Masque Fang vendu 4 millions d'euros aux enchères à Montpellier : le Gabon porte plainte et demande sa restitution

Mardi, un couple de retraités et un brocanteur ont revendiqué la propriété d'un précieux masque gabonais au tribunal d'Alès dans le Gard. Intervenus pendant l'audience, les avocats du Gabon entament une seconde procédure au pénal pour le retour de la relique à Libreville. Mais peu d'outils juridiques sont à l'avantage de l'ancienne colonie française.

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"Des millions d'euros, c'est ce qui retient l'attention du grand public. Mais il y a mieux à dire", tonne maître Bessy, venu représenter l'État gabonais mardi 31 octobre 2023, au tribunal d'Alès.

Le matin même, une audience opposait un couple de retraités, les Fournier, à un brocanteur. Chaque partie revendique la propriété d'un masque Fang. M. et Mme Fournier en ont hérité de leur ancêtre, ancien gouverneur du Gabon colonial.

En 2021, le brocanteur leur achète le masque 150€ pour le revendre 4,2 millions d'euros six mois plus tard. Les Fournier auraient-ils dû se renseigner sur la valeur de l'objet ? Était-ce au brocanteur de les en informer ? Ce premier volet judiciaire, détaillé sur notre site, n'est pas l'objet de cet article.

Car l'affaire connaît un rebondissement. Le mois dernier, l'État gabonais s'invite dans le feuilleton pour plaider un principe qu'il estime supérieur, soit le droit des pays africains de récupérer les biens retirés pendant la colonisation.

Médiatisée pour le prix pharaonique du masque en question, cette affaire pourrait peser dans le débat, plus large, de la restitution des œuvres coloniales. Bien que dans le cas précis du masque Fang, le droit de propriété français semble primer sur les intérêts du Gabon.

"Un masque sacré et mystique"

Tout commence quand Solange Bizeau, présidente du Collectif Gabon Occitanie, apprend dans le journal la vente d'un masque Fang aux enchères à Montpellier. Le 16 mars 2022, les membres de son association se rendent sur place pour tenter d'annuler la vente, sans succès.

"Ce n'est pas un objet de décoration ordinaire, suspendu dans n'importe quel salon africain. Il s'agit d'un masque sacré et mystique", réagit aujourd'hui Solange Bizeau.

Ce masque constitue en effet l'arme de justice de la société Ngil. Dissimulé dans la demeure des chefs de cette communauté, il était sollicité secrétement, dans le cas d'un litige insolvable entre deux habitants.

Avec l'interdiction de ces rites par la métropole, la construction des fétiches prend fin dans les années 1920. Si bien que le monde n'en compte plus qu'une petite dizaine aujourd'hui.

"Ce masque ne devrait pas être disputé des millions d'euros mais retourner à la maison", argumente Solange Bizeau. "Le Gabonais qui l'a fabriqué a lui aussi laissé une descendance derrière lui".

Un contexte politique favorable

Son collectif porte donc plainte pour recel en avril 2023. L'association dispose à présent d'un allié de taille puisque le mois dernier, l'État gabonais dépose une plainte similaire, représenté par les avocats Bessy et Bettoe.

"La position du Gabon n'est pas nouvelle mais elle a pris en vigueur dans un contexte politique  favorable à la restitution des œuvres", développe maître Bessy.

Ces dernières années, nombre d'États africains - dont le Gabon - manifestent la volonté de se réapproprier leur patrimoine culturel. De son côté, l'Etat français ouvre la voie aux négociations, à la circulation et au retour de certaines œuvres.

Les échanges entre musées nationaux dépendent du bon vouloir politique des gouvernements. Mais lorsqu'une œuvre sommeille dans le grenier de particuliers celiui des Fournier, c'est une joute d'ordre juridique qui débute. Et cette fois-ci, avec peu d'outils en faveur des anciennes colonies.

Prescription et droit de propriété

Aucun droit international ne régit tout d'abord la situation particulière de cette relique. Il y a bien la Convention de l'Unesco des années 70, qui autorise un pays à demander la restitution d'un bien soustrait dans des conditions illicites. 

Mais elle ne s'applique qu'à des objets accaparés après la date de ratificaiton des Etats concernés. Ce n'est pas le cas du masque Fang, ramené en France dans les années 1920.

"Peu d'affaires ont opposé Etat et particulier", commente Pierre Noual, spécialiste en droit du patrimoine. "Mais la plupart du temps, les juges appliquent le droit français et la présomption de propriété en matière mobilière", détaillée dans l'article 2276 du Code civil.

La justice pourrait aussi considérer les faits prescrits : le masque a été accaparé il y a plus de cent ans, par un individu qui n'est plus en vie.

Vol, violences, appropriation dans un contexte de domination, trouvaille... Les conditions dans lesquelles le gouverneur Fournier s'est saisi du masque sont-elles susceptibles de jouer en la faveur du Gabon ?  Maître Bessy ne souhaite pas s'exprimer sur l'instruction en cours.

Un cas d'école ?

L'issue de ce nouveau volet judiciaire pourrait reporter, voire annuler au pénal le procès civil initial qui mettait face à face Fournier et brocanteur.

L'affaire du masque Fang interroge sur le cadre juridique qu'il convient d'appliquer à la restitution d'oeuvres coloniales."Doit-on y inclure la notion de propriété privée à laquelle notre droit latin est si attaché ?" Pierre Noual pose la question.

L'avocat en droit du patrimoine ne prétend pas avoir la réponse. Mais selon lui, une restitution avec indemnisation des anciens propriétaires est une piste à explorer. En la matière, le sort du masque Fang pourrait faire jurisprudence.

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