Depuis 6 ans, Stéphane Sarrade se bat pour la mémoire de son fils Hugo, étudiant de l'Université de Montpellier mort à 23 ans dans l'attaque du Bataclan. Alors que le procès des attentats du 13 novembre 2015 s'ouvre le 8 septembre, il nous a confié son état d'esprit et ses attentes.
13 Novembre 2015, vers 20 heures : un message s'affiche sur le téléphone de Stéphane Sarrade : "Je t'embrasse, à tout à l'heure". Hugo, son fils de 23 ans, étudiant à la faculté des Sciences de Montpellier, est à Paris. Il doit rejoindre son père pour le weekend, à l'issue du concert des Eagles of Death Metal auquel il assiste au Bataclan. Il n'en ressortira pas vivant. Hugo est l'une des 130 victimes des attentats parisiens.
Des attaques qui ont aussi fait 493 blessés. Le procès de cette soirée sanglante s'ouvre ce mercredi 8 septembre au palais de justice de Paris. Stéphane Sarrade est appelé à y témoigner. Auparavant, il nous a confiés son état d'esprit et ses attentes.
Six ans après le décès d’Hugo, quel est votre état d’esprit ?
Il y a eu forcément une évolution dans mon deuil : perdre un enfant a eu beaucoup d’impact sur nos vies. Une fois passés la sidération, le déni, la recherche de sens, au bout de 6 ans ce qui fait le plus mal c’est qu’on a tous appris à vivre sans lui. Hugo n’est plus là et la vie doit continuer, alors qu’il y a 6 ans on se disait que c’était impossible. Et puis il y a eu Samuel Paty : ça m’a dévasté, Nice aussi. Chaque fois, on replonge.
Vous êtes l’une des 1800 parties civiles de ce procès qui s’ouvre mercredi 8 septembre. Est-ce que vous sentez un esprit collectif ou est-ce que chacun l’envisage différemment ?
Depuis 6 ans, c’est un double deuil, personnel et collectif entre nous. Même si nous avons une vision collective, je me sens seul parce qu’on a besoin d’y faire face seul. Quand on a été conviés à visiter les salles d’audience et le dispositif du procès, qu’on nous a expliqué la procédure, on s’est rendu compte qu’on était tous un peu seuls avec notre peine. D’autres l’étaient avec leur angoisse, ils se disaient qu’on allait devoir parler et que leurs noms allaient être révélés dans les médias, sur internet.
Je tiens debout parce que je suis dans le combat justement pour les empêcher de gagner
Du coup, on aura le choix de les donner ou pas lorsqu’on sera appelés à témoigner, car les débats seront retransmis dans une salle réservée aux journalistes. Il y a encore de la peur 6 ans après, ça m’a beaucoup frappé, ça m’a fait mal. Ces gens sont terrorisés, les terroristes ont gagné quelque part. Moi je tiens debout parce que je suis dans le combat justement pour les empêcher de gagner. Ceux qui ont la capacité de témoigner doivent le faire.
Vous avez suivi de près le premier procès, en Belgique, du principal accusé Salah Abdeslam : qu’est-ce que ça vous a apporté ?
Rien ! Il est arrivé ce dont je me doutais : il n’a pas incarné de responsabilité, il est resté mutique. On peut imaginer qu’il va rester sur cette attitude-là. Or, nous, on cherche une incarnation de cette responsabilité. Lui, il est impliqué à un haut niveau. Les autres accusés du procès qui va s’ouvrir semblent être en second rideau, je ne sais pas ce qu’on peut en attendre.
Nous, on cherche une incarnation de cette responsabilité
Au procès du frère et des complices du terroriste toulousain Mohamed Merah, on a vu des accusés mutiques, d’autres reconnaître des demi-responsabilités, ou aucune, d’autres encore qui ont eu une prise de conscience. Donc, on a une palette possible de réactions.
Qu’attendez-vous, dans ce contexte, du procès à venir ?
L’important dans ce procès, c’est sa symbolique. Dans ce contexte, je serai attentif à la façon dont des médias feront vivre la parole des victimes, parce qu’il y a un enjeu de non récupération politique. Je considère que les risques de récupération, en cette année d’élection présidentielle, ne sont pas nuls. La tentation va être importante. On l’a vu avec le détournement de photos de victimes des attentats du 13 novembre par les soutiens d’Eric Zemmour. Je suis content que l’association 13onze15, dont suis membre, ait porté plainte. La seule conséquence, c’est de nous diviser et c’est ce que cherchent les terroristes.
Les risques de récupération, en cette année d’élection présidentielle, ne sont pas nuls
Donc tout ce qui va exacerber l’islamophobie, il faut que les médias y soient attentifs. C’est la dernière fois qu’on va en parler. Après, le 13 novembre, ça basculera dans l’Histoire, on l’enseignera, d’où l’importance de vous dire que ce que nous voulons et ne voulons pas.
Au-delà de ça, à titre personnel, en tant que chercheur et enseignant, j’apprends à donner du sens à mes étudiants et là, ça n’en avait pas : comment des Français nés la même année qu’Hugo se sont retrouvés avec des armes de guerre, à tuer des gens de leur âge ? Cette quête de sens m’a amené à faire des rencontres extraordinaires, notamment avec le père de Raphaël, ce jeune de Lunel mort au djihad. J’ai compris que ce n’était pas aussi simple que ça. Ces jeunes qui sont partis ne viennent pas tous de banlieues défavorisées. On est face à des phénomènes plus complexes que ce qu’on imagine. On va continuer à faire des interventions en lycées avec des parents de jeunes partis au djihad, pour lutter contre l’obscurantisme.
Comment vous êtes-vous préparé à la pression psychologique et médiatique de l’ouverture de ce procès ?
On nous a très fortement déconseillé de venir les 2 premiers jours. Mon avocate, maître Lévy-Lopez du barreau de Montpellier, sera là mais moi je ne serai pas présent. Tout au long des 8 mois du procès, on pourra le suivre via une web radio, car on ne pourra pas être là tout le temps. Il est prévu que je témoigne le 21 octobre et je viendrais une fois ou 2 avant pour m’imprégner de l’ambiance de manière très progressive. Je commence à réaliser, les articles commencent à s’accumuler, ça va être compliqué et long.
Je commence à réaliser, les articles commencent à s’accumuler, ça va être compliqué et long
Vous avez créé la bourse Hugo Sarrade en mémoire de votre fils. Elle est délivrée chaque année à deux étudiants de ParisTech et de la faculté des Sciences de Montpellier qui souhaitent étudier 3 mois au Japon, pays qu’Hugo venait de visiter avant sa mort. La pandémie de Covid remet-elle en cause le projet ?
Elle a été attribuée pour la dernière fois en mars 2020 à un étudiant parisien qui n’a pas pu en profiter à cause du confinement. A Montpellier, l’appel à projet n’a pas pu être organisé. 2020 et 2021 sont donc des années blanches. Mais si tout va bien, on va lancer la procédure pour 2022. Car on ne revient pas comme on est partis : on a vu d’autres cultures, le monde est vaste et ce qui fait mon bonheur c’est d’accompagner ces jeunes vers la compréhension et l’ouverture à l’autre.
Un enfant, c’est quelqu’un qui est là pour vous survivre
Pour moi, l’Université de Montpellier était toujours partante, le grand-père d’Hugo était professeur de biologie, sa mère et moi avons été élèves. Après, cette bourse vit sur le don, je ne pourrai pas tout financer dans les années qui viennent, j’aimerais trouver un financement pérenne. Car un enfant, c’est quelqu’un qui est là pour vous survivre et je voudrais qu’Hugo survive à travers cette bourse. C’est mon utopie personnelle.
Attentats du 18 Novembre : un procès hors normes et pour l'Histoire
Le procès qui s'ouvre le 8 septembre au palais de justice de l'Ile de la Cité à Paris est hors normes à bien des égards :
- Les débats vont durer 8 mois, jusqu'en mars 2022.
- On recense près de 1800 parties civiles représentées par près de 300 avocats.
- Sur 20 accusés, seuls 14 seront présents dans le box, dont Salah Abdeslam, l'unique survivant des commandos. 5 autres accusés, dont les frères toulousains Clain, sont présumés morts. Un autre est toujours détenu en Turquie.
- Le dossier fait 542 tomes, soit l'équivalent de 53 mètres linéaires.
- Une salle d'audience éphémère de 550 places et 750 mètres carrés a été construite au sein du palais de justice avec des revêtements de bois clair et de lumière douce pour tenter d'apaiser le climat en donnant aux victimes une image rassurante et sereine.
- Une régie a été installée pour enregistrer les débats pour l'Histoire, à l'instar d'autres procès emblématiques comme celui du nazi Klaus Barbie à Lyon en 1987.
- La diffusion des images du soir du 13 novembre lors des audiences sera encadrée par des psychologues pour soutenir les parties civiles.
Objectif de ce dispositif : que le droit reprenne le dessus sur l'horreur. Au-delà de l'émotion et de la médiatisation, ce lieu doit rester un lieu de justice.