Les laboratoires Servier ont été reconnus coupables de tromperie aggravée et condamnés à 2,7 millions d'euros d'amende dans l'affaire dite du Mediator. Des condamnations trop clémentes pour les victimes du sud de la France qui ont assisté au délibéré en visio-conférence.
L'affaire du Mediator : des années d'instruction, huit mois d'audience, 7 000 parties civiles et un dénouement ce lundi 29 mars. Le jugement du tribunal correctionnel de Paris a été rendu ce lundi 29 mars
Pour ce procès hors-norme, la justice a mobilisé des moyens inédits. Pour la 1ère fois, le délibéré a été retransmis en direct, dans deux salles de la cour d’appel de Montpellier. L'occasion pour les nombreuses victimes de suivre la lecture du jugement.
Tromperie aggravée
Les laboratoires Servier ont été reconnus coupables de tromperie aggravée et condamnés à 2,7 millions d'euros d'amende. Pour la justice, ce médicament antidiabétique est considéré comme étant responsable de la mort de centaines de personnes. Pour l'accusation, les laboratoires Servier avaient sciemment dissimulé les propriétés anorexigènes (coupe-faim) et les dangeureux effets secondaires de ce médicament pris par 5 millions de personnes jusqu'à son retrait du marché en 2009.
Les laboratoires Servier devont également verser 158 millions d'euros d'indemnisations aux 6500 parties civiles. Jean-Philippe Seta, l’ex-bras droit de Jacques Servier, le patron-fondateur du laboratoire, décédé en 2014, écope de quatre ans de prison avec sursis.
Soulagement pour les uns....
Gérard Messiez-Petit est venu à l’audience avec de deux de ses fils et de deux de ses petit-enfants. Les garçons entourent leur père et grand-père, veuf depuis le 1er septembre 2011.
Ce jugement, ça fait du bien, ça vas nous aider à tourner la page.
Il se rappelle de la souffrance pendant plusieurs années de son épouse Danielle, décédée à 63 ans « qui avait de plus en plus de mal à respirer. La veille de sa mort, nous étions allés à l’hôpital Arnaud de Villeneuve. Le médecin nous avait dit de revenir le lendemain. Elle est morte dans l’après-midi. Elle est venue mourir près de moi alors que je m’étais assoupi. J’en fais encore des cauchemars. Si elle avait été encore là, l’an dernier nous aurions fêté nos cinquante ans de mariage ».
... La colère des autres
A la fin de l’audience, les victimes entourent leur avocate dans la salle dédiée de la cour d’appel. Là, la colère gronde.. "Du sursis pour le numéro 2 de Servier c’est pas cher payé » s’insurge Yannick Peyrat, 63 ans venu d’Albias, un village du Lot-et-Garonne. Cet ancien pâtissier a pris du Mediator pendant des années car il était diabétique. Suite à sa première opération, il a perdu son travail et ses contrats. « Je me suis retrouvé avec 700 euros par mois et deux enfants à charge.
A cause du Mediator, j’ai dû vendre ma maison pour subvenir aux besoins de mes enfants. J’ai tout perdu
Même colère pour Chantal Maccio. « J’ai les deux valves fichues , s’écrie l’ancienne infirmière en chirurgie cardiaque qui a pris du Mediator pour soigner son diabèt, Je suis outrée par ce jugement.
Ils ont empoisonné des milliers de gens pour de l’argent.
Colère mêlée d’incompréhension de la part de Joëlle et Patrick Labat. L’un a pris du Mediator pour maigrir, l’autre car elle est diabétique.
Aujourd’hui on vit au jour le jour, avec une épée de Damoclès au dessus-de notre tête et eux s’en sortent avec du sursis.
Le couple est depuis des années atteint de graves troubles cardiaques.
« Au regard de ce qui a été jugé, ils ont été condamnés à la peine d’amende maximum, tempère leur avocate. C’est vrai que cela ne fait pas beaucoup. Deux millions 700 000 euros c’est deux heures de chiffres d’affaires pour les sociétés Servier qui font quasiment cinq milliards de chiffres d’affaires par an. Pour les victimes qui sont lourdement condamnées au niveau de leur santé et de leur psychisme, ça paraît dérisoire. Elles se disent moi j’ai pris du ferme, eux du sursis. Ce qu’il faut retenir c’est qu’ils ont été reconnus coupables de tromperie et condamnés », précise Maître Catherine Swarc.
Scandale révélé en 2010
Consommé pendant plus de 30 ans par cinq millions de personnes en France, le Mediator, un antidiabétique largement détourné comme coupe-faim, a été retiré du marché en novembre 2009. Il pourrait être responsable sur le long terme de 500 à 2 100 décès, selon différentes études.
C'est en 2010 que le scandale a été révélé par la pneumologue Irène Frachon. Selon elle, les répliques du séisme Mediator se ressentent encore aujourd'hui : "l'affaire a été un des marqueurs de la rupture de confiance, elle a créé un climat de défiance. Cela a engendré une très grande confusion : les gens ne savent plus à qui se fier, on le voit pendant la pandémie", exprime la lanceuse d'alerte.
10 millions d'euros d'amende requis
Pendant les huit mois d'audience, le tribunal a tenté de comprendre comment ce médicament avait pu rester commercialisé trente-trois ans malgré les alertes sur sa dangerosité dès les années 90.
Sur le banc des prévenus, les laboratoires Servier, deuxième groupe pharmaceutique français, étaient poursuivis pour "tromperie aggravée", "escroquerie" et "homicides et blessures involontaires". Mais aussi l'Agence de sécurité du médicament (ANSM) pour "homicides et blessures involontaires" par négligence. L'agence du médicament est aussi reconnue coupale d'avoir failli dans son rôle de police sanitaire et de gendarme du médicament. L'ANSM est condamnée à 303 000 euros d'amende dont 225 000 euros pour "homicides et blessures involontaires par négligence, et des peines d'amende de 78 000 euros.
10 millions d’euros d’amende ont été requis contre six sociétés du groupe Servier. Cinq ans de prison dont trois ferme et 200 000 euros d’amende avaient également été requis contre Jean-Philippe Seta, l’ex-bras droit de Jacques Servier, le patron-fondateur du laboratoire, décédé en 2014.
Jean-Philippe Seta reconnu coupable des faits reprochés est condamné à 4 ans d'emprisonnement avec sursis et 90 600 euros d'amende. Le délibéré est en cours jusqu'à environ 13 h.
Les parties civiles, nombreuses sans la salle ont écouté dans un silence de cathédrale le jugement rendu pendant plus de deux heures trente.
Résumé des différentes décisions de justice
31 juil 2015 : la cour administrative d'appel de Paris confirme la responsabilité de l'Etat envers une victime, après le tribunal administratif en 2014, car le retrait aurait dû intervenir "au plus tard" en 1999.
22 oct 2015 : saisi par deux malades, le tribunal de grande instance de Nanterre reconnaît pour la première fois la responsabilité civile des laboratoires Servier qui ne pouvaient "ignorer les risques". Le jugement est confirmé le 14 avril 2016.
25 avr 2016 : fin de l'enquête des juges d'instruction.
27 oct 2016 : la cour d'appel de Versailles déboute une cinquantaine de personnes qui, sans être malades, invoquaient leur préjudice d'anxiété. Douze avaient obtenu des indemnités en première instance début 2016.
9 nov 2016 : la faute de l'Etat commence à la mi-1999, juge le Conseil d'Etat, mais il n'a pas à indemniser les victimes, car les fautes de Servier l'exonèrent.
24 mai 2017 : le parquet de Paris demande le renvoi devant le tribunal correctionnel des laboratoires Servier et de l'Agence du médicament dans le volet principal du scandale du Mediator.
Par ailleurs, l’accusation a également demandé une amende de 200 000 euros à l’encontre de l’Agence nationale de sécurité.