Selon une étude dirigée par quatre chercheurs d'un laboratoire de Montpellier, la quantité de C02 produite par la pêche industrielle est supérieure de 25% aux normes annoncées. En effet, le « carbone bleu » libéré dans l’atmosphère lors de la pèche aux gros poissons n'est pas pris en compte.
Thons, requins, espadons : ces grands poissons sont des pièces de choix, les stars sur les étals des marchés. Ce que l’on connaît moins, c’est leur capacité à stocker du CO2. Selon sa taille, un poisson peut être constitué de 10 à 15 % de carbone.
Dans la nature, le poisson fait figure d'exception, car une fois mort, il va couler jusqu’au fond de l’océan, et le carbone de son corps sera enfoui sous une épaisse couche du sédiment pour des milliers voir des millions d’années.
Le "carbone bleu" : une solution naturelle
Les fonds océaniques font partie des nombreux puits de carbone présent sur notre planète. Ces véritables pièges naturels, vont capturer le CO2 pour l’empêcher de s’échapper dans l’atmosphère. Les forêts sont les plus connues, mais les écosystèmes océaniques jouent le même rôle, avec les mangroves, les marais salants ou les herbiers marins. Cette capacité des océans à capturer le dioxyde de carbone est ce que l’on appelle le « carbone bleu ».
??Un consortium international piloté par des chercheurs de @umrMARBEC estime qu’à cause de ce phénomène, les émissions de CO2 liées à la pêche sont en réalité 25 % plus élevées que ce qui est considéré jusqu’à présent via la consommation en carburant.
— CNRS Occitanie Est (@CNRS_OccitaniE) October 30, 2020
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Le centre pour la biodiversité marine, l’exploitation et la conservation de Montpellier (MARBEC) a mené une étude en collaboration avec 3 universités étrangères, 2 organisations internationales pour la nature (WWF et National Geographic) et une entreprise (SPYGEN).
Selon cette étude, publiée dans la revue Science Advances le 28 octobre 2020, ce phénomène naturel, véritable pompe à carbone, serait grandement perturbé par la pêche industrielle. « Lorsqu’un poisson est pêché, le carbone qu’il contient est en partie émis dans l’atmosphère sous forme de CO2 quelques jours ou semaines suivant sa capture et sa consommation », explique Gaël Mariani. Le gaz de son corps sera libéré dans l'atmosphère lors de sa dégradation naturelle, ou lors de sa transformation pour l'agroalimentaire, comme la mise en conserve. Mais dans la grande majorité des cas, les poissons seront consommés par l'homme, qui rejettera à son tour ce C02.
Un bilan carbone supérieur de 25 %
Selon David Mouillot, « c’est la première fois que l’on estime la quantité de ce 'blue carbon' relâchée dans l’atmosphère par la pêche ». Une estimation loin d’être négligeable puisque les chercheurs considèrent que ce déficit de séquestration du carbone dans l’océan profond représenterait plus de 25 % du précédent bilan carbone de l’activité de pêche.
«De nouvelles mesures de protection et de gestion doivent être mises en place, afin qu’une partie de grands poissons reste un puits de carbone et ne devienne plus une source supplémentaire de CO2 »
Selon cette étude, la pêche industrielle infligerait une double peine au bilan carbone. « Trois quarts de ces émissions réelles sont liés à la consommation de carburant, et un quart provient du fait que le carbone contenu dans les poissons pêchés est libéré sous forme de CO2 dans l’atmosphère au lieu de rester enfoui dans les fonds marins », précise le chercheur.
Une pêche plus raisonnée
Ces nouvelles données alarmantes remettent en cause le fonctionnement de la pêche industrielle. Pour limiter les dégâts les chercheurs appellent à une pêche plus raisonnée.
« La désactivation par la pêche de la pompe à carbone que représentent ces grands poissons suggère que de nouvelles mesures de protection et de gestion doivent être mises en place, afin qu’une partie de grands poissons reste un puits de carbone et ne devienne plus une source supplémentaire de CO2 », affirme Gaël Mariani.
Pour David Mouillot, il faut surtout « pécher mieux » et renoncer aux zones de pêche très éloignées des côtes car c’est là que 43,5 % de ce « carbone bleu » serait extrait. L’opération, qui demande une énorme quantité de fioul, s’avère très coûteuse et donc peu rentable en plus d’être polluante.
Selon le chercheur, « limiter l’extraction de ce carbone bleu, non-rentable économiquement contribuerait donc à réduire les émissions de CO2 en limitant la consommation de fioul et en réactivant une pompe à carbone naturelle et peu coûteuse ».