Le deuil est difficile. Il y a un an, Fernande perd sa maman Marie-Marthe après l'avoir sortie de son EHPAD de Ganges, aux confins de l'Hérault et du Gard. Là-bas, l'octogénaire aurait subi de mauvais traitements, voire des actes de maltraitance. Une enquête est en cours.
Les filles de Marie-Marthe recoivent peu de nouvelles de leur maman lors le confinement en 2020. Celle-ci réside alors dans un EHPAD, à Ganges. Le 3 juin, elles s’y rendent pour une visite. Le visage de leur mère est fermé, son regard hagard. Elle a une bosse sur le front, et un bras sérieusement abimé. Lorsqu'elles la questionnent, les réponses sont confuses.
Interrogée, la directrice de l'établissement explique que la vieille dame aurait chuté à deux reprises. "Elle a été examinée, mais l'équipe n'a pas jugé opportun de faire des examens supplémentaires", raconte Fernande, l'une de ses filles. "Quand elle est entrée dans cet EHPAD, nous leur avons demandé de nous contacter au moindre problème. Mais rien n’a été fait", poursuit-elle. A l'initiative de sa famille, Marie-Marthe est conduite aux urgences. Le scanner révèle une fracture de la clavicule ainsi qu'un hématome frontal.
Deux jours après cette visite, les filles de la résidente demandent l’autorisation de venir déjeuner avec elle. Le refus de l’établissement est catégorique. Elles s'y rendent malgré tout. En ouvrant la porte de la chambre, elles découvrent leur mère de 89 ans attachée à sa chaise. Comme lors de la chute, elles n'auraient pas été prévenues. "C’est le ciel qui nous est tombé sur la tête" se souvient Fernande.
La famille prend alors la décision de retirer Marie-Marthe de cette résidence pour séniors.
Suspicion de mauvais traitements
Fernande installe sa maman chez elle. Moins d'un an auparavant, Marie-Marthe était en pleine possession de ses moyens. Elle tient à présent des propos délirants. Sa fille décide d'arrêter le traitement qui lui a été délivré à l'EHPAD. La démarche est approuvée par le médecin de famille. Selon lui, les doses prescrites sont trop importantes. 4 jours après l'arrêt des médicaments, la mère de Fernande recouvre sa lucidité.
Elle me disait je n'y retourne plus, je ne veux plus y aller, je veux rester avec toi.
Chez Fernande, les aides à domicile qui s'occupent de sa mère constatent l'inquiétude extrême de la dame au moment de sa toilette. "Il y a 30 ans que j'exerce, je n'ai jamais vu quiconque réagir de la sorte au moment de la douche" raconte Cathy, infirmière. Ce sont des cris et des complaintes en continu, malgré la douceur des gestes des professionnels. Fernande leur raconte alors ce que lui a confié sa mère : les douches froides à 6h30, la douleur lorsqu'il fallait nettoyer sa blessure... Les trois infirmiers à domicile qui assistent Marie-Marthe constatent dans une déclaration sur l'honneur le comportement inhabituel de leur patiente et font part de leurs soupçons vis-à-vis de la structure d'accueil.
Un témoignage dérangeant
A ces déclarations, s'ajoute le témoignage d'une soignante en poste dans l’institution au moment des faits.
Durant la toilette, l’infirmière qui s’occupait d’elle appuyait sur sa blessure. Elle disait que ça lui faisait mal, on lui répondait qu’elle faisait du cinéma… C’était une escarre, une vraie blessure qui saignait et l’infirmière appuyait dessus. C’est arrivé souvent avec cette dame.
Au terme de son contrat, l’ancienne salariée poste un avis sur Google au sujet de l’établissement dans lequel elle a travaillé. "C’était un commentaire où j’expliquais qu’il y avait des violences physiques et morales mais sans insultes. J’expliquais juste ce qu’il se passait". Le mauvais avis ne passe pas auprès de l’institution. Celle-ci menace alors de poursuivre la jeune femme pour diffamation et la somme de retirer son message public. Elle s’exécute.
Un suivi médical approximatif
Autre problème constaté par les filles de Marie-Marthe, dans le suivi médical de leur mère à l’EHPAD. Régulièrement, des prises de sang sont faites aux résidents pour déceler d’éventuels problèmes de santé. Mais rien à signaler, selon les médecins. Malgré une perte de poids importante, plus de 10 kilos, l’état de l’octogénaire n’inquiète pas. Ca n’est qu’une fois auscultée à sa sortie qu’on lui diagnostique un cancer du foie très avancé. Marie-Marthe y succombe, 2 mois après la fin de son séjour.
Peu de temps avant le décès de sa mère, Fernande porte plainte contre l’établissement et prend un avocat.
Le silence de l'institution
Le maire de la Ganges a découvert l’affaire dans la presse, non sans surprise : "les relations avec cet établissement sont excellentes, il a très bonne réputation et nous travaillons régulièrement avec eux". Sur les faits relatés, Michel Fratissier reste prudent : "C’est embêtant pour l’établissement si la mise en cause s’avère fausse, car entre temps la réputation de l’EHPAD est en jeu. Si les liens de confiance sont rompus entre la directrice et la famille, il vaut mieux faire appel à une instance extérieure. Dans cette affaire, la justice tranchera", conclut-il.
Depuis la sortie de Marie-Marthe, l’établissement n’a pas recontacté la famille. L’enquête préliminaire se poursuit, elle reste au point mort depuis un an.