Alors qu'un nouvel appel à la mobilisation est lancée par la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs, les syndicats agricoles confient leurs craintes et leurs attentes des conséquences sur leur dossier après la dissolution de l'Assemblée nationale et la montée du Front national dans les campagnes.
"Cette dissolution de l'Assemblée nationale a été une grosse surprise", réagit Jérôme Bayle, agriculteur à Montesquieu-Volvestre en Haute-Garonne qui avait lancé les blocages de l'A64 en janvier dernier et plus récemment organisé une mobilisation avec les agriculteurs espagnols.
L'annonce de nouvelles élections législtatives les 30 juin et 7 juillet prochains et le changement d'équipe nourrissent quelques inquiétudes chez celui qui avait reçu Gabriel Attal, fraîchement nommé Premier ministre, près du blocage de Carbonne, avant la levée des blocages.
"Est-ce que l'on va retrouver un gouvernement qui nous écoute autant que celui-ci, qui a fini par nous écouter ces derniers mois ? " s'interroge-t-il. Le président des "Ultras de l'A64", un nouveau mouvement apolitique et asyndical, espère surtout "que tous les projets de la loi et la réforme agricole qu'on est en train de travailler se poursuivront. On traitera avec les gens qui sont en place, est-ce que ce sera plus facile ou pas ? Malheureusement, les agriculteurs ont tendance à voter au centre ou pour l'Extrême droite, analyse l'agriculteur. Il faut quand même se rappeler qu'il y a 72 heures, ils s'insultaient tous. Maintenant, qu'il y a des places à prendre .... Ça prouve que quand les gens veulent s'entendre, ils en sont capables !"
J'espère que les députés élus défendront la population et ne se feront pas élire pour sauver leur tête.
Jérôme Bayle, président des Ultras de l'A 64
Depuis dimanche, Jérôme Bayle a lui aussi reçu des messages l'incitant à se présenter à la députation. Des propositions qu'il balaye d'un revers de main : " la politique ne m'intéresse pas, je préfère défendre le métier ! "
Ultimatum pour le versement des aides
L'inquiétude est aussi partagée par le président de la Fédération régionale des syndicats d'exploitants agricoles d'Occitanie (FRSEA), Philippe Jougla. D'autant que le premier syndicat agricole, venait tout juste de tirer la sonnette d'alarme auprès du gouvernement le 7 juin concernant les derniers versements de la PAC Maec et agriculture biologique en lui lançant un ultimatum mi-juin. "La FNSEA et les Jeunes agriculteurs appellent le gouvernement à respecter ses engagements d'une régularisation totale et définitive au 15 juin".
Selon la FNSEA et les JA, "près d'un quart des agriculteurs engagés dans une démarche environnementale n'ont pas reçu la moitié des montants de leurs aides", comme elle le précise sur son compte Facebook :
"C'était pourtant une promesse du gouvernement", rappelle Philippe Jougla.
C'est d'autant plus important que le délai auprès de Bruxelles est fixé au 30 juin pour leur versement. La France risque donc d'avoir un problème au Parlement européen.
Philippe Jougla, président de la FRSEA Occitanie
Pour maintenir la pression, les deux syndicats appellent à une nouvelle mobilisation ce lundi 17 juin. Mais les craintes ne s'arrêtent pas là. La plus importante réside dans une reprise à zéro du dossier agricole avec le prochain gouvernement. " La dissolution est à minima une perte de temps même si nous travaillons avec tous les élus", précise le président de la FRSEA Occitanie.
L'arrivée en tête du Rassemblement national dans les 8 départements de l'ex région de Midi-Pyrénées est-elle une surprise pour le patron du syndicat régional ? "C'était déjà le cas lors de précédentes élections qui avaient déjà révélé l'ancrage de l'extrême droite dans les zones rurales". Est-ce le seul fait des agriculteurs ? "Les enquêtes Ipsos avaient expliqué que les agriculteurs n'étaient pas tous dans des zones rurales. Ce qui est clair, c'est que ce vote lors de ce dernier scrutin est un vote de rejet, une conséquence de la fracture territoriale et d'un sentiment de déclassement", jauge Philippe Jougla, en prenant soin de préciser : "Tous nos adhérents et nos élus sont entièrement libres de leurs choix mais nous ne faisons pas de politique."
Négocier les revenus, la baisse des charges
"Peut-être que les gens veulent que ça change", explique quant à lui Lionel Candélon, le président de la Coordination rurale du Gers où le parti de Marine Lepen a réuni 31% des voix, une première dans ce département. "Cela fait 50 ans qu'on a les mêmes partis politiques. Si les agriculteurs ont pu voter pour le RN c'est peut être pour avertir le gouvernement qu'il y a du danger pour leur profession ou pour mettre Le RN au pouvoir car il n'a jamais gouverné."
La dissolution de l'Assemblée nationale est pour le président du syndicat, non inscrit sur les listes électorales, "à l'image du gouvernement, un gros sketch !", cingle Lionel Candelon, récemment entendu par les gendarmes pour des dégradations à l'Office français de la biodiversité, condamnées par le ministre Christophe Béchu, en charge de la Transition écologique et de la cohésion territoriale. "Ce qui me fait peur, c'est qu'on n'ait plus de marge de manœuvre. Si le parti de Macron repasse, ce sera compliqué de négocier la baisse des charges et de meilleurs revenus pour les agriculteurs. Mais que celui qui sera élu fasse son travail ! "Je m'en fiche que les députés soient réélus ou pas, ce qui m'importe, c'est que les agriculteurs aient un revenu pour vivre et qui donne aussi envie aux jeunes de s'installer."
Taxé à plusieurs reprises d'être proche du Rassemblement national y compris par Emmanuel Macron lors du salon de l'agriculture, Lionel Candelon rétorque :
On ne fait pas de politique, nous coller cette étiquette, c'est la manière qu'ont les autres syndicats de nous mettre en porte-à-faux. Certains ont pu déraper au niveau national, on les recadre ensuite en interne. Ce que votent les membres du syndicat, c'est leur opinion, mais je ne veux pas le savoir.
Lionel Candelon, président de la Coordination rurale du Gers
Appel à gauche
Engagé politiquement, le Modef, Le Mouvement de défense des exploitants familiaux autre syndicat agricole gersois, se déclarait, dans un communiqué, favorable à la création d'un Front populaire rassemblant "l'ensemble des forces de gauche de notre pays, au lendemain des résultats des élections européennes". " Non, le RN n'agit pas en faveur de nos campagnes !" écrit sa présidente, Lucie Lafforgue.
"Nous, paysannes et paysans du MODEF, croyons en l'avenir de notre territoire rural (...) Nous savons que les lois environnementales ne sont pas de l' « écologie punitive » mais viennent avant tout protéger nos outils de production : nos corps, les sols, l'eau, l'air et le vivant.
Et d'ajouter :
Nous voulons parler de solidarités paysannes internationales et en finir avec les concurrences qui appauvrissent l'ensemble du monde paysan.
Lucie Lafforgue, présidente du Modef 32
Le Modef conclut en invitant "l'ensemble de nos concitoyennes et de nos concitoyens à ne pas se tromper de colère".