La conférence des évêques de France ouvre ce mardi à Lourdes près d'un mois après la présentation du rapport de la commission indépendante sur les abus sexuels dans l'église. Qu'en attendent les victimes ? Olivier Savignac, co-fondateur de l'association "Parler et revivre" fait le point.
La conférence des évêques de France se déroule à Lourdes du 2 au 8 novembre. Quelques semaines après la présentation du rapport de la commission indépendante sur les abus sexuels dans l’église (Ciase) appelé aussi rapport Sauvé, les victimes attendent des avancées concrètes, et notamment la reconnaissance par l'église des faits qu'elles ont eu le courage de dénoncer, parfois des dizaines d'années après qu'ils aient été commis.
Olivier Savignac, cofondateur de l’association "Parler et revivre" qui accueille des victimes de prêtres et de religieux pédophiles, attend une réforme de l'église catholique qui doit commencer dès aujourd'hui. Une église qu'il estime complice de ces crimes de masse. Rappelons que la Ciase a révélé le 5 octobre dernier la conclusion d'un travail de 2 années et demi d'enquête : elle évalue à 216.000 le nombre de victimes mineures de clercs et de religieux depuis 1950.
Qu'attendez-vous de la conférence des évèques de France qui débute ce mardi ?
Le rapport Sauvé est sorti voici un mois. Les évèques ont eu le temps de l'étudier et de prendre connaissance des 45 recommandations de la Ciase. Les victimes que je représente attendent un calendrier précis, à court, moyen et long terme qui mette en oeuvre ces recommandations. Elles sont énormes pour l'église, la réforme ne se fera pas en un jour.
Mais à court terme, nous attendons des avancées sur l'indemnisation des victimes, un premier processus de réparation de manière individuelle. Nous n'attendons pas que l'église demande pardon mais qu'elle reconnaisse publiquement sa responsabilité dans ces crimes de masse, que cela prenne la forme d'une journée durant laquelle il y ait cette reconnaissance.
On va attendre aussi la mi-novembre l'assemblée des religieux de France car eux aussi sont concernés. Tout cela est très important pour les victimes qui n'ont pas accès à la justice, pour les crimes qui font l'objet d'une prescription. Pour ces personnes que l'église n'a pas entendues et dont elle a dissimulé, caché ces crimes.
La création d'un mémorial évoquée précédemment vous paraît insuffisante ?
La démarche mémorielle est importante mais elle intervient dans un second temps. L'urgence absolue est la reconnaissance de la souffrance individuelle. Dans l'association "Parler et revivre", dont je fais partie, nous recevons encore des témoignages de victimes qui ne se sont pas fait connaître de la Ciase. Il faut qu'elles puissent déposer leurs témoignages, qu'il y ait une instance Ciase post-rapport.
Pour nous, c'est très important qu'il y ait cette continuité. Les victimes libèrent encore leur parole tous les jours du fait notamment de la médiatisation du rapport. C'est un processus long, comme celui de la prévention : toute celle que peut mener l'église mais aussi la direction de l'enseignement catholique. Que fait l'église par rapport au 40% d'élèves scolarisés chez elle en France ?
Parmi les victimes que nous avons rencontrées, beaucoup sont choquées par le fait que leur agresseur n'est pas inquiété du fait de la prescription. Que peut faire l'église ?
Quand les faits sont prescrits, la justice des hommes ne peut plus enquêter et cela profite à l'agresseur, au prédateur. Il faut le prendre en compte. C'est intéressant que le ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti, ait déclaré qu'on pouvait enquêter malgré la prescription des faits. Dans l'église, l'évèque et les instances composées de prêtres et de laïcs doivent prendre une décision si la réponse de la justice est négative.
Le tribunal canonique est un autre moyen de bousculer la prescription. On peut rallonger ces délais. Mais je n'ai pas vraiment confiance car les enquêtes sont opaques. On ne sait pas qui les mènent et comment elles sont faites. C'est néanmoins une des pistes de réforme, que l'église mette en place une vraie justice canonique.
Voir un prêtre célébrer une messe alors qu'il est mis en cause par plusieurs victimes, des victimes qui ne se connaissent pas et rapportent les mêmes faits, ça ne doit plus être possible. Il faudrait constituer un tribunal canonique national pour traiter ça. On peut relever ce prêtre de ses fonctions, le placer dans une communauté pour exercer une surveillance...
Qu'allez-vous faire ?
On va tout faire pour que les victimes soient entendues. Il faut que les faits soient portés à la connaissance de la justice. La limite de la prescription, c'est la matérialité des faits. Plus le temps passe et moins elles ont de chances de voir reconnus les crimes qu'elles ont subis. Mais l'imprescriptibilité n'est pas une solution pour moi. Quand des victimes portent plainte et que la justice rend un non lieu, c'est catastrophique.
La loi votée en 2021 sur la prescription vieillissante est intéressante car une victime peut dans ce cas porter plainte 35 ans après sa majorité dans la mesure où l'agresseur a récidivé. Le délai de prescrition reprend à la dernière agression. Quoiqu'il en soit, la justice doit expliquer ses décisions et notamment le fait qu'un non-lieu rendu ne signifie pas que le mis en cause n'est pas coupable.
Les victimes ont déjà un traumatisme dû à l'agression, on ne peut pas les laisser comme ça. La société ne doit pas les abandonner. Ce n'est pas qu'une question de justice, c'est un question sociale et sanitaire. On est encore très mal outillé pour accompagner les personnes à la sortie du tribunal, même si quelques associations essaient de le faire.
Quelle est votre priorité ?
Pour nous, ce qui est important, c'est la personne victime. Qu'est-ce qu'on fait avec elle pour qu'il puisse y avoir un après ? Il faut prendre en compte sa parole. C'est un préalable à la reconstruction. Des milliers de personnes, des millions à mon sens, vivent avec leur traumatisme sans avoir rien révélé, ça dépasse les faits commis dans l'église. Les victimes sont encore liées par des questions de loyauté, de peur.
Nous devons les encourager dans leurs démarches. C'est très important de parler, de ne pas rester seul. Ce qui permet d'avancer, c'est de retrouver d'autres personnes qui ont été elles aussi victimes. Que la personne puisse se dire : au moins quelqu'un m'a cru. C'est très thérapeutique. On voit des bouleversements dans la vie de gens qui ont vécu des décennies avec leur traumatisme et tournent la page, parviennent à rebondir. Le fait d'être entendu, d'être reconnu comme victime est essentiel.
Pensez-vous que des décisions vont être prises à Lourdes durant ces 7 jours ?
Je suis inquiet par rapport au programme parce que je ne vois pas comment on va avancer de manière concrète. Les évèques en sont encore à l'accueil presque émotionnel de ce rapport. Le calendrier de la semaine ne répond pas à ces questions fondamentales.