Cinq détenus de la maison d'arrêt de Seysses, près de Toulouse, lancent un recours par l'intermédiaire de leurs avocats. Les parois anti-covid installées dans les boxes familles pour les parloirs sont totalement hermétiques : impossible de s'entendre.
"Parle plus fort, je n'entends rien !" C'est la phrase répétée encore et encore pendant les parloirs familles à la maison d'arrêt de Seysses près de Toulouse rapporte l'avocate Justine Rucel. L'un de ses clients et des familles de détenus l'alertent : les parois anti-covid installées du sol au plafond et de gauche à droite rendent la pièce totalement hermétique et on ne s'entend plus. Certains ont même décidé de demander à leurs familles de ne plus venir "parce qu'ils considèrent que c'est plus douloureux qu'autre chose et ils ressortent des parloirs tendus de se voir sans pouvoir s'entendre alors que cela devrait être un moment d'apaisement", raconte Justine Rucel.
Une mesure illégale ?
Dans les films américains, les prisonniers s'installent sur une chaise, séparés de leur visiteur par une vitre puis, ils décrochent un téléphone pour discuter. En France, ce genre de séparation dans les parloirs est interdit. Sauf que le Covid est passé par là. "Une circulaire autorise ce genre de mesure pour des raisons sanitaires que l'on comprend bien" explique Julien Brel, avocat. "Mais la loi est supérieure à une circulaire. Et en l'occurence, la loi française et plus particulièrement le code de procédure pénal interdit les séparations physiques dans les boxes des parloirs familiaux" expliquent les avocats à l'origine d'un recours. Ils rappellent que la séparation est en fait autorisée seulement dans le cas de sanctions disciplinaires.
A Seysses, vingt boxes permettent aux familles de se retrouver. Parmi eux, deux sont prévus pour les sanctions disciplinaires donc avec séparation et hygiaphones (trous pour s'entendre). "Les deux détenus sanctionnés se retrouvent alors mieux lotis que les autres parce que dans leurs cellules au moins, ils peuvent s'entendre grâce à l'hygiaphone, qu'il n'y a pas dans les boxes familles classiques".
Le prétexte du Covid
Pour les trois avocats, c'est une atteinte à la vie familiale mais surtout, la crise sanitaire serait en fait un prétexte. "L'administration pénitentiaire le présente comme une mesure sanitaire là où nous voyons une mesure sécuritaire. C'est un détournement de pouvoir" explique Julien Brel. En effet, il précise que l'administration se base sur des rapports d'incidents pour mettre en place ces plexiglass du sol au plafond. Or, ces rapports seraient en fait d'ordre sécuritaire : "liés à l'introduction de produits illicites ou interdits dans ces boxes". Les parois anti covid ont alors été doublées.
Avant la crise sanitaire, il n'y avait pas de séparations dans les boxes. Pour assurer la sécurité et éviter la circulation de tous produits, les visiteurs étaient fouillés à l'entrée et à la sortie des parloirs. Désormais il y a séparation grâce au plexi, "et les familles sont fouillées malgré tout" explique Justine Rucel. "Elles sont maintenant frustrées et cette séparation est perçue comme une sanction, une injustice".
Les mesures anti-covid sont toujours au détriment des droits des détenus. Le temps de parloir est passé de 45 minutes à 30 minutes, et le nombre de visiteurs autorisés dans le box famille est passé de 4 à 1. Les détenus acceptent. Mais là, avec ces parois, ils sont maintenant obligés de crier pour pouvoir s'entendre et perdent donc toute intimité dans leurs conversations. C'est une entrave à la communication alors que le maintien des liens familiaux est fondamental pour qu'ils tiennent le coup et ne perde pas contact avec le monde extérieur.
Changement de réponse du ministère
Les trois avocats (Justine Rucel, Julien Brel et Sébastien Delorge) ont lancé un recours auprès du tribunal administratif, avec le soutien du syndicat des avocats de France représenté par Cécile Brandly. L'administration pénitentiaire étant sous l'autorité du ministère de la justice, ce dernier a d'abord refusé le recours "indiquant qu'il n'y avait aucune urgence et qu'à cause du Covid, ils ne pouvaient pas faire autrement" explique Sébastien Delorge.
Les avocats ont une nouvelle fois développé leurs arguments ce lundi 15 février et le ministre a finalement "informé le tribunal qu'il allait mandater un agent technique pour venir faire des trous dans les plaques de plexiglass" confirme Julien Brel. Et de reprendre : "les avocats rappellent qu'ils avaient alerté la cheffe de l'établissement de Seysses dès le début du mois de janvier, en vain." Avant de conclure : "il aura donc fallu que les détenus engagent une action devant le tribunal administratif pour que le ministre de la Justice prenne dimension des atteintes graves portées au droit des détenus au maintien des relations avec leurs proches". La réponse du gouvernement ne satisfait pas pour autant les avocats qui sollicitent la suppression du dispositif de séparation installé à Seysses parce qu'il demeure "contraire à la loi".
Sollicitée, l'administration pénitentiaire n'avait toujours pas répondu à nos questions ce lundi 15 février 2021.