ENTRETIEN. "La reprise de la pandémie de Covid-19 s'accélère", estime l'épidémiologiste Mircea Sofonea

Alors que le directeur de l'OMS a diffusé un message d'espoir mercredi 14 septembre au sujet d'une possible fin de la pandémie de Covid-19, l'épidémiologiste Mircea Sofonea, maître de conférences à l’université de Montpellier, tire la sonnette d'alarme.

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Mercredi 14 septembre 2022, le directeur de l'OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, assurait que "nous sommes sur le point de gagner" face au coronavirus. Pourtant, pour l'épidémiologiste et maître de conférences à l’université de Montpellier, Mircea Sofonea, aucun élément ne permet de dire que cette pandémie va disparaître. Au contraire, "l'incidence est en train de remonter partout sur le territoire, de façon assez homogène" rapporte celui qui parle du début d'une huitième vague.

La pandémie de Covid-19 est-elle en train de disparaître ?

"La pandémie n’est pas en train de disparaître. La fin d’une pandémie ça voudrait dire, d’un point du épidémique, qu’on aurait éradiqué le pathogène. Or, avec les moyens actuels, c’est impossible. On le sait notamment depuis la forte contagiosité du variant delta. Et le vaccin est insuffisant pour empêcher toute nouvelle vague. L’immunité baisse au fil du temps, ce qui appelle à des rappels. Ce virus peut aussi infecter des animaux domestiques et sauvages, ce qui rend de son éradication hors de portée."

Est-ce que l’on doit s’habituer à vivre avec comme n’importe quel autre virus ? Est-ce qu’il est si grave ?

"La pandémie du Covid-19 est grave. Entre mars 2022 et aujourd’hui, le coronavirus a tué près de 16 000 personnes. C’est donc bien plus fort qu’une grippe, qui tue entre 10 000 et 15 000 personnes par an. En six mois, le Covid-19 a tué plus qu’une grippe en un an. Mais il n’y a pas que ça. Le Covid-19 c’est aussi des hospitalisations, qui peuvent bien finir certes, mais si vous passez par des soins critiques, vous ne retrouvez pas une vie normale. On ne sort pas indemne de la réanimation, on n’a plus les mêmes capacités physiologiques. Il s’agit là de séquelles transitoires non-négligeables. Et puis il y a le Covid long, dont on parle trop peu en France. Les symptômes impactent alors plus ou moins la qualité de vie, sur des durées qui peuvent être très longues. Brouillard cognitif, fatigue, risques cardio-vasculaires et neuropsychiatriques : beaucoup de personnes n’ont toujours pas récupéré leur vie d’avant Covid. On parle de 5 à 20% des personnes qui ont des symptômes persistants."

La situation est-elle alarmante ?

"Nous sommes au début d’une huitième vague, en particulier en France. Le Covid-19 a encore un impact important sur la santé publique. On peut parler de fardeau sanitaire, qui n’est, hélas, toujours pas en train de régresser. Quand cette vague aura une traduction hospitalière, ça atteindra une vague non-négligeable. Le personnel soignant est éprouvé. Le nombre de reproductions, qui est le nombre moyen de personnes infectées par personne contagieuse, est en train d’augmenter encore, c’est-à-dire que la vague n’a toujours pas atteint sa vitesse de croisière, elle continue d’augmenter. C’est en train de s’accélérer. Et c’est dû en partie à un cumul de deux choses : le déclin immunitaire, et la transition vers la saison automnale. Les jours sont plus courts, il fait plus froid, on est davantage à l’intérieur, on croise plus de personnes donc plus de risques de transmissions."

Que pensez-vous du message du directeur de l’OMS ?

"Le message de l’OMS est un message d’espoir. Il permet à la population de se projeter vers des jours moins inquiétants, mais attention : il y a aussi une composante de communication dans le discours de l’OMS. Il faut le prendre en compte. Ce discours permet de relâcher une certaine angoisse et anxiété dans la population, qui étaient néfastes aux gestes barrières et à la prise de conscience des risques parce que ces angoissent sont source de rejet, de mise à distance de tout ce qui est associé au Covid-19."

Que faut-il faire, comment se comporter face au Covid désormais ?

"L’important est d’opérer une transition vers le temps long. On est moins dans l’urgence, mais on essaie de prévenir la circulation d’un virus dont la transmission est évitable. Il y a un continuum de possibilités d’efforts collectifs auxquels nous sommes prêts à consentir. Hélas, les élections présidentielles et législatives auraient pu le permettre mais le débat n’a pas même pas eu lieu, il n’y a pas eu de débat sur la santé. Il y a un vide, en France, sur la stratégie à adopter. On n’a toujours pas, aujourd’hui, de conseil d’anticipation et de veille sanitaire. Est-ce qu’on est prêt ? On ne le sait pas alors qu’il y a un signal net de reprise épidémique. On n’est pas en ordre de marche pour la suite. Et ça s’inscrit dans cette distance, dans ce … je ne dirai pas déni, mais, quelque part, on est dans un renoncement vis-à-vis de ce virus."

Faudrait-il revenir à des mesures fortes ?

"Non, ça ne veut pas dire qu’il faut revenir à des mesures très fortes comme le confinement ou le couvre-feu. Mais il faudrait qu’on se donne les moyens de discuter de stratégies collectives qui auraient un impact sur le Covid. Et ça passe par l’aération des pièces publiques, revenir à des mesures qui dépendent des territoires, le rétablissement du port du masque dans les lieux publics, l’isolement en fonction des métropoles, des départements et des agglomérations. Sinon on continuera de vivre avec le virus, mais je ne sais pas si le personnel soignant est prêt à cela. On fait partie des pays d’Europe avec l’occupation hospitalière relative au Covid parmi les plus importantes."

Où en est-on des rappels vaccinaux ?

"Les rappels vaccinaux apparaissent inévitables. La question est celle de la périodicité. C’est un des sujets sur lesquels nous travaillons ici à Montpellier. On parle d’une dose de rappel, voire deux pour les personnes fragiles par an. Mais même s’il n’y a pas de nouveau variant, il y a un potentiel d’installation de vagues régulières dont l’impact ne peut être limité que par la vaccination. Et si les anciennes formules de vaccins sont moins efficaces sur certains variants, il y a toujours un bénéfice à se faire vacciner parce que cela stimule le système immunitaire, qui permet d’améliorer la réponse, même si elle ne sera pas aussi élevée et pérenne. La recherche sur les traitements et vaccins prend du temps. On aurait besoin d’essais cliniques et de moyens. Et comme le virus mute, on court après lui. Il y a une forme de lassitude des politiques, de la population mais aussi des scientifique, je ne vous le cache pas, parce qu’on se sent limité depuis plus d’un an. Si la population ne fait plus de rappels, les hospitalisations vont rester au même ordre de grandeur. Il faut donc porter le masque quand c’est nécessaire. La stratégie devrait passer par plusieurs composantes : vaccinale, gestes barrières, mesure territorialisées efficaces pour casser les vagues, éducation à la santé, dépistages, autotests, etc. Parce que sinon, on rajoute un virus parmi les virus circulant, certes, mais ce n’est pas juste un rhume."

Les hôpitaux sont-ils surchargés ?

"L’occupation hospitalière est différente d’une région à l’autre. Dans le Tarn, il y a moins de lits occupés que dans les Pyrénées-Orientales par exemple. On est loin de la saturation, il n’y a pas de signal de risque de saturation pour l’instant. La couverture vaccinale maintient une protection relative. À cela s’ajoutent un ensemble de facteurs, qui font que la pression sur l’hôpital va augmenter mais ne sera pas au niveau d’une saturation. On verra dans deux semaines. Ça dépendra aussi de si la population s’est emparée de l’information d’une reprise. En janvier, cumulé à la problématique de la grippe, le système hospitalier, qui n’est déjà pas au meilleur de sa forme, sera fatigué. Ça devrait pousser la population et l’Etat à maintenir une prévention importante au niveau du Covid et des autres infections respiratoires."

Pour le scientifique, on n'est donc pas dans une optique de victoire, mais plutôt dans une optique de prévention. "C’est un virus dont la transmission est évitable et chaque transmission évitée est un bénéfice pour la santé publique" conclut-il. 

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