Les avocats de Montpellier alertent le ministre de la Justice sur le manque important et récurrent de magistrats. Les bâtonniers ont écrit à Eric Dupont-Moretti pour dénoncer l'état alarmant du tribunal judiciaire. Selon eux, il connait une dégradation sans précédent. Ils répondent aux questions de France 3 Occitanie.
Manque de personnels, de moyens, postes vacants, magistrats en arrêt non remplacés, retard dans la tenue des audiences, dans l'annonce des délibérés, dossiers qui s'entassent et délais qui explosent, le tribunal judiciaire de Montpellier est à bout de souffle.
Les symptômes et les problèmes ne sont pas nouveaux, ils sont dénoncés régulièrement par les avocats, notamment à l'occasion de grève, et même par des magistrats et par le personnel judiciaire depuis 10 ans.
Le barreau de Montpellier et ses 1.300 avocats, dans une lettre ouverte au Garde des Sceaux, tirent la sonnette d'alarme face à une situation jugée "inacceptable".
Un appel au secours
Selon l'ordre des avocats du barreau de Montpellier, il est de plus en plus difficile pour eux de travailler correctement et efficacement. Ils mettent aussi en avant les conséquences négatives pour les justiciables.
Le bâtonnier Maxime Rosier et le vice-bâtonnier Iris Christol répondent à nos questions.
France 3 Occitanie : Pourquoi alerter le ministre de la Justice aujourd'hui alors que le situation du tribunal judiciaire de Montpellier est critique depuis des années ?
Maxime Rosier : J'ai pris mes fonctions de bâtonnier le 1er janvier dernier. J'ai alors ressorti les discours d'investiture de mes prédécessseurs sur plusieurs dizaines d'années. Et tous, sans exception, parlaient de manque de magistrats et de manque de moyens. Certes, le ministre actuel a fait progressé le budget de la justice mais on part de tellement bas que le rattrapage mettra au mieux des années et c'est surtout la pénitentiaire qui va en profiter.
Pour l'instant, l'augmentation du budget et les créations de postes ne se voient pas ?
On paie 40 à 50 ans de budget de misère. La justice et les tribunaux n'ont jamais été une priorité en France. Nous avons aujourd'hui le même nombre de juges qu'en 1850, mais la population est passée de 35 à 68 millions. On s'offusque de l'"ensauvagement" de la société, mot que je n'aime pas, des violences conjugales... mais quand il faut deux à trois ans pour rendre un jugement, où est la justice ?
Le budget n'est pas tout ?
Non, on annonce des créations de postes de greffiers et de magistrats avec des affectations décidées à Paris. Parfait ! Mais on ne tient pas compte des réalités du terrain et de la particularité des métropoles du sud, notamment de la juridiction de Montpellier. Et puis, les créations de postes c'est bien, mais si ces postes créés ne sont pas pourvus et restent vacants, cela ne change rien au quotidien.
Que demandez-vous ?
Pour nous avocats, rien. On demande à l'Etat d'honorer le service public régalien de la justice. Que des salariés licenciés n'attendent pas deux à trois ans un avis du Conseil de prud'hommes après des prorogations de délibéré. Que les couples qui divorcent puissent le faire dans un délai raisonnable et pas après plus de deux ans de procédure.
Ce sont les délais de jugement qui sont en cause ?
Dans le rapport des Etats généraux de la justice, en 2022, on lit "la justice n'a plus les moyens de remplir son rôle", voilà tout est dit. Et à Montpellier, c'est pire qu'ailleurs car avec le boom démographique depuis 1980, nous sommes en sous dotation permanente. Dans les tribunaux judiciaires, le délai moyen de jugement est de 14 mois en France. A Montpellier, c'est au mieux 24 mois. En appel, c'est 15 mois en France, jusqu'à cinq ans chez nous. Quand la justice est incomprise ou trop lente, elle n'est plus acceptée ni efficace.
Vous craignez les mois à venir ?
Iris Christol : C'est bientôt le "mercato judiciaire de l'été" et rien ne changera ensuite jusqu'en 2024. On va affecter des moyens en Île-de-France à cause des J.O. Mais à Montpellier, on sait déjà que la situation sera pire. Car il n'y a déjà pas assez de greffiers et de magistrats mais tout ceux qui sont partants en retraite ou en mutation, ne seront pas remplacés. Tout le système va finir par être paralysé et sans jugement prononcé et appliqué, il n'y a plus de justice.
Peut-on lutter contre "l'inaction de l'Etat" ?
Oui, au Conseil de prud'hommes, il y a déjà des actions en responsabilité de l'Etat qui ont été déposées pour des délais jugés trop longs. Cela va se faire aussi pour des dossiers du juge aux affaires familiales et même au pénal. Mais paradoxalement, c'est rajouter du travail à la justice pour juger qu'elle ne juge pas assez vite. C'est engorger encore plus un système déjà sous très haute tension et à bout.