Le centre hospitalier de Lodève est à la fois trop loin et trop près de Montpellier. Trop loin pour les urgences vitales et les personnes âgées peu mobiles. Trop près pour ne pas subir la concurrence du CHU et des cliniques de la Métropole. A Lodève, maintenir un bon service pour la santé des habitants est un sport de combat.
En milieu de matinée ce jour-là, Jean-Marie arrive aux «Urgences» du centre hospitalier de Lodève, petite sous-préfecture de l'Hérault. Il a été pris en charge chez lui, quelques minutes plus tôt, par une ambulance.
La santé est l'une des douze priorités des Français qui ont participé à la grande consultation en ligne #MaFrance2022, lancée par France 3, en partenariat avec France Bleu et la plateforme Make.org.
Hôpital, CAPS, Ehpad et personnes âgées
A Lodève, sur les contreforts du plateau du Larzac, à 57km au nord-ouest de Montpellier, la santé est une construction fragile. «C’est comme un mur fait de briques de toutes tailles, ça tient mais si on en enlève une, attention à l’effet domino», prévient Patrick Triaire, le directeur de l’hôpital.
Dans ce «mur», la brique de l’hôpital est centrale. Cet établissement polyvalent ne propose ni chirurgie, ni maternité. Ici, le cœur du métier est la personne âgée, avec des lits de médecine et de réadaptation dans les étages et un Ehpad en rez-de-chaussée. Indispensable quand la part des plus de 60 ans ne cesse d’augmenter : en 2018, elle représentait un quart de la population de la commune.
Jean-Marie en fait partie, il est revenu vivre dans sa maison familiale quand il a pris sa retraite, de longues années plus tôt.
Les ambulanciers qui amènent notre retraité poussent les portes du CAPS. Derrière cet acronyme se cache un service d’urgences, même s’il n’en a ni le budget, ni le personnel. Le Centre d’Accueil et de Permanence des Soins fonctionne 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Et compte 10.000 passages par an.
La prise en charge aux Urgences
Jean-Marie est allongé dans l’un des cinq box du CAPS. Il a demandé une couverture, parce qu’il a un peu froid. Il somnole quand le docteur Dell’Ova vient le rejoindre. Jean-Marie est un peu sourd. Il faut se pencher vers lui et parler fort. Il se plaint d’une douleur récurrente à l’arrière de la jambe, devenue insupportable. Il ne peut plus marcher, ne peut plus dormir. Jean-Marie a 92 ans. C'est son frère cadet qui s'occupe de lui. Mais il est lui aussi très âgé.
Avant d’aller voir son patient, le docteur Dell’Ova a pris le temps de discuter avec l’ambulancier : «Son frère n’en peut plus, il dit que Jean-Marie s’énerve sans arrêt, devient agressif». Un coup d’œil sur ses dossiers le confirme : le nonagénaire était ici dix jours plus tôt en raison d’une chute. Déjà à cause de sa douleur à la jambe.
Alors, quand il s’approche du vieil homme pour le questionner, le docteur Dell’Ova cherche aussi à savoir si l’état général, physique et psychique de Jean-Marie, lui permet de rester à domicile.
Il faut brosser le tableau sur le plan médical et sur le plan social, l’un est aussi important que l’autre.
Docteur Jean-Raymond Dell'Ova
Le docteur Jean-Raymond Dell’Ova a été recruté en octobre 2021, il est médecin salarié du CAPS. «On peut faire du bon boulot ici. La coopération entre professionnels ce n’est pas toujours facile mais c’est essentiel pour une bonne prise en charge des patients». Tout le monde ici l’appelle J.R.
Il a effectué deux ans de remplacement avant de prendre son poste. «On a un rôle de filtre et d’aiguillage pour les patients, 90% des patients vus ici rentrent chez eux, cela évite d’encombrer les urgences du CHU de Montpellier, qui sont déjà saturées. On fait beaucoup de gériatrie et de traumatologie».
«L’existence de notre hôpital est justifiée sur le territoire» renchérit sa collègue infirmière, Mélanie Clergue. «Nous travaillons autant que les «vrais» services d’urgence mais avec moins de moyens. J’ai été en poste au CHU de Montpellier, je préfère être ici, dans un établissement à taille humaine», explique l’infirmière. «Si on fait ce métier, c’est par vocation, le salaire vient en second. Mais à condition de travailler correctement. Et malgré nos efforts, on manque de temps pour les patients. Parce qu’on manque de moyens humains».
Un scanner pour affiner le diagnostic
Le docteur Dell’Ova décide de faire passer à Jean-Marie un scanner du dos, pour trouver l’origine de sa douleur. Le scanner est juste au bout du couloir, c’est un équipement important pour la santé de tous les habitants du Lodévois-Larzac.
«Aujourd’hui, les diagnostics en médecine s’appuient sur l’imagerie médicale et les analyses biologiques» précise le directeur Patrick Triaire. «Pouvoir faire les deux ici à Lodève est indispensable : on apporte un service de proximité à la population qui évite des heures de trajets vers Montpellier et des mois d’attente pour un rendez-vous, c’est un service rendu aussi aux médecins généralistes de la commune».
Le scanner fonctionne en partenariat public-privé avec la clinique du Parc de Castelnau-le-Lez. Et les analyses de biologie médicale sont traitées par le CHU de Montpellier. Des «petites briques disparates» assemblées par la direction pour faire tenir l’hôpital.
Au scanner, c’est Aurélia Dall’Ava qui officie. Elle est manip radio ici depuis presque 12 ans. Et se désespère du manque de personnel formé.
On cherche à recruter mais il y a une pénurie de manipulateurs en électroradiologie.
Aurélia Dall'Ava, manipulatrice radio
«Comme on n’est pas assez nombreux dans les services, on porte davantage les patients, on se blesse plus souvent, les conditions de travail se dégradent et les arrêts de travail augmentent» explique la jeune femme. Pour elle, «il faut revoir la sélection, qui passe par parcoursup et former davantage de jeunes à ce métier mal connu».
Aurélia, souriante et énergique, s’occupe de Jean-Marie. Puis le nonagénaire retourne se reposer dans son box, en attendant les résultats. Rien de concluant. Jean-Marie est plutôt en forme pour un homme de son âge. Il répète d’ailleurs qu’il a beaucoup joué au foot dans sa jeunesse. Le docteur Dell’Ova vérifie auprès de ses collègues : il y a une place dans le service de médecine à l’étage au-dessus.
Il décide d’hospitaliser Jean-Marie pour voir si on peut soulager sa douleur. L’occasion aussi de faire une évaluation cognitive plus poussée du vieil homme, afin de vérifier s’il peut continuer à vivre dans la maison familiale.
Un mot-clef : la proximité
Jean-Marie rejoint au premier étage du centre hospitalier, le service du docteur Fabienne Lasalle. Au deuxième étage de l’hôpital, le docteur Philippe Gal vient d’être recruté. Avec son équipe, il a la charge de l'autre moitié des lits de soins médicaux et de réadaptation de l’hôpital.
A 61 ans, il souhaitait terminer sa carrière de médecin généraliste et gériatre dans un service de proximité, «un service public au plus près des patients âgés et de leurs familles».
«Malgré nos efforts, nous avons l’impression d’être maltraitant parce qu’on manque de temps», soupire le docteur Gal, «Il y a des tâches administratives incompressibles. Nous ne comptons pas nos heures mais nous manquons de personnel. Ici, j’ai une chouette équipe, sans elle, je ne ferai rien. Il faut de l’humain à l’hôpital, et l’humain c’est prendre soin des patients comme des soignants».
Quand je vois le dévouement et l’investissement des infirmières, des aides-soignantes et leurs salaires, c’est à pleurer.
Docteur Philippe Gal, gériatre
Ce côté familial, c’est aussi ce qui motive Audrey Pouzens, l’une des infirmières du deuxième étage. «On connaît les familles, on est des repères pour les patients âgés qui reviennent souvent».
Lors de sa tournée des chambres en fin de matinée, une dame l’interroge à propos de sa mère, 91 ans, hospitalisée ici pour des soins de rééducation après une fracture du bassin. «Elle pense que tous les gens qu’elle voit à la télé sont des voisins ou des amis. Elle me reconnaît, sait que je suis sa fille mais pour le reste, sa perception de la réalité est altérée» détaille Patricia Loubet.
L’infirmière prend le temps de discuter et relayera ses inquiétudes au médecin. Patricia est satisfaite : «chaque fois que j’ai posé des questions, on m’a répondu. Je viens tous les jours, je vois les mêmes personnes qui s’occupent de ma mère, c’est important pour elle et pour moi». Fabienne Crouzet passe en poussant son chariot de ménage et la salue. Elle est agent de bionettoyage depuis 36 ans. Et malgré la bonne ambiance du service, elle confie sa lassitude. «Avec le covid, il a fallu redoubler de vigilance, suivre des protocoles plus pointus. A Noël, j’ai réduit mes congés, 5 jours au lieu de 15».
On nous demande beaucoup, on est conscient qu’on est en crise, qu’il faut faire des efforts mais on manque d’agents.
Fabienne Crouzet, agent de bionettoyage
Fabienne montre ses mains, ses doigts qui ne peuvent plus se fermer comme avant, c’est douloureux… Elle a 59 ans et n’imagine pas continuer son métier bien longtemps.
Un regret : le manque de moyens
Le manque de personnel soignant, diplômé ou non, est un refrain entendu dans tous les services de l’hôpital de Lodève, dans toutes les professions. Le directeur de l’hôpital le sait mieux que personne : «ça fait des années que ça dure. Depuis deux ans, même les boîtes d’intérim n’arrivent plus à fournir des remplaçants. Alors on rappelle sur les congés. On est en réorganisation constante pour faire mieux avec moins. Entre la pression financière exercée sur nos budgets et la rareté du personnel, la situation est complexe. Pour moi, on est, comme tous les hôpitaux publics, aux portes de grandes difficultés : comment faire fonctionner un restaurant sans cuisiniers ?» s’interroge-t-il.
Sous le feu on tient. C’est après que l’on a des défections.
Patrick Triaire, directeur de l'hôpital de Lodève
Patrick Triaire est aussi inquiet pour l’avenir de son centre d’accueil et de permanence des soins, un dispositif mis en place en 2009 et dont le financement est rediscuté chaque année par l’Agence Régionale de Santé Occitanie.
A Lodève, maintenir un tissu médical et paramédical correct pour les 9.000 habitants intra-muros et les 15.000 en élargissant aux petites communes alentours demande un effort constant. A l’hôpital comme en ville.
Le territoire, sans être un désert médical, n’est pas aussi attractif que les villes plus grandes. Tout le centre-ville est classé en zone prioritaire et la moitié des habitants y vivent en-dessous du seuil de pauvreté.
Pas assez de médecins en ville
La mairie a rénové l’ancienne poste pour créer une maison de santé pluri-professionnelle flambant neuve. Une belle rénovation en centre-ville qui accueille une dizaine de professionnels de santé. Mais après plusieurs départs à la retraite, il manque toujours des généralistes. «Au moins trois», selon les calculs de Gaëlle Lévêque, la maire socialiste de la commune.
En attendant, sur les deux étages de la maison de santé, les salles d’attente ne désemplissent pas. Et les patients rencontrés sont satisfaits. Comme Catherine Olivo, installée depuis trois ans à Lodève. «J’ai pu avoir un rendez-vous en dix jours pour un scanner, alors qu’à Montpellier, pour mes parents, il y a trois à quatre mois de délais. On est plutôt bien soigné ici. Mais j’ai eu de la chance d’arriver en même temps que de nouveaux médecins».
Une chance que n’a pas encore eue Tatiana Goiano. La jeune femme a repris le petit café près de la mairie et de la cathédrale Saint-Fulcran, en octobre dernier. Une institution, ouverte il y a plus de 70 ans, avec son sol à damier noir et blanc et son grand bar en formica.
Je n’ai pas trouvé de médecin pour ma fille de 15 mois et moi. Pour l’instant, je vais à Pézenas. C’est à trente minutes de route.
Tatiana Goiano, commerçante
«J’espère que de nouveaux médecins vont s’installer, ça bouge ici, de nouvelles personnes arrivent, avec des projets et l’envie d’un autre rythme de vie» dit Tatiana, confiante, avec un grand sourire.
La mairie s’est portée candidate pour accueillir des médecins salariés selon le dispositif mis au point par la Région Occitanie. «En juin, si tout va bien, au rez-de-chaussée de la maison de santé», précise Gaëlle Lévêque.
La maire, le directeur de l’hôpital et son personnel font le même diagnostic.
A Lodève, tout fonctionne ensemble, la maison de santé, les médecins salariés, les généralistes libéraux, les infirmiers, les kinésithérapeutes et le centre d’accueil et de permanence des soins.
Si on enlève une seule pièce, toutes les autres risquent de tomber.