LIVRE. Agnès Varda par Laure Adler : "elle nous a tant donné"

Agnès Varda, décédée en 2019, est l’autrice d’une douzaine de films de fiction et de nombreux documentaires. Dans une biographie intimiste, Laure Adler revient sur le parcours hors norme de celle qui est considérée comme précurseur de la Nouvelle Vague du cinéma avec notamment “La Pointe courte”, tourné à Sète en 1954.

"Agnès travaillait tout le temps. Agnès que j’ai tant aimée de son vivant et je souhaiterais que ce livre soit un hommage à celle qui nous a tant donné". Laure Adler ne le cache pas. Elle admire Varda. 

"C’est dans sa maison de la rue Daguerre que je l’ai rencontrée il y a quarante ans, lorsque j’étais jeune journaliste, très intimidée par cette femme à qui tout semblait réussir. C’est aussi là que j’ai pu mener mes recherches, grâce à la complicité de Rosalie et Mathieu, ses enfants, qui ont accepté, d’ouvrir toutes les archives".

Je souhaiterais que ce livre soit un hommage à celle qui nous a tant donné

Laure Adler

Pendant des semaines, Laure Adler va consulter des cahiers de notes, des albums de photographies, des cartes postales, des dizaines et des dizaines de cartons …  Elle nous propose cet ouvrage qui fourmille d'anecdotes et qui permet de mieux connaître la cinéaste, mais aussi la photographe et l'artiste, engagée.

"Elle ne connaît rien au cinéma, confie qu’elle n’a vu que quelques films – Blanche-Neige, Les Enfants du paradis et Quai des brumes - et n’a pas de relations dans ce milieu," explique l'autrice.

1954 : tournage de "La pointe courte" à Sète

En 1954, Varda va prendre comme terrain de prédilection un quartier de Sète qu’elle connaît bien, où vivent des pêcheurs, la Pointe Courte. Exilée de Belgique avec ses parents, elle y avait passé une partie de sa jeunesse sous l'Occupation. Balades en pointu avec ses copines et ses copains dans les canaux de Sète, elle avait appris à réparer les filets avec les pêcheurs du quartier.

Silvia Monfort et Philippe Noiret sont les acteurs principaux. "Le film est en noir et blanc, d’une beauté stupéfiante," indique Laure Adler. "Agnès réussit à rassembler péniblement six millions et demi de francs (un film coûtait alors en moyenne soixante-dix millions). Elle loue une maison, où ils habiteront tous, à Frontignan (moins cher qu’à Sète) près de la raffinerie. Mais, outre les odeurs et les moustiques, le lieu est infecté d’arachnides. Elle ne se décourage pas, installe des moustiquaires et fait la chasse aux scorpions. Le tournage sera rude, mais joyeux et efficace". 

Agnès réussit à rassembler péniblement six millions et demi de francs (un film coûtait alors en moyenne soixante-dix millions)

Laure Adler

"Comme Agnès n’a pas d’argent pour s’acheter une caméra synchrone, elle tourne en muet. Il fallait attendre plusieurs jours pour voir les rushs, qui revenaient d’un laboratoire de Gennevilliers. Une fois le tournage terminé, elle les montrera dans leur continuité, devant les familles des pêcheurs, les deux comédiens et l’équipe technique. Les pêcheurs trouveront que les comédiens sont des « bourriques » et n’apportent rien au film". 

Le film ne sera pas sélectionné au Festival de Cannes mais les réactions des journalistes sont enthousiastes. "Agnès est considérée, voire encensée. Elle commence à croire en elle", précise Laure Adler. La Pointe courte sera considérée comme précurseur de la Nouvelle Vague du cinéma (celle des Chabrol, Truffaut, Godard, Rohmer..).

1985 : "Sans toi ni loi" dans l'Hérault et le Gard

Agnès Varda reviendra longtemps plus tard dans la région. En 1985, elle vient tourner "Sans toi ni loi", l'histoire d'une fille seule (Sandrine Bonnaire, découverte dans "A nos amours" de Maurice Pialat) qui marche dans les paysages de l’Hérault et du Gard. 

Laure Adler raconte: "Sans toi ni loi peut être considéré comme un manifeste contre la société de consommation, où l’abondance du périssable et du jetable nous condamne à détourner les yeux de l’essentiel. Pour préparer le film, Agnès Varda va dans des squats, parle avec les gens, marche longuement sur les routes de l’Hérault, entre dans les fermes, discute avec des ouvriers marocains dans des champs, passe des nuits dans des gares - notamment celle de Nîmes - se rend dans des camions de collecte de sang - car les routards ont l’habitude de les fréquenter par le casse-croûte qui les attend…

L’image qui persistera après ces longs préparatifs, c’est celle de ce tumulus dans la campagne près de Montpellier (NDLR: Saint-Aunès), avec ses deux cyprès".

"Sans toi ni loi" sera le seul succès public d'Agnès Varda, avec un million d’entrées en France. Il obtiendra même le Lion d’or à la Mostra de Venise. 

Pour l'ensemble de son œuvre cinématographique, elle reçoit un Oscar d’honneur en 2017 à Hollywood – le premier remis à une femme cinéaste. Steven Spielberg s’était déplacé pour dire à quel point son cinéma l’avait nourri lorsqu’il était étudiant. Aux Etats-Unis, les films de Varda sont étudiés dans les universités. Elle recevra également une palme d'or d'honneur à Cannes en 2015. 

«Je me souviens de la gratitude que m’a inspirée le cinéma de Varda : elle m’ouvrait les yeux, me donnait à découvrir des pans entiers de société que j’ignorais, et me permettait ainsi d’admirer le courage des gens « de peu » qu’elle mettait en pleine lumière," avoue Laure Adler.