Roman noir : des Pyrénées à la Namibie, de l’ours au lion, Colin Niel traque nos instincts primaires

A l’heure où l’ours est vu comme un prédateur ou une proie, « Entre fauves » nous pousse à réfléchir sur la notion d’humanité. Comme dans tout bon roman noir, le meurtrier et la victime ne sont pas toujours ceux que l’on croit, chasseurs et traqués peuvent changer de rôle.
 

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Martin n’est pas un garde de parc national comme un autre. Il connaît les Pyrénées, leur faune et leur flore, sur le bout de ses doigts. Mais avec l’expérience, a aussi poussé en lui une vocation de « lanceur d’alerte de la cause animale ». Il se veut, entre-autre, un féroce défenseur de l’ours des Pyrénées dont le dernier membre identifié, Cannelito, est toujours recherché.

Traque sur internet


Sur les réseaux sociaux, avec d’autres internautes de la même sensibilité, Martin traque  braconniers et tueurs d’espèces protégées en tout genre. Ils ne les tuent pas, bien évidemment, mais, une fois identifiés, les livrent en pâture à la toile et à ses commentaires tranchant comme des couteaux de chasse.

« Alors dès qu’on tombait sur un de ces clichés qui traînaient sur internet, on menait notre enquête en ligne pour retrouver les coupables. Et comme aucune justice n’allait jamais les condamner, on publiait tout ce qu’on pouvait trouver sur eux : nom, adresse, téléphone. Puis on laissait s’en emparer l’opinion publique, qu’on savait largement acquise à la cause, n’en déplaise aux politiques tellement en retard sur ces sujets-là ».

Martin n’est pas le seul protagoniste du livre. Le bien nommé « entre fauves » s’ouvre d’ailleurs sur les états d’âme de Charles, lion de Namibie vieillissant et se retrouvant livré à lui-même dans le bush. Chassé de sa meute, forcé à se rapprocher des hommes et de leur bétail pour survivre, de chasseur, il est devenu proie et « Problem animal », « un lion qui a causé trop de dégâts sur les troupeaux et que le gouvernement autorise donc à prélever ».

Une affaire d’obsession


Parmi ceux qui veulent se venger de lui, il y a Kondjima. Jeune membre des « Himbas », peuple du nord de la Namibie, il est partagé entre deux cultures et ne sait que trop penser des blancs et de leur mode de vie, notamment leurs chasses à l’autre bout du monde, loisir de luxe et futile que lui décrit ainsi un de ses amis.

« S’ils dépensent autant d’argent pour venir chasser chez nous, c’est parce que chez eux, ils ont déjà tué tous les animaux, tu vois. Avant, là-bas, il y avait des loups, des ours, mais maintenant, il n’y a plus rien, juste des villes et des immeubles, comme à Windhoek (…) C’est pour ça, aussi, que les Blancs veulent toujours dire à l’Afrique comment s’occuper des éléphants et des rhinocéros, tu comprends. Parce que chez eux, ils ont fait n’importe quoi. »

Le jour où le troupeau de son père est décimé par Charles, Kondjima n’a alors plus qu’une seule obsession : tuer le lion et devenir ainsi une légende dans son village. Position qu’il lui permettra d’épouser Karieterwa, la fille d’un notable local qui autrement n’aurait que faire d’un fils de berger comme lui. Seulement Kondjima devra faire avec Apolline, fille d’un autre notable, de Pau celui-ci, qui pour ses 20 ans va se voir offrir une chasse au lion.

Chacun cherche sa proie


Charles devient ainsi la proie de Kondjima et Pauline, Pauline celle de Martin qui va se mettre à la suivre après l’avoir localisée sur le web et identifiée en passant par Lourdes où elle a été bénévole. Mais les cibles sont mouvantes et peuvent changer, comme les motivations de chacun.

« Un frisson me traverse, des pieds à la tête. Une sensation dont on m’a déjà parlé, mais que jamais je n’ai éprouvée.
L’impression que les rôles s’inversent.
Que de chasseuse, je suis devenue la proie 
».

« Je l’ai observée, le cœur serré, comme on observe une espèce rare dans son habitat naturel ».

Le décor est planté entre bush africain et vallées pyrénéennes, avec ses personnages que tout semble opposer mais qui seront obligés de composer ensemble à un moment ou un autre. Colin Niel n’a plus qu’à dérouler sa sombre trame, et dans le désordre sinon ce serait trop facile. Trame dont le lecteur ne connaîtra le dénouement que dans les dernières lignes. « Entre fauves », un livre qui se dévore d’une traite.

« Entre fauves » de Colin Niel, collection « Rouergue noir ».

 

Un gardien de parc national façon « inspecteur Harry » - Extrait
Martin, les Pyrénées ce n’est pas Yellowstone ou le Serengeti, vous comprenez ça ? Il y a des gens qui vivent sur ce territoire, que vous le vouliez ou non. Il y a des éleveurs, il y a des chasseurs, il y a des habitants, il y a des communes avec des élus, des écoles… Un parc c’est un partenaire. Il faut qu’il soit accepté par la population, sinon on n’arrivera jamais à rien, croyezmoi je sais de quoi je parle.
J’ai soupiré quand le directeur a dit ces derniers mots : je sais de quoi je parle. Franchement, j’avais des doutes à ce sujet. Qu’il s’y connaisse en politique et en administration, ça, je voulais bien le croire, ce n’était pas le pire des patrons passés à ce poste. Mais je ne l’avais jamais vu autrement qu’en costard, ni mettre un pied sur les sentiers d’Aspe. Et quoi qu’il en dise dans ses beaux discours de haut fonctionnaire, comme notre cher ministre de l’Ecologie, je n’étais pas certain qu’il ait conscience de l’ampleur du problème, de cette sixième crise biologique dont l’homme s’était rendu responsable. Je n’étais pas sûr qu’il soit au courant, par exemple, que sur les huit millions d’espèces animales et végétales estimées sur terre, plus d’un million était en danger d’extinction. Que vu l’urgence, il était peut-être temps de bousculer le quotidien des Français, surtout dans un parc national censé servir d’exemple au reste du pays.
Je ne sais pas si vous réalisez, Martin, mais c’est l’image du parc qui est en jeu, il a repris. Sur le terrain, on a besoin d’agents pour faire le lien avec les usagers. Pas de cowboys qui crèvent les pneus des chasseurs ou qui menacent les bergers sur les estives. Sans parler de ce PV que vous avez dressé à une commune l’année dernière, pour avoir coupé un arbre afin d’aménager une cabane d’estive. Un arbre mort…
Un arbre mort, oui. Essentiel au cycle de vie du pic à dos blanc, une espèce qui a disparu de quasiment toute l’Europe, j’ai précisé.
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