Sandrine, Jean-Luc et Gabriel ont réalisé leur rêve : naviguer jusqu’à Ushuaïa (Argentine) ! Alors que la pandémie de Covid 19 empêche la plupart des déplacements et des voyages, eux se préparent à traverser l’Atlantique pour retrouver Sète (Hérault), leur port d’attache.
Ils ont tout quitté, ou presque, il y a bientôt deux ans pour naviguer à bord du "Luna Blu" tout en contribuant modestement à la préservation de la planète : Sandrine, Jean-Luc et leur fils Gabriel font actuellement escale au Brésil. Coronavirus ou pas, les plaisanciers y sont encore autorisés à naviguer.
Contrairement à d’autres voiliers coincés en Argentine ou au Chili, le "Luna Blu" a pu remonter la côte jusqu’à Jacaré, à la pointe Nord Est du pays. Longtemps dans le déni avec un président (Jair Bolsonaro – extrême droite) préférant parler d’ "hystérie" autour d’une "petite grippe", le Brésil vit désormais dans la réalité de l’épidémie, avec ses milliers de morts et ses hôpitaux saturés.
Très au fait de l’actualité, Sandrine et Jean-Luc avaient pris les devants en se confinant un maximum à bord de leur monocoque de 14,50 mètres. Gabriel leur fils de sept ans, n’a pas mis les pieds à terre depuis deux mois.
Désormais aux portes de l’océan Atlantique, le capitaine reconnaît que c’est un "gros morceau qui les attend", en l’occurrence 3000 milles marins soit... 5.556 kilomètres !
Exposés au virus
"Refaire un peu de frais" avant le grand départ, une évidence. Pourtant, même avec un masque, du gel hydro alcoolique et la distanciation sociale, Sandrine appréhende son passage au supermarché de Jacaré.
Comme elle l’écrivait dans l’un de ses derniers billets :
L’aventure n’est pas toujours celle que l’on choisit. Et nous avons oublié depuis longtemps que la planète pouvait être plus créative que nous pour foutre le bordel dans notre petit univers. Pris en flagrant délit de toute puissance, certains sont même assez doués pour compliquer davantage l’histoire. Reste alors à trouver des solutions pour contenir le pire. Here we are.
C’est la première fois que Sandrine se sent véritablement "exposée" au virus. Or, avant une telle traversée, il faut bien avitailler le bateau : eau, gaz, gasoil... Le "Luna Blu" devrait être fin prêt d’ici 72 heures.
Pour limiter les risques sanitaires, pas d’équipier à bord, Sandrine et Jean-Luc devront organiser les quarts en conséquence et ce ne sera pas de tout repos. Une navigation de trois ou quatre semaines les attend. Direction Horta aux aux Açores puis passage du Détroit de Gibraltar et enfin Sète, leur port d’attache.
Dans son journal de bord, le 6 avril à Paraty (Brésil), Sandrine motivait leur décision avec humour :
Si on décidait de poursuivre notre navigation sans envisager notre retour en France, on finirait c'est selon :
- En overdose d'OGM brésiliens achetés à l'unique supérette de Paraty accessible sans prendre trop de risques sanitaires.
- Morts de faim en supposant des difficultés d'approvisionnement ici ou ailleurs.
- Ou, dans le meilleur des cas, grands pêcheurs devant l'éternel.
Trois hypothèses que, pour différentes raisons, nous n'avons pas voulu vérifier. A défaut, on rentre à la vitesse du vélo à l'écurie se confiner dans notre pays, comme l'Etat français nous le recommande. Dans deux mois, la France aura réceptionné ses masques.
Deux ans de confinement choisi
Rentrer oui, mais sans être le même… "Transformé en sauvage !" plaisante Jean-Luc qui, avec ce "confinement volontaire", reconnaît avoir pris du recul et réfléchi à ses choix.
Les mers rugissantes de l’Atlantique Sud, les rencontres avec des familles au grand cœur ou des marins "MacGyver", véritables légendes vivantes… le couple a dû dépasser ses peurs et ses limites.
Le capitaine avait sous-estimé l’engagement nécessité par ces navigations périlleuses dans les quarantièmes. Au délà de la météo, il a fallu surmonter les pannes et la casse, loin de toute civilisation. Pourtant, face à l’immensité des glaciers de Patagonie ou au rocher mythique du Cap Horn, les difficultés s’évanouissent :
La route des glaciers du Beagle, c'est un peu comme la route des vins. On y croise sur quelques milles une concentration de glaciers presque aussi grande que les vignobles sur les petites routes de Provence (…)
Et le grondement du glacier qui pousse dans l'eau sa production marbrée de bleu peut être autrement plus grisant que de déboucher une bonne bouteille. Un bruit sourd et profond, proche de celui que produit le tonnerre après l'éclair. Qui surprend le silence de la montagne et nous saisit. Et dont on voudrait ensuite garder plus que le souvenir.
Sur son blog, Sandrine écrit son journal de bord. 55 billets où elle partage son aventure mais aussi ses états d’âme. Dans l’un de ses derniers écrits, elle évoque le confinement des Français :
En quittant Sète il y a bientôt 19 mois, nous ignorions à quel point celles et ceux que nous laissions sur le quai allaient eux aussi brutalement et massivement se confronter à eux-mêmes et affronter l'inconnu sur un "bord de près" interminable. Une rupture aussi avec la vie d'avant, subie, violente et profonde, dont on imagine mal sortir complètement semblable. A minima ébranlés dans quelques-unes de nos certitudes. Confortés dans certains de nos doutes. Et peut-être avec l'envie de faire évoluer un monde qui pour le moins questionne.
Revoir leurs proches
La voix de Sandrine s’étrangle, l’émotion la gagne : "je n’ai qu’un souhait : serrer mes proches dans mes bras."
Même si elle sait bien qu’aujourd’hui que le contact physique n’est pas envisageable, Sandrine veut y croire, la distance amplifie le manque.
Entre mélancolie et espoir, la petite famille devrait accoster à Sète mi-juin.