Une pédopsychiatre toulousaine a été condamnée par le conseil de l'ordre des médecins à une suspension d'activité de 3 mois après qu'elle ait signalé des maltraitances sur une enfant. Dans une vidéo sur les réseaux sociaux, elle dénonce cette décision et l'attitude du conseil de l'ordre.
Pédopsychiatre à Toulouse, Eugénie Izard est mise en cause par le conseil de l'ordre des médecins pour une affaire qui remonte à cinq années en arrière. Elle vient d'être interdite d'exercer pour trois mois, d'avril à juin 2021, pour avoir dénoncé les maltraitances qu'une enfant qu'elle suivait, aurait subi de la part de son père. C'est le diagnostic qu'elle a établi à l'époque et qu'elle défend dans une vidéo devenue virale.
Dans son jugement, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins lui reproche d'avoir saisi le juge pour enfants à la place du procureur de la République et, en conséquence, d'avoir enfreint le secret médical. Un fait qu'elle dénie. "J'ai fait un courrier au juge des enfants dans le cadre de la loi qui autorise le secret partagé, explique le Dr Eugénie Izard. J'ai suivi en cela l'article 2 du code de déontologie sur les droits des personnes vulnérables".
Un argumentaire sujet à caution
L'argument, de fait, pose question puisque le conseil de l'ordre des médecins de Haute-Garonne lui-même mentionne sur son site public que "le signalement peut être effectué (...) auprès du Procureur de la République ou du juge des enfants".
Et il est indéniable que la communication d'éléments de danger à un juge pour enfant est autorisée par les dispositions de l’article L.226-2-2 du code de l’action sociale et des familles, issues de la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance et qui autorisent le partage de tels éléments qualifiés "d’informations préoccupantes".
"Incroyable", c'est le terme qu'emploie la médecin pour qualifier cette accusation et les cinq années de procédure qui viennent de l'opposer au conseil de l'ordre. Deux jugements ont été rendus : l'un en sa faveur et aux dépends de l'ordre qui a dû l'indemniser à hauteur de 1.000 €, l'autre lui donne tort et lui interdit en appel d'exercer durant 3 mois.
"Immixtion dans les affaires de famille"
Le Conseil de l'ordre reproche à la pédopsychiatre "l'immixtion dans les affaires de famille". Elle aurait conseillé la mère de l'enfant sur le contenu et la diffusion d'une vidéo réalisée par celle-ci, qui illustrait la maltraitance parentale par le biais de Playmobil. Le conseil estime que des éléments de cette vidéo permettent d'identifier le père, qui est lui-même médecin. Ce que nie formellement Eugénie Izard. Elle nie aussi avoir prodigué des conseils à la mère de l'enfant dans le cadre de l'association dont elle est présidente, le REPPEA (Réseau de professionnels pour la protection de l'enfance et de l'adolescence).
"J'ai soutenu l'enfant et soutenu sa mère dans le fait qu'elle puisse faire reconnaître la maltraitance sur son enfant mais jamais de la vie en mettant en cause publiquement le père, s'insurge la psychiatre. Je ne comprends pas pourquoi il y a une telle cabale... quand on m'accuse sans cesse de tout ce qu'on peut trouver pendant cinq ans, quand on entrave volontairement la diffusion de l'information sur un colloque qu'organise l'association dont je suis présidente, colloque officiel avec des professionnels reconnus tels que le juge Edouard Durand... je me pose des questions sur cet acharnement".
"Une inversion de culpabilité"
Pour Eugénie Izard, le conseil de l'ordre est allé trop loin. "Clairement il y a une inversion de culpabilité, explique-t-elle. Je dénonce des maltraitances et c'est moi qu'on poursuit. Je vais me battre pour faire reconnaître cette injustice. Il s'agit souvent d'affaires criminelles. L'inceste est un crime même si pour cette affaire-là, ce n'est pas le cas. Mais on doit pouvoir être en sécurité quand on s'occupe de ce type d'affaires. Je ne peux pas continuer à avoir peur à chaque fois que je fais un signalement. Il faut qu'on puisse bénéficier d'une immunité dans ces cas-là.
Révoltée par l'interdiction d'exercer dont elle fait l'objet, la pédopsychiatre a, dans un premier temps, posté un tweet vu par plus de 100.000 personnes. Dans la foulée, elle a publié une vidéo sur youtube. "Je résisterai toujours quoiqu'il arrive aux oppressions qui seront faites aux plus faibles", explique-t-elle.
Une vidéo sur youtube
"On a la vague #Me Too inceste qui montre le résultat de ces 30 dernières années d'obscurantisme, la parole des enfants a été étouffée, méprisée au profit des agresseurs. Il est temps de faire la lumière sur les fonctionnements de nos institutions censées protéger les enfants, sur le rôle qu'elles ont joué dans la propagande du déni qui est à l'oeuvre dans notre société, sur les soutiens pervers auxquels elles ont activement participé pour entraver par des poursuites les professionnels qui tentaient seulement de protéger et de soutenir les enfants victimes".
Cette vidéo n'est évidemment pas du goût de l'ordre des médecins de Haute-Garonne. Nous avons joint son actuel président Michel Oustric qui mentionne : "elle a pris la décision d'une prise de parole publique. Elle fait des allégations qu'elle va devoir prouver".
Une affaire juridique
Sur le fond du dossier, il indique qu'il s'agit d'une affaire juridique instruite du temps de son prédécesseur. Le médecin souligne que le Dr Eugénie Izard a été jugée coupable en première instance et en appel sur la façon qu'elle a eu de prendre en charge un enfant. Cette décision émane, rappelle-t-il, de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins présidée par des conseillers d'Etat.
Il précise : "la plainte que nous avons reçue venait du père de l'enfant. Nous l'avons instruite. Le tribunal correctionnel a donné la garde exclusive au père. Il a décidé que pour leur santé mentale, il fallait les confier au père. Ce sont des éléments correctionnels donc on peut supposer une instrumentalisation".
Recours devant le Conseil d'Etat
A cela, Eugénie Izard répond qu'un médecin n'a pas à se baser sur une décision judiciaire pour fonder son avis, qui doit être un avis médical indépendant selon l'article 5 du code de déontologie. Et de rappeler que "95% des viols commis sur des enfants n'aboutissent à aucune condamnation".
La psychiatre espère que la sanction sera levée rapidement car elle se dit inquiète pour les patients qu'elle suit actuellement. "Certains sont fragiles, notamment les adolescents actuellement placés en institution et qui traversent avec grande difficulté cette crise. Ils ne verraient pas de psychiatre pendant 3 mois, compte tenu de la pénurie de pédopsychiatres mais aussi du temps nécessaire pour établir une relation de confiance".
"Ce n'est pas à mes patients de faire les frais d'une faute que je n'ai même pas commise" déplore-t-elle. Elle a fait un recours auprès du Conseil d'Etat.