La Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants a rendu ses conclusions intermédiaires, ce jeudi 31 mars. Elle prône notamment une obligation d’alerte pour les médecins, alors même qu'une pédopsychiatre de Toulouse, interdite d'exercer après un signalement, se démène encore devant la justice et ses pairs.
Un an de travail et 11 400 témoignages recueillis, c’est ce qu’il a fallu à la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) pour rendre ses conclusions préliminaires et une série de vingt préconisations.
La Commission préconise notamment, d’instaurer en "urgence" pour les médecins, une obligation de signalement des suspicions de violences sexuelles sur les enfants. Elle recommande également de "suspendre les poursuites disciplinaires à l’encontre des médecins protecteurs qui effectuent des signalements pendant la durée de l’enquête pénale pour violences sexuelles contre un enfant ".
Il faut que les médecins ne puissent jamais être poursuivis lorsqu’ils signalent des violences, et pas protégés seulement le temps de l’enquête. Nous ne devons pas être inféodés à des décisions judiciaires, qui en pratique, mettent des années à protéger des enfants.
Eugénie Izard, pédopsychiatre à Toulouse et présidente du REPPEA (Réseau de Professionnels pour la protection de l’enfance)
Vers la fin des condamnations pour "immixtion dans les affaires de famille" ?
Car jusqu’ici, les médecins qui signalent des faits inquiétants de ce type risquent d’être poursuivis pour "violation du secret professionnel" et/ou "immixtion dans les affaires de familles". C’est ce qui est arrivé à la pédopsychiatre toulousaine Eugénie Izard, après avoir écrit au juge pour enfant afin de protéger une patiente de 8 ans qui lui avait confié "subir des violences sexuelles de la part de son père, médecin", explique la pédopsychiatre.
Coïncidence des dates, son audience au Conseil d’Etat à Paris a lieu ce jeudi 31 mars, le même jour que la publication du rapport de la Ciivise. L’audience a pour but de décider du maintien ou non de sa condamnation en février 2021 par le Conseil de l’ordre des médecins à une interdiction d’exercer de trois mois, pour "immixtion dans les affaires de familles".
Cette recommandation va dans le bon sens puisque, plus la parole des enfants sera relayée, plus ils auront de chance d'être protégés. J’aimerais avoir de l’espoir, mais ce n’est pas toujours facile face à ce que je vis, qui n’est que le reflet des terribles violences que vivent les enfants au quotidien.
Eugénie Izard, pédopsychiatre à Toulouse
Au moins 160 000 enfants victimes de violences sexuelles par an
Le rapporteur public a demandé à ce que la sanction soit annulée et renvoyée pour être rejugée devant le Conseil de l’ordre des médecins. L’affaire est désormais en délibéré et les juges rendront leur décision dans quelques semaines, suivant l’avis du rapporteur public ou non. "C'est sans fin, souffle Eugénie Izard, mais le plus dur, c’est de devoir supporter le fait que les enfants continuent d’être violentés alors qu’on l’a détecté".
On estime à 160 000 le nombre d’enfants victimes de violences sexuelles chaque année, un chiffre massivement sous-évalué selon la Ciivise.