Migrants : faute de secours en mer, des enfants se noient dans l’indifférence quasi-générale

  Eté comme hiver, des centaines d’africains tentent d’échapper aux violences des milices Libyennes. Leur objectif : atteindre les côtes italiennes sur des embarcations de fortune, en prenant le risque de se noyer. Plus de 1000 personnes ont perdu la vie cette année.

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Yusuf avait six mois …
Il se trouvait à bord d’une embarcation pneumatique dans les bras de sa mère avec plus de 120 personnes. Lorsque les équipes de l’ONG espagnole Open Arms ont tenté de leur venir en secours, la coque s’est disloquée.

118 personnes ont pu être mises en sécurité à bord de l’Open Arms.  5 corps ont été repêchés.  Quant à Yusuf, il a d’abord été ranimé mais a finalement perdu la vie après le naufrage.

Lors de cette mission (le 11 novembre) l’Open Arms a procédé à trois opérations de sauvetage, permettant le transfert de 255 rescapés en Italie.

Sur les réseaux sociaux, l’ong a décidé de diffuser les images et les cris déchirants de cette mère ayant perdu son enfant. 
 


 

Nous nous sommes sentis obligés de diffuser cette vidéo car c'est la réalité de la Méditerranée centrale.  Si les bateaux des ong n'étaient pas présents dans cette zone, on aurait l'impression qu'en réalité il ne se passe rien la bas

Ricardo Gatti, directeur Open Arms Italie

7 bateaux bloqués à terre 


  Cette mission de l'Open Arms était aussi la dernière intervention des rares moyens civils de secours  en Méditerranée centrale.
L'Ocean Viking d’ SOS Méditerranée, lui, est retenu en Sicile depuis 4 mois, comme le précise Fabienne Lassalle, cofondatrice de l’ONG :

« L’ocean viking comme six autres navires sont actuellement bloqués [l’open arms a depuis rejoint son port d’attache de Barcelone, en Espagne ndlr], il n’y a plus personne pour aller secours celles et ceux qui sont en détresse, alors que les traversées continuent (…)
  On comptabilise jusqu’à plus de 1000 morts depuis le début de l’année, et malgré cela il n’y a pas de moyens en mer pour aller secourir. (…)
Ce n’est pas quelque chose de saisonnier, les traversées ont bien lieu toute l’année, quand les conditions météorologiques le permettent. (…)
Si enfin cela pouvait mettre fin à cette fameuse théorie de « l’appel d’air » selon laquelle c’est parce qu’il y a des navires de sauvetage qui sont présents en Méditerranée que ces personnes prennent la mer et cherchent à rejoindre l’Europe, je crois qu’avec les tristes informations qu’on a pu avoir ces dernières semaines, avec ces centaines de morts, alors qu’il n’y a pas un seul navire de sauvetage, met un terme à cette fausse idée. »



Comme le petit Yusef, le journaliste Alpha Kaba est guinéen.  Menacé de mort après la diffusion d'émissions jugées hostiles au pouvoir central, il a dû fuir son pays et s'est retrouvé malgré lui esclave des milices libyennes. 
 


En octobre 2016, il est parvenu finalement à prendre la mer mais a échappé de peu à la noyade.
 

C’était une longue traversée, c’était très dur, il y a eu 7 morts dans notre zodiac, il y a eu l’eau qui est rentrée dans le zodiac, les gens se sont bousculés dans la panique et n’eut été l’arrivée de l’Aquarius [l’ancien bateau d’SOS Méditerranée] pour nous secourir, on allait tous périr la bas

Alpha Kaba, journaliste guinéen

 

Quatre ans plus tard, la Méditerranée centrale vit les mêmes drames, les mêmes larmes et la même inhumanité, intensifiée par la pandémie de Covid 19.
 

Un défi pour l'Europe


Le règlement de Dublin pèse sur les pays qui reçoivent l'ensemble de ces migrations par la mer.  Depuis vingt ans, ils réclament davantage de solidarité européenne, sans succès. 
 

 Le règlement de Dublin pose de grands problèmes de mise en œuvre (…)  Les pays de première entrée - l’Italie, l’Espagne, Malte, la Grèce - sont sous une pression énorme, et c’est tout le défi de la solidarité.  Les discussions entre les différents pays, entre les parlementaires, permettent de ressentir ce que vivent ces états membres pour qu’ils acceptent d’accueillir les bateaux mais que la prise en charge des personnes soient bien assurée avec les autres pays de l’union européenne, c’est tout le défi du nouveau PAC asile et migration, que cette solidarité soit effective, la France avait pris une initiative, les accords de Malte,  mais seuls quatre pays, la France et l’Allemagne notamment, avaient accepté d’accueillir les migrants descendus des bateaux en Italie et en Espagne, mais il faut aller plus loin et que cette solidarité soit bien à 27.

Fabienne keller, Eurodéputée membre du groupe "Renew Europe"



Si le président du parlement européen paraît sensible au sort des réfugiés (il a dirigé une conférence de haut niveau sur la migration et l'asile le 19 novembre), pour Delphine Perrin, chercheuse au CNRS, même le récent pacte européen "asile et migration" n'a pas permis de progrès notable.
« On n’a pas de progrès du tout sur un plan européen de sauvetage en mer pour éviter tant de morts
On n’a pas d’avancées sur de la répartition sur une base pérenne, qui ne serait pas au coup par coup.
On n’a surtout pas d’avancées sur le développement de migrations plus légales »

Malgré la situation, Alpha Kaba espère retrouver un jour sa famille restée en Guinée... Aujourd'hui il témoigne et interpelle :
 

C’est pour moi un devoir vis-à-vis des personnes qui sont décédées en Libye et en mer Méditerranée Le bébé qui est décédé, qu’il soit de la Guinée ou de Madagascar, c’est un être humain, qui ne mérite pas de mourir dans une telle atrocité en Lybie ou en Méditerranée. C’est difficile pour moi de voir ces images, De voir que le message que j’essaie de faire passer ne tombe pas encore dans les bonnes oreilles 

Alpha Kaba, journaliste guinéen


Seulement un jour après le tragique sauvetage de l'Open Arms, au moins 74 personnes se sont noyées au large de la Libye.
Seule la libération administrative des navires humanitaires permettra de sauver - à nouveau - des vies en mer.

Lien pour répondre à l’appel aux dons d’SOS Méditerranée :

Appel aux dons SOS Méditerranée
 

 
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