Dans son dernier roman, Xavier-Marie Bonnot mêle imagination et événements récents. Marie, tout juste majeure quitte sa ville natale de Lunel, près de Montpellier pour rejoindre Raqqa, fief de l'Etat islamique en Syrie. Un récit ponctué par les témoignages réels des accusés et des victimes des attentats du 13 novembre.
"Pierre fouille avec son téléobjectif. Il distingue d’abord une ombre. Une forme noire s’immobilise. Il fait le point, pince le diaphragme pour avoir un peu de profondeur de champ. La forme avance et se fige dans la déchirure d’un mur. Une femme..."
Raqqa (Syrie), 2017. Pierre, photographe de guerre, suit des Français enrôlés dans les YPG, les unités de protection du peuple kurde. Leur mission : libérer la place du Paradis, lieu hautement symbolique de Daesh. Pierre assiste à l'arrestation de Marie, une jeune française qui a rejoint l'Etat Islamique. Marie aurait été reconnue dans des vidéos de Daesh. Elle figure depuis un an sur les listes des personnes recherchées par toutes les polices. La tuer ou la capturer est comme un devoir.
Se rendre "utile"
Marie a à peine 18 ans lorsqu'elle décide de quitter sa petite ville natale de l'Hérault, pour suivre son copain. L’argent de l’anniversaire va payer le passage vers la Syrie pour y retrouver Fabien Marceau alias Abou Mehdi al-Faransi, lui aussi originaire de Lunel. "Il sera l'un des bourreaux de Daesh, un proche, très proche même de ceux qui ont piloté les attentats de Paris". Il sera tué lors d'un bombardement de l'armée française.
Je devais devenir aide-soignante dans un hôpital de Raqqa, rien de plus
Marie
"J’ai rencontré un homme qui se faisait appeler Yann dans un village près de Toulouse. On était dans une ferme pour nous préparer. Je devais devenir aide-soignante dans un hôpital de Raqqa, rien de plus".
Mais Marie va vite être confrontée à l'horreur: "elle apprenait à tuer, on lui montrait la mort, partout, sur les écrans de télévision, dans la rue."
Après l'arrestation, Marie est conduite dans un camp d’internement au nord de la Syrie. Elle utilisera une filière d'évasion (que les parents de Marie, qu'elle n'osera jamais revoir, paient neuf mille euros) pour revenir en France avant d'être arrêtée et placée en détention à la Maison d'arrêt de Nîmes. Elle est TIS "terroriste islamiste" et ne peut donc ni travailler ni se promener avec les autres détenus.
Mêler imagination et événements récents
Dans ses romans, Xavier-Marie Bonnot mêle imagination et événements récents. Place du paradis n'y échappe pas. Et c'est troublant. "Le cas de cette fille est en train d’être débattu jusque sur les bancs de l’Assemblée nationale. Un cas d’école pour nos politiques."
Marie a-t-elle réellement existé ? L'histoire est crédible. Entre 2014 et 2015, une vingtaine de jeunes originaires de Lunel ont quitté la France pour faire le djihad dans le Moyen-Orient. Une quinzaine est décédée sur le front syrien.
La condamner est facile, l’excuser serait monstrueux
Pierre, photographe
En prison, Marie accepte de collaborer uniquement si elle peut revoir Pierre, le photographe pour qu'il retrouve son fils, Adam, laissé en Syrie. L'homme, revenu chez lui, face à la Plage du Grand travers, près de Montpellier, hésite: "La condamner est facile, l’excuser serait monstrueux". L'auteur pose cette réflexion en 2022, alors que s'ouvre le procès des attentats du 13 novembre. Xavier-Marie Bonnot reprend des témoignages des victimes et des échanges entre le président Jean-Louis Périès et Salah Abdeslam, le dernier membre en vie des commandos. Retour à la réalité...
En prison, au parloir, face à Pierre, Marie fait une synthèse de sa vie. Entre haine, colère mais aussi résignation: " La vérité c’est que je suis allée me chercher là-bas, et je me suis persuadée que c’était pour lutter contre le régime d’Assad et me rendre utile. Rien n’est gratuit, en fait. Le pire était en nous depuis longtemps."
Le pire était en nous depuis longtemps
Marie
C'est le moment aussi à 60 ans, sans enfant, Pierre réfléchit au sens de son existence. "Étrange sentiment, le photographe n’a jamais cessé d’avoir foi en la nature humaine, jamais la guerre ne l’a usé sur cette face de son âme. « Dans ces moments, on demande ce qu’on fait là. C’est un drôle de métier. On gagne sa vie grâce au malheur des autres. »
Place du Paradis (éditions Récamier) est le roman cruel de l'actualité, l'histoire croisée de deux êtres que tout oppose et que la guerre a réuni.
Questions à Xavier-Marie Bonnot
Les ombres de Dora raconte l'enfer du camp de concentration. Unique par son rôle dans la stratégie militaire nazie. Unique enfin parce que, dans le ventre de la terre, avec le martyre des déportés, commençait l'histoire de la conquête spatiale. Ce documentaire proposé par Xavier-Marie Bonnot sera diffusé par LCP le 29 janvier à 20h30. L'auteur a déjà à son actif près d'une soixantaine de documentaires comme Jim, une histoire de Belfast qui aborde le terrorisme de l'IRA.
Avec Place du Paradis, Xavier-Marie Bonnot vous revenez sur cette thématique du terrorisme, en partant de Lunel. Pourquoi ?
Ce n'est pas un hasard. Avant de devenir une ville qui a vu une vingtaine de ses jeunes partir faire le djihad, Lunel a une histoire. Elle a longtemps été considérée comme la petite Jérusalem médiévale (XIème siècle) avec une forte communauté juive.
Dans mon livre, Marie a des origines juives que sa mère lui a très longtemps cachées. Quand on vous a coupé de vos racines, vous recherchez la transcendance, c’est-à-dire Dieu. Et la religion qui vous ouvre les bras en un claquement de doigts, c'est l'islam. On est pris en compte, on existe. Marie va se tourner vers l'islam radical. Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Le djihadisme est quelque chose de très complexe.
Vous mêlez imagination (le roman) et événements récents. Pourquoi ?
Il était important pour moi de raccrocher mon histoire aux massacres des islamistes et donc d'évoquer en parallèle le procès des attentats du 13 novembre. Il fallait raconter le martyre des victimes.
Marie et les jeunes ont grandi dans ce climat de terreur et ils n'ont pas condamné les attentats. Elle est partie en Irak pour aider dit-elle. Elle ne se pose pas de question alors qu'elle sait ce qu'il s'y passe. Pardonner c'est impossible. Mais la condamner c'est facile. L'équilibre est très compliqué".