A Montpellier, les personnes atteintes de schizophrénie bénéficient d’un nouveau mode de prise en charge, au cœur du Centre de Rétablissement et de Réhabilitation Jean Minvieille. L’un des usagers a décidé de témoigner. Il veut briser les préjugés et les tabous liés à la maladie.
Louis Dehaye a trente ans. Il a accepté de témoigner, à visage découvert, pour parler de sa maladie. En 2014, alors qu’il suivait des études d’ingénieur, il est pris de bouffées délirantes, c’est-à-dire de crises de délire dont l’apparition est brutale.
Je sortais j’avais des idées un peu folles. Je pensais que les gens étaient partis sur une autre planète, et qu’ils m’avaient abandonné ici, et puis je n’avais plus aucune motivation.
Un diagnostic difficile à accepter
Louis met ça sur le compte du stress. "Mon stage de conducteur de travaux me stressait beaucoup". A cette époque, l’étudiant sort beaucoup. "Je consommais beaucoup de cannabis et je buvais beaucoup", confie le jeune homme. Après le doute, les médecins mettent des mots sur son mal-être : il est diagnostiqué comme étant atteint de schizophrénie.
Au début, je me suis dit que les médecins avaient fait une erreur, que je n’étais pas atteint de schizophrénie. Je pensais que ceux qui étaient atteints de cette maladie étaient des fous, complètement délirants tout le temps qui étaient incapables de vivre une vie normale et passaient leur vie à l’asile quoi, alors qu’en fait ce n’est pas ça.
Une "vie normale" ?
Depuis l’abandon de ses études en 2014, Louis n’a jamais repris l’école. Il n’a pas non plus travaillé. "J’ai vécu quelques années grâce au poker en ligne, mais aujourd’hui je veux trouver un travail et m’épanouir".
Le trentenaire vit seul, dans un appartement situé au cœur de Montpellier. Il joue "deux à trois heures par jour" aux jeux vidéo, regarde des séries, fait du sport et sort souvent avec ses amis.
Le reportage d'Olivia Boisson, Juliette Morch et Stéphane Janneau.
Nous rencontrons deux de ses amis, David et Amaury. Ce dernier connaît Louis depuis l’école primaire. "On a fait les 400 coups ensemble !" s’amuse le jeune homme. Quand on demande à Louis s’il parle de sa maladie avec ses amis, il répond par la négative.
Nous n'en parlons pas parce que nous n'en n’avons pas besoin et puis peut-être parce que ma maladie ne se voit pas.
Trois à quatre fois par semaine, il se rend au Centre de Rétablissement et de Réhabilitation Jean Minvieille, situé au cœur du CHU de Montpellier. Dans ce centre, il est ce qu’on appelle un "usager", et non un "patient". Les personnes atteintes de schizophrénie sont libres de se rendre dans ce centre.
#Conferencedepresse Le Dr @NicolasRainteau nous présente les #actions du Centre de rétablissement et de réhabilitation Jean Minvielle. pic.twitter.com/e9RihuVEIQ
— CHU de Montpellier (@CHU_Montpellier) 7 mai 2019
Des objectifs bien précis
Le lundi, Louis participe à un cours d’habiletés sociales. 9 personnes sont encadrées par un psychologue et deux infirmières. A coup de jeux de rôles, le corps médical aide les personnes atteintes de schizophrénie à savoir réagir lors de situations du quotidien.
Un psychologue donne les instructions du jeu de rôles : Louis est installé dans les transports en commun, sur un siège situé côté fenêtre. L’infirmière joue le rôle d’une inconnue, qui s’approche et demande à Louis de lui céder sa place. Louis a un objectif : savoir dire non, s’affirmer.
Une place difficile à trouver dans la société
Des centres comme celui de Rétablissement et de Réhabilitation Jean Minvieille, il en existe 60 en France.
A Montpellier, le corps médical accueille entre 80 et 90 personnes au quotidien. L’objectif de Nicolas Rainteau, psychiatre et chef de clinique du centre, est de pouvoir suivre environ 120 personnes. Ici, les usagers ont entre 18 et 40 ans. "Nous traitons les troubles schizophréniques débutants".
Ici, le principe est clair : les personnes atteintes de schizophrénie peuvent être suivies, si elles le souhaitent, par des référents, afin de réaliser leurs objectifs, quel qu’ils soient (recherche d’un appartement, passage du permis…).
Dans le cas de Louis, l’objectif principal est de retrouver un travail.
J’aimerais soit reprendre mes études d’ingénieur et trouver du travail. Soit passer le concours de la police.
Malheureusement pour Louis, la dernière hypothèse ne sera pas réalisable, à cause de la maladie. En règle générale, l’entrée dans la maladie est synonyme de rupture avec les projets de vie. Pour Louis, l’acceptation de la situation a été longue.
En allant aux groupes de paroles, en apprenant ce qu’est la maladie, je me suis retrouvé un peu dedans. Ça fait 6 mois que je comprends un peu mieux comment ça se passe, et du coup je me sens moins coupable de ne pas réussir à faire des choses comme tout le monde.
C’est quoi, la schizophrénie ?
Pour Nicolas Rainteau, psychiatre, "il y a autant de schizophrénies que de patients". Mais il en dégage tout de même une définition : c’est une maladie psychiatrique caractérisée par un ensemble de symptômes très variables. Les plus impressionnants sont les délires et les hallucinations, mais les plus invalidants sont le retrait social et les difficultés cognitives.
Nicolas Rainteau nous explique ce qu’est la schizophrénie :
Faire face aux idées préconçues
Les personnes atteintes de schizophrénie doivent faire face à la maladie, au traitement. Elles doivent également faire face au regard de la société. 4 français sur 5 relient la schizophrénie au dédoublement de personnalité.
Les stéréotypes les plus souvent associés à la maladie sont la violence, le dédoublement de personnalité, qui est complètement fantasmée, l’incapacité, et la dangerosité. On retrouve ça dans les médias, dans les films. Mais c’est surtout beaucoup de souffrance pour les personnes atteintes de cette maladie et pour leurs proches.
Selon Nicolas Rainteau, tous ces préjugés provoquent un taux élevé de suicides et de dépressions chez les personnes atteintes de schizophrénie.
Quand on prend conscience de la maladie et qu’on est plutôt bien au courant des stéréotypes associés, quand on sait que la population va nous prendre pour quelqu’un de complètement fou, avec une double personnalité, ça ne donne pas beaucoup espoir. Ce qui est sûr c’est ce que ce sont des personnes plus vulnérables et plus victimes de violences.
L’objectif des infirmiers, psychologues et psychiatres du centre de Rétablissement et de Réhabilitation Jean Minvieille : accompagner les personnes atteintes de schizophrénie dans "la vraie vie", au-delà des murs. Et prendre ainsi, une véritable place au sein de la société. Sans tabous, ni préjugés.