TRIBUNE : "La guerre des mots", par Stella Bisseuil

Auteure invitée, l'avocate toulousaine s'interroge sur l'utilisation des mots "Etat islamique", "califat" ou encore "djihad" dans les médias ou par les personnalités politiques à propos de la lutte contre le terrorisme. 

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La rubrique "Tribunes" rassemble des textes émanant d'auteurs ou de personnalités extérieures à la rédaction de France 3 Midi-Pyrénées. Ces textes n'engagent que leurs auteurs. 

"La guerre des mots", par Stella Bisseuil


"État islamique", "Califat", "djihad" : ce sont les mots d’une nouvelle guerre, déclarée par un ennemi disséminé sur toute la surface de la terre, qui peut avoir pour nom "barbarie" ou "terrorisme". La violence est aveugle, elle s’exerce contre tous, sans aucune revendication qui puisse être négociée ou satisfaite.

Ses moyens : les images. Les images d’une violence extrême qui révulsent les gens de bien, mais qui attirent les détraqués, les fanatiques, les paumés…

Mais aussi les mots. Proclamer que l’on agit au nom de Dieu, que la religion commande de tels actes, décréter qu’on est calife, à la tête d’un État islamique, et que le rejoindre, c’est faire le djihad. Ce sont les mots de ces guerriers du web, leur propagande.

Et nous, avons-nous nos mots ? Ceux qui traduisent notre vision des choses ? Ou nous exprimons-nous avec les leurs ?

Le problème n’est pas anodin. Comme les images, les mots circulent, sont relayés par les médias, les gens, entrent dans les cerveaux, font leur chemin, parfois attendent leur heure.

Un "État islamique" reconnu comme tel

Il s’agit d’un pseudo-État, autoproclamé, gagné sur des territoires tenus par des autorités politiques contestées et affaiblies.

Si, dans les médias, dans nos interventions, nous nommons cette zone géopolitique "l’État islamique", on le reconnaît comme tel. Comme "État", d’abord, alors qu’on sait précisément que reconnaître un État, c’est le résultat de tout un processus juridique qui ne correspond en aucun cas au coup de force opéré par ces groupes de terroristes.

Et comme État "islamique" ensuite, puisqu’on lui reconnaît, en l’appelant ainsi, cette marque de fabrique, alors que l’habillage religieux est grossier, et contesté par les musulmans eux-mêmes qui en sont les premières victimes.

Utiliser des termes selon notre vision des choses

Le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, le 10 septembre dernier, lors d'une séance de questions au gouvernement, interrogeait l'emploi du nom "État islamique" que les terroristes se sont donnés à eux-mêmes et préconisait de l’appeler "Daesh", ce qui correspond à l’acronyme arabe de l'EIIL (État islamique en Irak et au levant). Le secrétaire d'État américain, John Kerry, a adopté la même position ces derniers jours.

On pourrait remarquer que le terme "Daesh", qui a certes l’avantage de ne plus faire entendre les termes "État" et "islamique", qui sont autant de moyens de propagande qui passent par nos médias, ne change pas l’appellation en elle-même, mais en brouille seulement le sens audible (ce qui n’est tout de même pas la moindre des choses).

En tous cas, il nous appartient, dans le langage public, de faire usage de termes qui correspondent à notre vision des choses, ou de rappeler, à chaque fois que nous employons le terme "État islamique", que nous le mettons en cause quant à sa légitimité.

L’usage sans critique des termes qu’"ils" imposent au monde, permet de faire passer la réalité qu’ils veulent imposer au monde.

Qualifier Abou Baker de "Calife", c'est lui faire la révérence

Littéralement, le terme de "calife" ("khalîfa") désigne celui qui succède à Mahomet à la tête de la communauté islamique pour "la sauvegarde de la religion et la gestion des affaires terrestres".

Donc, désigner Abou Baker al-Baghdadi sous le vocable de "Calife", c’est lui donner ce titre, c’est lui faire la révérence et reconnaître donc l’autorité qui découle de ce titre.

Si nous considérons qu’il ne suffit pas de s’auto-proclamer Calife, pour en être, alors, il est logique de ne pas le désigner sous ce terme. Ici aussi, nous pouvons choisir comment nous entendons le désigner, sous son nom tout simplement, ou sous le terme de terroriste ou tout autre terme dès lors que notre désignation permet de ne pas colporter l’idée, attachée au mot lui-même, d’une autorité forte et légitime, ce qui constitue chaque fois une "publicité" pour Abou Baker.

Le mot "djihad" a un sens positif

Même le mot "djihad" employé désormais communément dans les médias, et même dans des textes de lois désigné comme "lois anti-djihad", est un mot usurpé par les terroristes pour légitimer leur guerre. En le reprenant à l’unisson, nous faisons petit à petit passer l’idée, qui est celle de nos ennemis, selon laquelle la guerre à laquelle M. Abou Baker appelle a quelque chose à voir avec une bonne pratique de l’islam.

Car le mot "djihad" a un sens positif pour les musulmans. Et pas seulement pour les plus radicaux. Le mot "djihad" dans le Coran désigne d’abord l’effort, la lutte pour atteindre et demeurer dans le droit chemin. Une autre forme de djihad est le droit que le Coran reconnaît aux musulmans de se défendre contre l’occupation. Même dans ce dernier cas, le djihad reste soumis à des conditions et à des règles.

En aucun cas la guerre à laquelle se livrent les partisans de Abou Baker al-Baghdadi ne correspond à une quelconque forme de djihad. C’est une guerre de conquête, c’est le règne de trafics en tous genres, de pillages, et d’assassinats, c’est une guerre aveugle dont les buts comme les moyens ne correspondent en rien aux enseignements de l’Islam.

Rappeler, chaque fois que nous en parlons, qu’il y a un vrai sens aux termes que nous employons, et que nous ne livrons pas nos mots à leur folie, est un moyen de résistance qui nous appartient à nous.

Stella Bisseuil

Note de la rédaction : la direction de l'information de France Télévision a décidé de ne pas utiliser les appellations "Daesh" ou "Etat islamique" sur les antennes ou les sites internet du groupe mais uniquement le terme "groupe état islamique". 
A propos de l'auteur
Maître Stella Bisseuil est avocate à la Cour à Toulouse. Elle est notamment chargée de défendre les intérêts de l'association des familles endeuillées dans le dossier de l'explosion AZF. 
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