Témoignages. "Entre 600 et 700 personnes concernées et 90 millions d'euros de préjudice" : les victimes du scandale financier "L'Immeuble" au plus mal

Publié le Écrit par Stéphanie Bousquet
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Depuis la liquidation judiciaire en janvier du cabinet immobilier L’Immeuble (qui gérait de nombreuses sociétés immobilières et syndics dans toute l’agglomération toulousaine), les victimes s'organisent. Le préjudice s'élèverait à 90 millions d'euros et concernerait entre 600 et 700 personnes. Une centaine d'entre elles vient de se réunir dans un collectif.

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C'est une affaire complexe qui secoue Toulouse, sans doute l'une des faillites les plus retentissantes dans la ville rose depuis des décennies.

Depuis la mise en liquidation judiciaire de la SARL l'Immeuble, spécialisée dans la gestion immobilière et la mise en examen, cet été, de son gérant, Jean-Claude Vergnes, les nombreux investisseurs en lien avec cette société sont inquiets.

Ils pourraient être les victimes de ce que l'on appelle "une cavalerie" dans le jargon immobilier. Selon le procureur de la République Samuel Vuelta-Simon en juillet 2024 : "Les fonds collectés, environ 25 millions d'euros, auraient en réalité servi à éponger les dettes des sociétés, à verser des intérêts promis et à alimenter le train de vie des gérants et de leurs proches".

Plus de 600 victimes pour 90 millions d'euros de préjudice

Mais le préjudice serait encore plus grand selon un collectif de victimes qui réunit déjà une centaine de personnes.

Il y aurait, selon nos calculs, entre 600 et 700 victimes et plus de 90 millions d'euros de préjudice. C'est énorme. On aimerait comprendre ce qui s'est passé. On veut surtout savoir où est passé notre argent ? Pour certains, cela représente les économies d'une vie !

Pierre, collectif de victimes la SARL l'Immeuble

Pierre (un nom d'emprunt), à l'origine de ce collectif de victimes, essaye de réunir le maximum d'informations et cherche à comprendre où sont passés les fonds d'investissement qui composaient cette société de gestion immobilière.

 

Le dirigeant mis en examen pour escroquerie en bande organisée, abus de confiance et blanchiment

En effet, le cabinet l'Immeuble, composée d'une multitude de sociétés de gestion immobilière (SCI) existe depuis plus de 30 ans à Toulouse. Cette société de gestion a pignon sur rue. "Le nom et la réputation de la famille Vergnes, très connue dans la gestion immobilière depuis des années, nous ont tous rassurés. Beaucoup d'investisseurs étaient même des proches de la famille, on leur faisait confiance", nous explique Pierre, lui aussi victime de cette liquidation judiciaire. 

Une liquidation judiciaire qui soulève beaucoup d'interrogations. Les zones d'ombre sont encore nombreuses. Le principal dirigeant du Cabinet l'Immeuble Jean-Claude Vergnes, est soupçonné d'avoir créé un système de placement financier illégal.

Cet été, ce dirigeant a été placé en garde à vue et mis en examen en juillet 2024 pour "escroquerie en bande organisée, exercice illégal de la profession de banquier, abus de confiance et blanchiment" par le parquet de Toulouse.

Un système de prêt illégal

Les enquêteurs de la Direction Territoriale de la Police Judiciaire de Toulouse ont en effet mis à jour un système de prêts d'argent illégal, comme l'explique le parquet dans un communiqué datant de juillet 2024 : 

Des particuliers à la recherche de placements financiers rémunérateurs ont prêté des sommes importantes, souvent de l'ordre de plusieurs centaines de milliers d'euros, à la SARL cabinet l'Immeuble ou aux SCI gérées par celui-ci, moyennant la perception d'intérêts garantis au taux de 7 à 10% par an. Ces prêts ont fait l'objet de conventions, dites "de trésorerie", en dehors de tout cadre légal et en violation du monopole bancaire.

communiqué de presse du parquet de Toulouse, juillet 2024

Au total plus de 227 conventions de trésorerie auraient été signées. Le dirigeant mis en cause a été incarcéré plusieurs jours, mais il a été libéré le 2 août dernier et placé sous contrôle judiciaire dans l'attente d'un procès au pénal et au civil.

À lire : Scandale dans l'immobilier toulousain : le gérant d'un cabinet de gestion et sa famille mis en examen pour une escroquerie estimée à 25 millions d'euros

"Tout le patrimoine toulousain est impacté"

L'avocat de Jean-Claude Vergnes, Denis Boucharinc s'est félicité de la décision des juges. "Les juges s'en sont tenus au droit, rien qu'au droit. Il n'y avait aucune justification à maintenir mon client en détention".

En 40 ans d'exercice, je n'ai jamais vu un dossier d'une telle ampleur qui touche à ce point tout le patrimoine toulousain. C'est un dossier "extraordinaire" qui fait l'objet d'une enquête préliminaire depuis 2020. Pendant l'enquête, le parquet a fait ce qu'il a voulu, sans la moindre contradiction. Placement sous écoute, démarchages, utilisation de la presse etc... il a allégrement piétiné la présomption d'innocence.

Me Denis Boucharinc, avocat de Jean-Claude Vergnes

La Défense vient enfin tout juste d'avoir accès au dossier. L'avocat de Jean-Claude Vergnes reconnaît qu'il y a d'importants préjudices financiers.

"Ce dossier fait quatorze tomes d'enquête après une enquête préliminaire qui aura duré quatre ans, un dossier qui n'est toujours pas numéroté. Entre la mise en examen de Jean-Claude Vergnes et son incarcération, on n'a même pas eu le temps de lire la synthèse. Tout est très compliqué dans cette affaire, il est difficile d'évaluer le préjudice, mais le chiffre de 90 millions d'euros me paraît extravagant. Il faut savoir que depuis la liquidation judiciaire, tous les avoirs de l'entreprise ont été gelés. Donc les clients de la SARL l'Immeuble ne perçoivent plus les rendements de leurs placements immobiliers, ce qui explique les pertes", précise l'avocat de Jean-Claude Vergnes.

"La SARL l'Immeuble était un réseau patrimonial d'amitié"

Ceux qui ont perdu de l'argent savaient qu'ils signaient des conventions, ils étaient parfaitement informés des conditions des contrats. Ce n'était pas du tout une pyramide de Ponzi. Car si tel était le cas, tous les investisseurs seraient alors complices. Non, cela ressemble plus en effet à une cavalerie. Mais à l’origine, la société l'Immeuble, c'était un réseau patrimonial d'amitié. Des investissements entre amis. Mon client est aujourd'hui exsangue économiquement.

Me Denis Boucharinc, avocat de Jean-Claude Vergnes

900 000 euros saisis par la justice

Les sommes en jeu sont considérables. "Nous nous sommes organisés en collectif pour pouvoir mieux se défendre face à la complexité de l'affaire. Nous n'avons toujours aucune réponse à nos questions ", poursuit Pierre qui parle aux noms des victimes. 

La justice a déjà saisi 900 000 euros sur les comptes de l'entreprise, c'est beaucoup, mais très peu au regard de l'ampleur du préjudice que nous évaluons à plus de 90 millions d'euros. Où est donc passé le reste ?

Pierre, président du collectif des victimes de la SARL l'Immeuble

La société l'Immeuble avait des fonctions d'investissements immobiliers et de gestion de syndics. Selon le collectif de victimes, la société avait plus de 1000 appartements en gestion sur Toulouse et ses environs. "Pour certains investisseurs qui préfèrent rester anonymes, les pertes s'élèvent à plusieurs millions d'euros. Ils ont tout perdu, ils se sentent floués, certains vont très mal", nous explique Pierre. 

Certaines victimes vont très mal

D'autres investisseurs, plus petits, ne vont pas mieux. "Nous avons une dame, elle avait confié 100 000 euros à la société l'Immeuble pour du placement immobilier. Tout a disparu. Ce sont les économies de toute une vie, cette personne n'ose pas en parler, même pas à sa famille, elle se sent très mal", poursuit Pierre. 

Certains propriétaires sont tout aussi démunis comme dans un immeuble de la rue Bayard à Toulouse. 

Les propriétaires d'une petite co-propriété rue Bayard à Toulouse, par exemple, ont chacun versé 1000 à 1500 euros par an à leur syndic géré par l'Immeuble pour ravaler leur façade. Avec la faillite de l'entreprise, tout leur argent a disparu, les propriétaires sont démunis. Ils ne peuvent plus faire les travaux. C'est un exemple parmi tant d'autres victimes. Certains sont ruinés.

Pierre, collectif des victimes de la société l'Immeuble

En effet, l'argent de certains syndics, qui était géré par l'entreprise liquidée, a tout simplement disparu. "Des avances pour charges, le paiement de certains travaux, tout a disparu, tout. Les propriétaires n'ont plus rien et doivent repayer parfois pour les artisans", insiste Pierre. 

"L'argent serait parti dans la liquidation judiciaire", selon l'avocat de Jean-Claude Vergnes

"Je suis stupéfait que cette personne en soit arrivée là. C'est une famille très connue à Toulouse qui travaillait dans l'immobilier depuis des décennies. Ils avaient toute notre confiance. Mais je comprends qu'ils n'étaient pas de bonne foi, l'argent a forcément transité quelque part, j'espère que l'enquête et la justice nous permettront de savoir où ! ", conclut Pierre. 

L'argent est parti dans la liquidation judiciaire et pas dans les poches de la famille Vergnes. S'il n'y avait pas eu autant de saisies pénales à partir de décembre 2022, la SARL l'Immeuble n'aurait peut-être pas autant été mise en difficulté. Jusqu'aux saisies pénales, nous n'avions pas de victimes. Jean-Claude Vergnes ne s'est pas servi dans la caisse comme on veut le laisser à penser.

Me Denis Boucharinc, avocat de Jean-Claude Vergnes

Une affaire tentaculaire 

Ce sera tout l'enjeu de l'instruction. Comprendre pourquoi et comment cette société s'est effondrée. Car de nombreuses parties civiles attendent d'être remboursées. En effet, à Toulouse, parmi ces particuliers lésés, il y aurait des investisseurs privés, des agents immobiliers mais aussi des magistrats, des avocats.

Ils auraient cédé aux tentations des rentabilités promises par Jean-Claude Vergnes mais auraient du coup perdu beaucoup d'argent.

Fin 2022, le président socialiste du conseil départemental de la Haute-Garonne Georges Méric se voyait cité dans ce dossier tentaculaire, juste avant de démissionner de son poste. Ses sociétés immobilières ont aussi été en lien avec le cabinet l'Immeuble dans la construction d'un Ehpad et a lui même été dans le collimateur de la police judiciaire.

Autre dossier important sur lequel les juges vont devoir se pencher et qui aurait aussi eu un impact considérable sur le fonctionnement de la SARL l'Immeuble. Celui de la clinique Saint-Jean, un projet abandonné de 40 000 m2 de terrains gérés par l'une des sociétés immobilières de Jean-Claude Vergnes.  Une plainte contre X a été déposée pour "escroquerie aggravée en bande organisée" concernant les conditions de vente de ces terrains. Une enquête est en cours.

Aucune date pour le procès au pénal

Pour le moment, un nouveau juge d'instruction vient d'être nommé. Il va désormais instruire l'enquête. Une procédure qui risque d'être longue au regard de l'ampleur du dossier qui comporte des milliers de pages et concerne des centaines de personnes.

"Le dossier est tel, que nous partons pour des années de procédure. Il est difficile de savoir, pour le moment, quand se tiendra ce procès au pénal", précise Denis Boucharinc, l'avocat de la Défense. 

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