans de l'explosion de l'usine AZF.