Recherche du patient zéro, port du masque, valse hésitation des gouvernants… L’épidémie qui touche Toulouse en 1628 n’est pas sans évoquer la pandémie actuelle à lire l’ouvrage de Sylvie Mouysset.
Evidemment les conditions sanitaires n’étaient pas les mêmes. Bien sûr le nombre de victimes a été largement supérieur. Mais l’auscultation historique de la peste de 1628 à Toulouse que fait l’universitaire toulousaine a de quoi nous interpeller par certaines de ses similitudes avec l'épidémie actuelle de coronavirus.
Née dans les champs de bataille de la guerre de Trente ans, la peste va d’un bon pas, nichée dans les hardes des voyageurs, soldats, marchands et autres colporteurs ou vagabonds. Elle fait étape à Lyon, Saint-Flour, Cahors, Cordes, Villefranche-de-Rouergue…
C’est d’un moine venu de Cahors, « ville infectée dont il a quitté le couvent des Jacobins quelques jours plus tôt » que serait venu le mal. Il est retrouvé mort dans une auberge. Et très vite, il est identifié comme « le patient zéro », même si on ne l’appelait peut-être pas comme cela à l’époque.
Déjà des diagnostics à Purpan
Ce sont trois médecins de Purpan, déjà, qui font le diagnostic. Pendant le transfert du religieux, son capuce noir est emporté par une rafale. Le couvre-chef sera récupéré par une pauvre femme qui décèdera, comme tous ceux avec qui elle aura été en contact.
Très vite les autorités essaient de dissimuler l’épidémie mais l’angoisse va se répandre tout aussi vite que le mal. Puis les premiers laissez-passer font leur apparition. Ceux qui le peuvent « troussent bagage et fuit la pestilence annoncée ».
Départs vers la campagne
Une sorte de confinement à la campagne avant l’heure, du moins pour ceux qui, là encore, en ont les moyens. Sinon, ce sera une longue errance à travers routes et champs. Différence notable avec l’épidémie que nous avons connue : en 1628, parmi les fuyards, se trouvent médecins et chirurgiens bien informés.
Le plus souverain remède que l’on sache pour se garantir de la peste, c’est de se retirer bientôt du lieu infect, de s’en aller loin et de revenir tard.
Qui se souvient encore de ces images de désinfection des villes en mars 2020 par des employés municipaux harnachés tels des astronautes ? La « purification urbaine » est aussi prônée en 1628 même « si on ne sait rien des vecteurs de la peste » explique Sylvie Mouysset.
Comme au XXIème siècle, « soudain tout s’arrête » écrit également l’historienne, « foires et marchés sont suspendus ». Autre différence notable avec l’épidémie de Covid 19, au Moyen-âge, point de grandes surfaces et donc, sans marchés, famine et spéculation sont annoncées. Les Capitouls ont recours à la réquisition et à la distribution du blé à « prix commun ». Le pouvoir municipal, lui, fait usage de l’emprunt forcé.
Isoler, tracer, …
Si le Covid nous a, pour l’heure, empêché plus de 15 mois, « la peste aime prendre son temps : un an, deux, peut-être d’avantage » rappelle Sylvie Mouysset. Pour ce qui est de la riposte médicale, elle est quasiment la même qu’au début de notre pandémie : isoler les malades infectés ou soupçonnés de l’être, des personnes qu’ils seraient susceptibles de contaminer.
On apprendra aussi que « les pestiférés sont confinés dans des conditions sanitaires terrifiantes » et que l’on doit à un certain Charles Delorme un « curieux masque en forme de bec rempli d’herbes aromatiques ». Les médecins d’alors cherchent à comprendre la maladie comme ceux d’aujourd’hui l’ont fait avec le Covid.
Se laver les mains à l’eau vinaigrée
Pas moins de huit traités de peste sont publiés à Toulouse entre 1620 et 1630, dont trois pour la seule année 1628. Parmi eux, celui du professeur de médecine Jehan de Queyratz.
Il a fréquenté « la prestigieuse université de Montpellier » et est qualifié à la fois d’« aériste » et de « contagioniste ». Selon lui, « toute peste ou fièvre pestilente prend sa source ou son origine, de la pourriture de l’air ».
« Il n’y a rien de plus certain que la peste est une maladie contagieuse et qu’elle se communique d’un corps à un autre par le seul contact » assurera également l’illustre homme. Queyratz préconisera aussi de se laver les mains, d’une eau mêlée de vinaigre et de porter un mouchoir à son nez pour éviter à l’air d’y rentrer trop facilement.
Insupportable confinement
Les Capitouls évoquent « une mutinerie du peuple » incapable de supporter de longs mois d’enfermement. Ils désapprouvent « bals et danses nocturnes »
Et si l’on tuait la mort tout simplement ? Lorsque le parlement répète l’interdiction des fêtes, bals, basoches, mascarades et jeux, il révèle en creux le réflexe de survie qui pousse à braver l’interdit.
Nous ne savons pas encore si le Covid est derrière nous ou pas. Ce qui est sûr c’est que la peste, elle, est revenue plusieurs fois frapper aux portes de Toulouse. En 1652, près de 10% de la population en serait morte.
En 1720, c’est Marseille qui « est affligée d’un soudain regain d’épidémie ». Certificats de santé, imprimés cette fois-ci, refont surface, quarantaine et confinement aussi. Puis le mal s’éteint et avec lui la fin du « quoi qu’il en coûte ».
Sylvie Mouysset termine son ouvrage en faisant un détour par les différentes grippes du XXème siècle notamment l’espagnole de 1918 durant laquelle les consignes édictées par le préfet de Toulouse en rappellent d’autres plus récentes :
Pour éviter la grippe, il est prudent de ne pas aller dans les théâtres, concerts, cinémas, cafés ; de ne pas faire de stations prolongées dans les églises et dans les temples ; de ne pas s’attarder dans les magasins ; de faire usage le moins possible des tramways. La grippe se propage partout où l’on se réunit nombreux
En conclusion, Sylvie Mouysset relève trois similitudes entre l’épidémie de peste et celle de Covid. Tout d’abord, « au tout début de l’épidémie, les pouvoirs se taisent ». Ensuite « l’évènement pandémique est un champ d’expérience idéal pour penser et imposer l’ordre nouveau ». Enfin dernière similitude : « la désobéissance à l’urgence sanitaire comme seul moyen de survie ».
« 1628. La peste ou la mort aux trousses », de Sylvie Mouysset, coll « Cette année-là à Toulouse », éditions Midi-Pyrénéennes.