Après avoir fait une tentative de suicide, une professeure d'un lycée de Colomiers (Haute-Garonne) a porté plainte pour harcèlement exercé par ses collègues. Une première plainte pour harcèlement avait été classée mais l'enseignante a déposé de nouvelles plaintes pour diffamation publique et harcèlement sur personne vulnérable.
Anne Faillefer est professeure de lycée en Sciences économiques et sociales (SES). Âgée de 42 ans, elle a un parcours d'enseignante aguerrie. À 21 ans, elle a commencé comme professeur des écoles et passé de nombreuses années en zone d'éducation prioritaire en région parisienne. En 2015, elle est mutée au lycée international Victor Hugo de Colomiers.
Passionnée de pédagogie, elle croit à l'enseignement par projet et multiplie les initiatives pour mobiliser les élèves. Très appréciée par ceux-ci si l'on en croit la pétition de soutien qu'elle a reçue, elle fait peut-être des jaloux parmi ses collègues... C'est en tout cas l'hypothèse qu'elle retient, essayant de comprendre pourquoi elle a été harcelée. Ses initiatives au profit de causes aussi diverses que la lutte contre le sida ou le harcèlement justement ont été relayées dans la presse écrite. Est-ce cela qui a déchaîné les foudres de certains collègues ? Elle se pose la question.
Tentative de suicide
"Tout ce que je pouvais proposer comme projets, et j'en faisais beaucoup, ils les dénigraient, voire les sabotaient volontairement, explique Anne Faillefer. Ils dénigraient ce que je faisais auprès de leurs élèves ou en salle des profs. Pour la prévention harcèlement justement, j'ai trouvé toutes mes affaires éparpillées en salle des profs et ils m'avaient piqué mon sac. Sur des listes de diffusion parallèles, j'en prenais plein la tronche. Ce sont des copains qui recevaient ces mails qui en ont témoigné".
La professeur est soutenue par sa cheffe d'établissement et certains de ses collègues, mais le harcèlement se poursuit. Elle dit n'avoir reçu aucun soutien du rectorat auquel elle a fait appel. En juin 2020, Anne fait une tentative de suicide clairement liée dit-elle à cette atmosphère délétère.
"Une traître"
À son retour dans l'établissement, elle explique avoir fait de nouveau l'objet de harcèlement et de vexations : "on a arraché mon nom de mon casier pour bien signifier que je ne faisais pas partie de l'équipe pédagogique. On m'a laissé entendre que j'avais tenté de me suicider car je n'avais pas été retenue au concours de personnel de direction. L'un de mes collègues a écrit que si j'avais l'idée de passer ce concours, je serais retenue, c'est certain, car j'étais un traître. Parce qu'on considère les personnels de direction comme des traîtres. Cela a circulé sur 126 boîtes académiques, ça m'a touchée car c'est professionnel mais le rectorat n'a pas réagi".
"Autre exemple : un collègue qui ne parle jamais en conseil de classe, a dit après s'être écarté de moi, à propos d'une élève qui voulait devenir psychiatre, il a répété plusieurs fois "ah oui ça c'est sûr, il y a besoin de psychiatre". Il a bien insisté avec la complicité amusée de certains collègues. Sauf que la prof principale a compris et m'a envoyé un SMS, que la justice a recueilli, en me disant que le comportement de certains collègues était inadmissible. Je ne rêvais pas, d'autres m'ont confirmé que j'étais harcelée".
Anne Faillefer dit aussi avoir été régulièrement dénoncée au rectorat par ses collègues pour ses tweets. Mais la justice classe sa plainte sans suite. La prof décide de ne pas en rester là. Elle se constitue partie civile. Un juge d'instruction est chargé de l'affaire. L'enseignante explique la suite : "la vice-procureur m'a demandé de porter plainte pour les faits qui se sont déroulés après ma tentative de suicide". Motifs : diffamation publique (sachant qu'un établissement scolaire est considéré comme un lieu public) et harcèlement sur personne vulnérable.
La professeure encore marquée par ces années, multiplie les exemples des moments où elle s'est sentie "lâchée" par l'institution. "Ce sont des violences institutionnelles, affirme-t-elle. J'ai eu des avis excellents sur mes deux dernières inspections, je n'ai rien fait de mal. Mais j'ai été diffamée, toute la ville était au courant. On disait que j'étais folle, que j'avais été virée. Même mes enfants en ont entendu parler. Le rectorat a refusé de rétablir la vérité".
Médiatisation via les réseaux
"Le médecin du travail m'a engueulée comme si j'avais 5 ans. Il m'a dit : si le rectorat ne reconnaît pas la diffamation, vous avez à vous taire et à ne pas réagir". Anne Faillefer pense qu'elle a payé le fait d'avoir porté plainte et d'avoir médiatisé ses problèmes via les réseaux sociaux. Elle a fini par changer d'établissement de son plein gré. Aujourd'hui, elle attend que la justice se prononce sur la deuxième plainte qu'elle a déposée contre certains de ses collègues du lycée Victor Hugo mais aussi contre le rectorat.
Le syndicat SE-UNSA a soutenu Anne Faillefer. "On a vu toute la souffrance qui était la sienne, affirme Cyril Lepoint, son secrétraire académique. C'est quand même une collègue qui est allée jusqu'à la tentative de suicide donc on ne peut pas nier qu'il y avait une souffrance au travail très importante. On a constaté aussi toute l'animosité à laquelle elle a pu faire face (...). Elle peut avoir ses fragilités. Elle peut avoir aussi ses difficultés dans le relationnel avec des collègues mais rien ne justifie de mettre à mal une collègue de cette façon-là."
Pour leur part, les personnes mises en causes par Madame Faillefer ont souhaité réagir dans un mail le 15 juin 2023 : "Nous contestons avec la plus grande fermeté et dans son intégralité l'ensemble des accusations portées contre nous et réservons notre parole, nos témoignages et nos pièces du dossier à la justice. Le rectorat a affirmé à plusieurs reprises qu'il n'y avait rien à nous reprocher et nous a
accordé la protection fonctionnelle après avoir étudié précisément la situation. Une première
plainte a été classée sans suite en 2020, une deuxième est en cours d'instruction. Mme Faillefer ne cesse de dire qu'il faut laisser la procédure suivre son cours mais ne cesse de solliciter les médias et de se répandre sur les réseaux sociaux. Depuis 3 ans et demi, nous subissons quotidiennement les menaces, insultes, tentatives de déstabilisation de la part de Mme Faillefer, qui publie jour et nuit sur les réseaux sociaux, une centaine de fois par jour, voire même plus de 500 fois durant le seul week-end de
l'Ascension, y compris en jetant en pâture le nom de ceux qu'elle appelle "les mis en cause". Son compte a d'ailleurs été suspendu pour non respect des règles. Depuis 3 ans et demi, nous n'avons pas dit un seul mot ni dans les médias, ni sur les réseaux sociaux, ni dans notre cadre professionnel, ni nulle part, alors que nous subissons des torrents de mensonges y compris par des comptes que nous ne connaissons pas.Mme Faillefer est l'objet de plusieurs plaintes par différents personnels notamment pour les motifs suivants : diffamation, diffusion d'informations personnelles et nominatives sur les réseaux sociaux, publication de messages internes à un établissement dont elle ne fait plus partie, harcèlement moral ou encore divulgation de données professionnelles confidentielles. En conclusion, nous sommes d'accord sur un point avec Mme Faillefer : il faut laisser la justice faire son travail. Contrairement à elle, c'est ce que nous faisons."
Pour sa part, le rectorat n'a pas donné suite à nos demandes d'entretien.