La 4e journée du procès aux assises à Montpellier a été marquée par le revirement d'Anouar Taïbi. Présenté comme un donneur d'ordre, l'accusé a reconnu, non sans émotion, sa participation à la séquestration et aux violences qui ont mené à la mort de Sofiane Perrin en 2016.
Depuis l’ouverture du procès des l’affaire Sofiane Perrin, l’un des cinq accusés restait effacé. Pourtant présenté comme celui qui, à distance, a donné l’ordre à ses sbires de molester Edouard A., R. et Sofiane Perrin les 28 et 29 mars 2016, Anouar Taïbi est enfin apparu dans les débats ce 11 mars, et de la plus spectaculaire des manières.
Entendu le matin à la barre, Othman, son beau-frère, relate d’abord le comportement d’Anouar Taïbi le soir du 29 mars 2016. Alors qu’ils se trouvent ensemble à Vénissieux (Rhône) l’accusé a demandé à son beau-frère, alors âgé de 17 ans, de lui prêter son portable.
Resté à proximité d’Anouar Taïbi, Othman suit la conversation. "J’ai compris qu’Anouar s’était fait cambrioler. Il était très énervé et cherchait le coupable", relate Othman. Au bout du fil se trouvent tantôt Adamee Reghi, à qui Anouar Taïbi avait confié en son absence les clés de son domicile de Capestang (Hérault) cambriolé, tantôt Hachim El Moutaouakil, son autre beau-frère.
« Il hurlait au téléphone »
Perturbé, Anouar Taïbi reste "près de cinq heures" au téléphone et va jusqu’à hurler.
Je lui ai proposé de continuer l’appel dans une voiture car les voisins commençaient à se plaindre.
Les enjeux se dessinent peu à peu dans la tête du jeune homme : à Capestang, les exécutants sont chargés de faire parler Edouard A. et Sofiane Perrin, présentés comme les potentiels cambrioleurs. "J’étais mal pour ces jeunes," glisse Othman, qui devine le calvaire qu’ils subissent dans cette commune du Biterrois.
Le lendemain, le 30 mars, Othman apprend par Anouar Taïbi que Sofiane Perrin n’a pas survécu à sa torture. "J’ai l’impression qu’il avait des remords" glisse le témoin, sous les protestations des parties civiles. Celui qui est alors le copain de sa soeur lui intime de détruire sa carte Sim pour ne pas avoir de problème avec la police. D’abord de bonne volonté, Othman esquive de nombreuses questions précises de la présidente comme des avocats de la partie civile. "Je ne m’en rappelle plus. Comme j’ai dis, j’ai affirmé ça à l’époque, mais je ne peux plus le confirmer aujourd’hui," répète-t-il.
« J’ai été manipulé »
La président laisse ensuite Anouar Taïbi prendre le micro. "Je veux présenter mes condoléance à la famille de la victime, et ma compassion à l’encontre des deux autres," débute l’accusé, présenté comme le donneur d’ordre. "Je ne les accepte pas," répond, indignée, Laurence Perrin, la mère de Sofiane, dont l’avocat Me Luc Abratkiewicz lui demande aussitôt de ne plus réagir. L’assemblée découvre alors l’assurance et l’insolence dont peut faire preuve le plus discret des accusés, condamné 21 fois à seulement 29 ans.
« Il y avait des biens avec une valeur sentimentale qui avaient disparu, j’étais pas bien," continue Anouar Taïbi, à propos du cambriolage à son domicile de Capestang. Je voulais savoir qui avait osé faire ça, j’ai appelé Adamee Reghi pour lui demander. Il a direct désigné Hicham [El Moutaoukil, NDLR]. J’ai ensuite posé la question à Hicham. Et lui m’a dit « mais comment tu peux m’accuser ? Je suis comme ton frère ! Adamee c’est un menteur, je vais lui parler »".
Anouar Taïbi charge Adamee Reghi, lève le bras sans arrêt dans sa direction. "Il m’a manipulé dès le début. Il m’a dit que le cambriolage avait eu lieu la veille, alors que c’était trois jours avant. Ensuite, Adamee désigne mon beau-frère [Hicham El Moutaouakil, NDRL] comme le coupable. Troisièmement, il a invité des gens chez moi en mon absence, alors que je ne lui ai jamais donné la permission."
Lorsqu’il demande à Adamee qui est entré dans la maison, celui-ci lui présente cette fois Edouard A., Sofiane Perrin et R. comme les potentiels cambrioleurs. "« T’inquiète pas, je m’en occupe, » il m’a répété, comme s’il se sentait responsable," signale Anouar Taïbi.
Les exécutants font du zèle
L’accusé plaide le zèle de ses compères. "Je ne connaissais pas l’ampleur des coups qu’avaient reçus les jeunes. Avant-hier, j’ai vu le corps d’Edouard A., franchement j’avais mal au coeur," souligne Anouar Taïbi, mentionnant les images diffusées par les médecins légistes.
Oui, j’ai dit à mon beau-frère de casser sa puce, c’était pour le protéger. Mais j’ai pas fui à l’étranger, j’attendais à me faire attraper. Je savais que j’avais à rendre des comptes. mais je n’avais aucune maîtrise sur la situation ce soir-là, je n’y étais pas !
Au micro, Anaour Taïbi est très agité pendant les questions. Il déblatère son discours pendant de nombreuses minutes, malgré les tentatives de la présidente de l’interrompre pour lui demander des précisions. « J’ai l’impression que vous ne connaissez pas le dossier, » gronde même Anouard Taïbi à l’adresse de la présidente. Entre deux moulinets de bras, Anouar Taïbi se plaint tantôt de ne pas manger à sa faim depuis le début du procès ou encore de se trouver dans le box alors que deux accusés écroués eux aussi se trouvent dans la salle sous escorte.
L’accusé craque
Puis l’accusé craque. Pressé par les questions de l'avocat Luc Abratkiewicz, Anouar Taïbi profite d’une suspension d’audience pour discuter avec son avocate. Lorsque la cour revient, il déclare reconnaître sa participation aux faits de séquestration et de violences volontaires à l’encontre des trois victimes, ayant entraîné la mort dans le cas de Sofiane Perrin.
Il reconnaît de même les circonstances aggravantes que sont l’usage d’une arme et les violences en réunion. Il conteste seulement la préméditation. « Non, j’ai rien préparé, j’étais pris dans le truc. J'ai jamais voulu la mort de quelqu'un," justifie-t-il devant une salle médusée. Le greffier prend en note les déclarations, tandis que l’accusé, qui niait tout en bloc jusque-là, reste les yeux au ciel.
"Je fais ça pour Edouard, pour R. et pour la mémoire et la famille de Sofiane. J’ai jamais voulu leur faire de mal, ce sont des gars sympas de mon village. Je vous regarde dans les yeux, j’attends pas de compliment," déclare l’accusé, en larmes, en se tournant vers les deux rescapés. Assis au premier rang, Edouard A. le toise en hochant la tête.
"J’assume ma responsabilité, j’assume. A eux de le faire à présent," continue Anouar Taïdi à l’adresse de ses co-accusés, qui seront à leur tour entendus sur les faits le lendemain. Chercheront-ils la rédemption ? Ce vendredi 12 mars nous le dira.