Toulouse, les années gauchistes de l'après mai 68 racontées par Gilbert Laval

Il a raccroché son costume de journaliste pour coiffer sa casquette d'historien. L'ancien correspondant du journal Libération, Gilbert Laval, publie en février aux éditions Cairn "Le gauchisme flamboyant. L'après 68 à Toulouse" à partir d'entretiens réalisés avec 49 acteurs de la période.

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C'est un peu comme un reportage dans l’Histoire.

Gilbert Laval, l'ancien envoyé spécial permanent du journal Libération à Toulouse, 30 années durant, revient à ses premières amours d'historien en publiant chez Cairn un récit de Toulouse dans les années qui ont suivi mai 68 à partir d'entretiens réalisés avec 49 acteurs de ce temps de "gauchisme flamboyant". 

Ce récit, prévient l'auteur, à l'époque lycéen à Albi puis étudiant en histoire à l'Université du Mirail, n'est toutefois "ni un manuel d'histoire, ni un roman d'aventure politique ni encore moins un annuaire pratique de l'extrême-gauche des bords de la Garonne". Il s'agit d'"un récit de Toulouse par ceux qui y ont imaginé toute proche une révolution de la vie, ont couru sous les lacrymogènes ou ont abandonné leurs études pour aller s'établir en usine dans l'immédiat après-68".

"Ils et elles ont été plus de 49 à faire trembler la place du Capitole ces premières années de la décennie 70, observe Gilbert Laval. Les dialogues et plans de coupe retenus ne prétendent pas à une couverture encyclopédique de la période. Ils visent à rendre compte d'un élan (...) avec ce que cela comporte d'éléments vérifiés et recoupés, mais aussi de subjectivité".

"En tout cas, les acteurs et actrices de ces années flamboyantes qui nous ont confié leur témoignage, insistent tous pour dire le bonheur qu'a été pour eux de vivre ces temps qui ont changé les temps, qu'ils n'en regrettent surtout rien", ajoute notre confrère retraité, qui a bien voulu répondre à nos questions.


Pourquoi s'être personnellement intéressé à cette période ?

Gilbert Laval : Parce que ce temps a été exaltant ! j'ai vécu Mai 68 et le gauchisme qui a suivi, comme un monde qui se transformait sous l'effet de ce que nous y faisions. Y était découvert le pouvoir de dire non à ses parents, à ses profs, à son mari pour les femmes, aux policiers et magistrats gardiens d'un ordre jugé en bout de course.

La moindre idée, la moindre affirmation de soi valait opposition au monde ancien et donc invention d'un monde neuf. Les jeunes gens devenaient enfin acteurs de leur propre existence.

J'étais, moi, tout jeune lycéen à Albi où une classe pouvait refuser de rentrer en cours jusqu'à ce que soient levées les heures de retenue infligées à un élève. L'émancipation, le défi permanent à toutes les hiérarchies, le projet d'une société libre et heureuse étaient le carburant d'un mouvement anti-autoritaire général.

Retrouver les personnes qui ont fait le paysage dans lequel je me suis construit et traiter des années pendant lesquelles je me suis constitué, est une jolie façon de boucler la boucle pour l’ex-journaliste et ancien historien que je suis, non ? 


Qu'est-ce qui distinguait Toulouse des autres grandes villes françaises pendant mai 68 et les années de gauchisme qui ont suivi ?


G.Lv : A Grenoble, ce sont les maos qui étaient les plus agissants. A Rouen, les trotskistes. A Strasbourg, les “situs”. Les grandes villes du pays avaient chacune son genre dominant. Toulouse partageait avec Paris le fait d'abriter l’éventail complet de cette offre politique. Avec la particularité toutefois de n'être qu'à deux heures de voiture de l'Espagne du dictateur Franco qui garrotait encore les révolutionnaires.

La violence des manifestations contre le consulat d'Espagne de la rue Sainte-Anne en atteste : la fureur anti-franquiste était palpable dans cette ville capitale de l'exil républicain espagnol.

L'anti-franquisme a été la couleur toulousaine de l'antifascisme.


Pourquoi tout n’a-t-il pas basculé dans la violence armée ?

G.Lv : Chacun des groupes rêvant de révolution manipulait plus ou moins bien le cocktail Molotov, quelques cadres trotskistes s'entraînaient à l’usage du pistolet, la Gauche ouvrière et paysanne s’appuyait sur un service d’ordre plutôt très vigoureux.
Le Vietnam, Franco ou la dictature des colonels en Grèce : le climat politique général était à la violence. Là-dessus, à Toulouse, des armes circulaient, entre autres du fait des vieux anarcho-syndicalistes de la CNT. Mais, en effet, à la notable exception du libertaire Jean-Marc Rouillan parti guerroyer avec ses amis à Barcelone avant d’œuvrer à la fondation du groupe Action Directe, personne ne s'est saisi de ces armes.
La Cafétéria de l'Arsenal débattait sans fin des Brigades Rouges en Italie ou de la Bande à Baader en Allemagne. La violence est ainsi restée un débat. Le combat est resté politique. La réflexion chez les Trotskistes a contenu de toujours possibles débordements. Les mots l’ont aussi emporté chez les plus activistes : le leader maoïste toulousain est celui qui a prononcé à Paris le discours d’auto-dissolution de la Gauche prolétarienne devant les risques d’une dérive. Les libertaires toulousains hispanisants, une fois Franco décédé, ont jugé que la France n’était pas l’Espagne ni les CRS une armée d’occupation et qu’il n’était donc point besoin de jouer du pistolet.

Les révolutionnaires avaient trop réfléchi à la révolution pour laisser le plomb et la poudre l’emporter sur les idées et les mots.


Que sont ces révolutionnaires soixante et post-soixante-huitards devenus ?

G.Lv : Faut-il que j’évoque la poignée de militants devenus conseillers des cabinets ministériels, médecins ou professeurs au motif qu’ils seraient seuls restés visibles ? Et les autres, tous les autres ? La liste est longue de ceux qui ne sont pas devenus patrons de presse, de ceux qui ont milité des années ou quelques jours seulement, pour un idéal ou pour une cause très pratique et qui ont été une seule bulle de ce grand bouillonnement. Le maoïste baptisé Lagomme, alors parti s’établir en usine pour y inciter à la révolution vient tout juste de prendre sa retraite de prolo dans un atelier du côté de Carmaux.

Le gauchisme flamboyant, mouvement peut-être un brin tapageur mais à l'architecture politique de feu, n’est pas le seul fait de ceux qui l’ont incarné aux yeux du public. Il n'a pas de nom propre ni de curriculum vitae. Il est un mouvement, donc, une part de rêve collectif, un élan vers la vie qui a transformé les vies.
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