Une fleur en plastique aux pétales colorés délivrant nectar, pollen, et informant en temps réel du passage d'une abeille : ce prototype, inventé par des lycéens normands, devrait permettre au CNRS de Toulouse d'étudier le butinage des abeilles et de mieux lutter contre leur déclin.
Le prototype, qui entre dans le cadre des épreuves du baccalauréat, se trouve encore au lycée technique Julliot de la Morandière de Granville (Manche).
Sous la houlette de leur professeur en systèmes numériques, des élèves de terminale de cet établissement normand se sont plongés pendant un an dans la vie des abeilles.
L'idée était de "décortiquer le terrain" pour permettre au chercheur toulousain du Centre de recherches sur la cognition animale du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) Mathieu Lihoreau, rencontré lors d'un précédent projet de ruche "connectée", de mieux comprendre le comportement des abeilles butineuses grâce à une fleur artificielle.
Élément clé de la préservation de la biodiversité et de la sécurité alimentaire grâce à son rôle de pollinisatrice, l'abeille peut butiner plusieurs centaines de fleurs et voler jusqu'à dix km par jour.
Grâce à elle, 80% des espèces de plantes à fleurs et à fruits de la planète sont pollinisées, et 35% de nos ressources alimentaires dépendent, selon l'Inra, de la pollinisation par les abeilles.
Mais depuis plus de 15 ans, l'hyménoptère disparaît des campagnes, fragilisé notamment par les néonicotinoïdes, ces insecticides qui s'attaquent au système nerveux et désorientent les insectes.
Les apiculteurs ont alerté il y a quelques jours les autorités, faisant état de taux de mortalité "d'une exceptionnelle gravité" cette année.
Si les facteurs de déclin sont connus, le comportement de butinage en conditions réelles est peu documenté.
Il est peu étudié dans la nature car suivre une abeille pendant plusieurs kilomètres est très compliqué,
explique Mathieu Lihoreau.
Une fleur connectée qui délivre pollen et nectar en quantité contrôlée et enregistre la visite de chaque abeille
"Un système de fleurs qui délivrent du nectar et du pollen en flux contrôlé et enregistrent le passage des abeilles grâce à un code barre collé dans leur dos permettrait de comprendre comment une abeille, avec un tout petit cerveau, arrive à résoudre les tâches cognitives extrêmement complexes que demande le butinage", poursuit le chercheur.
Pour concevoir leur "appât", les lycéens ont d'abord dû comprendre la morphologie des fleurs grâce à des dissections pratiquées en cours de biologie.
Ils ont aussi pioché dans l'univers des cosmétiques, utilisant une poire à maquillage pour distribuer le pollen, ou dans l'univers médical, avec une pompe à nutrition qui amène, en quantité contrôlée, le nectar sur la fleur.
L'opération la plus délicate fut sans doute l'étiquetage des bourdons, pollinisateurs moins agressifs et plus gros que les abeilles, sur lesquels les tests ont été pratiqués.
Un code barre étiquetté à la glue sur l'abdomen de chaque bourdon
Chaque code barre a été collé à la glue sur l'animal.
Quant au prototype, il arbore les pétales colorés de la fleur, mais pas la tige, un coeur en PVC rempli de nectar imprimé en 3D, et intègre une caméra pour filmer l'abeille. Il est aussi monté sur un châssis, dans lequel se trouve un mini-ordinateur qui envoie "les informations collectées dans une base de données", explique Cyril André, le professeur en systèmes numériques du lycée de Granville, qui a fait appel à la fondation Dassault Systèmes pour financer deux des machines utilisées pour éviter de "découper les pétales au cutter".
"On veut développer l'esprit créatif des élèves", souligne le professeur, pour qui "demain, tous les métiers seront potentiellement concernés par les objets connectés et la modélisation 3D".
La fleur artificielle a été testée avec succès sur les bourdons qui sont venus la butiner. "On aimerait que ça puisse aider les abeilles à survivre", confie Benjamin, l'un des trois lycéens, qui était chargé de réfléchir à la distribution du nectar.
Si les conditions sont réunies, notamment en attirant des laboratoires co-financeurs intéressés par l'expérience, des tests à grande échelle pourraient démarrer l'an prochain avec, pour commencer, quatre ou cinq fleurs connectées dans les quelque 50 ruches du CNRS à Toulouse.
Quantité de nourriture disponible, champ avec ou sans pesticides, avec ou sans parasites, champs électromagnétiques, couleurs des fleurs, localisation, taille et parfum de la fleur... "On peut faire varier tous les paramètres et comparer les données obtenues dans des conditions environnementales différentes", précise Mathieu Lihoreau, ajoutant que "si ça marche, on pourra s'en servir pendant les vingt prochaines années".