Guillaume Cabanac, maître de conférence en informatique à l'université de Toulouse, a créé, avec son homologue grenoblois Cyril Labbé et un chercheur russe Alexander Magazinov, un logiciel capable de détecter les publications scientifiques "bidons". Une recherche saluée par la prestigieuse revue Nature parmi les dix travaux qui ont marqué la science en 2021.
De fausses études scientifiques non vérifiées et pourtant publiées, parfois même par de prestigieuses revues scientifiques ? Difficile à croire, et pourtant.
Sur les 3133 articles problématiques débusqués, 1067 sont parus en 2021 et, à titre de comparaison, 57 sont parus en 2014. C'est dire si le phénomène est en train de prendre de l'ampleur.
Pour le comprendre pleinement, il faut évoquer le contexte mondial, explique Guillaume Cabanac, maître de conférences en informatique à l'université de Toulouse. "Il y a de plus en plus de publications et dans certains pays comme la Chine ou l'Inde, les autorités mettent la pression sur les scientifiques, notamment les praticiens hospitaliers pour qu'ils publient le résultats de recherches. Mais ces personnes-là, qui travaillent dans des laboratoires ou des hôpitaux, n'ont pas le temps pour ça. Ils sont acculés. Alors, pour atteindre les quotas fixés, ils recourent à des moyens frauduleux pour "produire".
"Expressions torturées"
Un de ces moyens consiste par exemple à prendre les dix articles les plus importants publiés sur un thème, mais au lieu d'en faire une synthèse comme attendu en sciences, les "fraudeurs" font des copier-coller des résumés des articles : ils emploient une moulinette pour paraphraser par synonymes afin de contourner les accusations de plagiats. Résultat : des phrases incompréhensibles, qui n'ont aucun sens. Exemple : un cancer du sein devient un "péril de la poitrine". Ou "conscience contrefaite" pour intelligence artificielle. Guillaume Cabanac les appelle les "expressions torturées".
A ce stade interviennent des maisons d'édition dites "prédatrices", que les scientifiques paient très cher pour parvenir à une publication, obtenue avec la validation d'un comité scientifique peu regardant ou fantôme (des noms de scientifiques sont utilisés à leur insu). "Des milliers de papiers ont été publiés ainsi", précise Guillaume Cabanac. "On est arrivé à des niveaux tellement fous. Les revues établies et reconnues se sont fait piéger également : certaines telles Elsevier et Springer rétractent des centaines de publications problématiques".
Traquer les non-sens et les fraudes
C'est pour mettre un frein à cette "pollution" de la littérature scientifique, marginale certes (six millions d’articles publiés en 2021) mais qui peut être préjudiciable pour les chercheurs, que Guillaume Cabanac, rejoint par Cyril Labbé et Alexander Magazinov, a créé un logiciel, Problematic Problem Screener, qui chaque nuit traque les non-sens et tente de déterminer s'il s'agit de l'utilisation d'une expression torturée.
Le trio a également créé un site d'évaluation post publication, où chacun peut venir commenter des études et relever des erreurs ou des non-sens.
C'est à ce double titre qu'il se voit aujourd'hui distingué par la prestigieuse revue Nature parmi les dix recherches qui ont contribué à façonner la science en 2021.
Et nul doute que ces outils seront très utiles à l'analyse des milliers d'études réalisées cette année, sur le Covid notamment. Les difficultés respiratoires apparaissent, dans de rares cas, sous une forme torturée de « déception du poumon »...