"Ferveur violette" raconte l’histoire d’un fan du TFC qui a le sang de la même couleur que le maillot de ses idoles (et ce n’est pas une blague). C’est aussi le récit de toute une génération à Toulouse et un livre ouvert sur les valeurs du football aujourd’hui tant galvaudées.
C’était l’époque du "toboggan" à voitures de la Patte d’Oie, de la prison Saint-Michel, de la SEMVAT. L’époque où on lisait des BD assis dans les rayons de la FNAC avant d’aller prendre une glace aux "Américains". C’était l’époque où on roulait les "r", prononçait le "t" quand on scandait "Muret" dans les tribunes du Stadium, qui sentait le pâté des casse-dalle. Stadium où on gueulait "Macarel" entre les piliers de ce qui était encore un vélodrome.
Michel Fraysse nous raconte le temps où on jouait au foot dans la cour de récré avec des tubes d’aspirine parce que le ballon était interdit, un temps où on planquait des "tusts" dans sa trousse les jours d’interros. Le temps où on appelait "footix" celui qui jetait systématiquement son dévolu sur l’équipe la plus forte sans en supporter vraiment aucune.
Ce livre est un roman, pas une anthologie du Tef, qu’on se le dise. En revanche, le lecteur y apprend bien plus que dans certains ouvrages dits spécialisés. Et s’il veut en savoir plus une "petite bibliographie téféciste" est jointe en dernière page.
Une fusion avec le Red Star
Qui se souvient encore qu’avant 1979 le TFC n’existait pas en tant que tel et que le club de foot phare de la vile rose était passé par une fusion avec le Red Star. Pour faire simple, les joueurs toulousains partent à Saint-Ouen et le foot pro s’éteint doucement à Toulouse.
Mais notre premier supporter du Tef ne se laisse pas abattre pour autant. Alors qu’il écoute à la radio la finale de la Coupe des vainqueurs de coupe opposant Anderlecht à Vienne, Rémi, double fictif de l’auteur, a "une expérience de divination". L’ultra-fan imagine alors son club de cœur jouer en violet comme les Belges avec, dans ses rangs, les deux buteurs de la finale Van Binst et Rensenbrink. Ce qui arrivera deux ans après avec la renaissance du TFC.
Un peu plus tard, il rêvera aussi l’arrivée de Jacques Santini comme entraîneur. Mais en attendant les heures de gloire et la remontée en 1ère division de son club de cœur, il faut bien s’occuper. Alors Rémi invente des championnats fictifs pour des pays comme le Salvador, la Nouvelle-Zélande ou encore le Groenland. Il leur crée des clubs aux patronymes rappelant ceux de l’élite européenne et dont les joueurs portent souvent des noms piochés dans l’annuaire ou sur les enseignes des commerçants de son quartier.
Hommage aux supporters
Cette passion dévorante le suivra toute sa vie y compris professionnelle (sans rapport avec le foot). Il ira jusqu’à rater des trains pour aller visiter des stades, comme celui de Tatanbanya, où avaient débuté des vieilles gloires téfécistes. Un supporter, un vrai comme des centaines d’autres à qui il rend aussi hommage dans ces pages.
La catégorie reine est celle des ultras. Avec eux, pas de compromis. La foi violette se vit totalement. Elle est exclusive et ne souffre aucune compromission. Les plus acharnés des supporters sont de tous les déplacements, de tous les pèlerinages pour accompagner le club. Ce sont les fidèles d’entre les fidèles. Leur vie est soumise aux aléas du club, de son calendrier de matchs parfois compliqué à suivre. Il faut être lundi soir à l’autre bout du pays, un mercredi à l’étranger, mais ils se soumettent à toutes les contraintes avec joie et confiance. Ils sacrifient leur confort et leur tranquillité pour la cause violette. Parfois au péril de leur vie sentimentale et de leur carrière professionnelle. Ce sont les purs. En pays cathare, on peut qu’ils sont les Parfaits. Ils ont reçu le consolament. Ils ne sont pas nombreux mais le peuple violet les vénère. Certains l’ont payé de leur vie et on ne les oublie pas. On pense à eux à chaque rencontre.
Michel Fraysse"Ferveur violette", Vent Terral
Aux côtés de Rémi, on suivra la montée en D1 du 8 mai 82, l’arrivée dans la foulée de Gérard Soler et Christian Lopez. Puis viendra l’épopée européenne face au Naples de Maradona avec nos argentins Tarantini et Marcico. Viendra ensuite la longue ère des classements dans le ventre mou, les batailles pour éviter les relégations et les ascenseurs entre première et deuxième division qui rendent encore plus méritants les supporters des Violets.
Et puis pour ceux que le foot attire moins, il y a ces portraits croqués, l’oncle Fernand, l’ancien de l’ONIA, qui amène notre jeune héros au stade ou encore Robert son fidèle ami. Sans oublier Guillaume Crespinette, le copain très "bon chic bon genre", dont la mère, grande bourgeoise, Eliane, crée un émoi chez Rémi. Guillaume qui donne lieu à l’une des nombreuses scènes comiques du livre quand ils arrivent en Angleterre pour un séjour linguistique scolaire et que leurs correspondants respectifs Terry et Roy les réceptionnent.
Un petit brun avec des grandes dents me tira par la manche. C’était Terry. Avant de partir rejoindre la voiture de sa mère, une blonde plutôt élancée, mais qui était loin d’avoir le charme d’Eliane, je vis Guillaume, affolé, pris en charge par sa logeuse, une femme maigre avec une voix très grave de fumeuse. A ses côtés, Roy mâchait un chewing-gum d’un air courroucé. Les yeux maquillés, tout vêtu de noir, son correspondant était un punk avec une crête rouge et des épingles à nourrices dans les oreilles. En partant, comme ceinturé par sa famille d’accueil, Guillaume ressemblait à un veau qu’on emmène à l’abattoir.
Michel Fraysse"Ferveur violette" Vent Terral
Là-bas, de l’autre côté de la Manche, si Guillaume a le mal du pays et de sa famille, Rémi, lui, languit le TFC. Une addiction dont il prendra de plus en plus conscience au fil des ans jusqu’à consulter un psychiatre lorsqu’il sera étudiant. Il y croisera notamment un supporter féru de littérature qui cherche des références aux Violets jusque dans les ouvrages de Balzac.
Puis vint l’heure de quitter Toulouse pour un travail de commercial à travers le monde. Une rencontre fortuite dans un avion pour Singapour avec Mika, un supporter du Tef, les conduit à regarder ensemble le match face aux Girondins de Bordeaux qualificatif pour la Ligue des Champions. Ça donnera un TFC-Liverpool un 15 août lendemain des obsèques de l’oncle Fernand.
Rémi n’assista pas à ce tour préliminaire mais revint plus tard assister à l’un des matchs de la remontada des Violets coachés par Dupraz au Stadium. Puis il recroisera Mika à Singapour. Ce dernier lui confie avoir tout perdu en grande partie à cause de son addiction au foot (sa copine, son boulot), et lui affirme que ce sport est "gangréné par l’argent, complètement pourri et corrompu".
Et puis le football pur des origines, c’est une vaste fumisterie. Par nature, il est violent, il engendre des haines et si on avait le courage de compter le nombre de morts et de blessés que cette plaie a provoqués, on serait rempli d’effroi et de honte. Mika avait juré de ne plus regarder un match de foot à la télévision et ça ne lui manquait pas du tout. Il s’était libéré de l’emprise.
Michel Fraysse"Ferveur violette" Vent Terral
Ça n’empêchera pas Rémi de revenir au Stadium pour les 80 ans du TFC. Il profite de cette escapade toulousaine pour retrouver son vieil ami Robert et refaire le match de leur enfance. Ce jour-là, exceptionnellement, bon nombre de monuments de la ville rose sont éclairés de violet. Mais la passion,elle, ne s’éteint jamais.
Michel Fraysse, « Ferveur violette », Vent Terral.