L'Église apporte depuis le début de la mobilisation son soutien aux agriculteurs français, exprimant une "profonde solidarité" avec ceux qui travaillent la terre au quotidien. Les marques "d'amitiés" des évêques de Cahors et de Tarbes-Lourdes témoignent également des liens toujours existants entre le catholicisme et le milieu rural agricole.
Un prêtre sur le bord de la route bénissant un cortège d'agriculteurs du Lot-et-Garonne. L'image a fait le tour des réseaux sociaux. Comme pour symboliser la place de l'Eglise catholique auprès des paysans.
À Bergerac, un prêtre bénit le convoi des #AgriculteursEnColere du Lot-et-Garonne pic.twitter.com/9jAT46wOmn
— La Dépêche 47 (@LaDepeche_47) January 29, 2024
Exprimer un "soutien", "une amitié"
C'est par exemple une véritable déclaration d'amour à leur attention que leur a adressé l'évêque de Cahors (Lot). "Agriculteurs, on vous aime ! (...) écrit Mgr Laurent Camiade, ici, on aime nos agriculteurs. Vous le savez, même si vous ne le ressentez pas toujours ! Les manifestations de ces derniers jours ont souvent été l’occasion d’exprimer ce soutien, cette amitié, cette reconnaissance pour votre travail, souvent peu rémunéré ou même menacé."
Mgr Laurent Camiade invite "les chrétiens et toute personne de bonne volonté à manifester notre amitié, notre compréhension, notre solidarité et notre compassion. Nous pouvons, en particulier, par nos actes d’achat, soutenir une agriculture qui respecte davantage les hommes et la nature."
Quelques jours plus tôt, l'évêque de Tarbes et Lourdes s'est lui aussi positionné. "Je veux ici dire tout mon soutien aux agriculteurs du diocèse, et à toutes celles et ceux qui, au sein de la Mission rurale 65, témoignent de notre compassion, de notre solidarité et de notre engagement aux côtés de ceux qui souffrent. (...) j’invite toutes les communautés paroissiales et religieuses à prier tout spécialement à l’intention de ceux qui vivent cette crise, et ceux qui ont à la gérer en apportant de justes solutions le plus rapidement possible. Une même intention de prière universelle est proposée pour cela."
Le rôle des missions rurales
Les Hautes-Pyrénées comme le Lot, sont des terres agricoles. L'Église catholique "laboure" ces territoires à travers les missions rurales. Mgr Jean-Marc Micas rappelle ainsi dans son communiqué que les membres de la MJR 65 sont "très engagés auprès des agriculteurs du département" et "ont pour ambition de les écouter, de les comprendre, de les accompagner, à la lumière de l’espérance que donnent la foi chrétienne et l’enseignement de l’Eglise (sur le sens de la création et de sa gestion, sur le sens du travail et de la dignité humaine, sur la justice sociale inéluctablement liée au respect de l’environnement dans un monde où « tout se tient », selon l’expression du Pape François)."
Car même si les pratiques catholiques se sont progressivement effacées au fil du temps et que l'Église est moins influente que par le passé, elle peut s'appuyer sur des valeurs et des conceptions toujours très présentes dans le monde agricole.
"Il ne faut pas oublier le poids de la matrice chrétienne dans ces mondes agricoles. Même si les agriculteurs sont moins observants aujourd’hui qu’hier. Ils demeurent une population qui va plus souvent à la messe que d'autres personnes. En fin, la conférence des évêques de France se rend très souvent au salon de l’agriculture" souligne François Purseigle est professeur en sociologie à l’Institut national polytechnique de Toulouse sur le plateau de France 3 Occitanie.
L'influence du catholicisme sur le syndicalisme agricole
"En 1952, 42 % des agriculteurs allaient à la messe, contre 27 % pour l'ensemble des Français. L'écart s'est ensuite résorbé, même s'il demeure aujourd'hui : en 1973, c'était 17 % pour les agriculteurs et 13 % pour l'ensemble de la population ; et aujourd'hui, environ 6 % contre 4 %. La sécularisation touche donc aussi le monde rural, mais avec un décalage temporel. Pour les statisticiens, les deux seuls cas dans lesquels la catégorie socioprofessionnelle donne encore une indication quant au niveau de pratique religieuse sont les agriculteurs et les retraités" expliquait auprès du quotidien La Croix Mathieu Gervais Sociologue rattaché au GSRL (Groupe sociétés, religions,
laïcités) du CNRS, en avril 2022.
Le chercheur souligne par ailleurs le rôle central du christianisme dans le syndicalisme agricole. "Jusque dans les années 1950, le paysan était celui qui témoignait de sa soumission à Dieu et « souffrait en silence », au nom du respect de l'ordre naturel. Mais une nouvelle théologie a émergé dans la première moitié du XX e siècle. Portée par Emmanuel Mounier, Pierre Teilhard de Chardin ou encore Jacques Maritain, elle insistait sur la liberté humaine et la nécessité de se révolter contre des conditions sociales indignes."
Ces deux tendances se sont matérialisées au cours des années 1960. "D'un côté, certains prônaient le progrès et donc la modernisation, afin d'améliorer les conditions de vie des paysans et respecter ainsi la volonté divine : cela a donné naissance à la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles). Les autres estimaient qu'à force de parler du progrès, le risque était de consentir à se faire exploiter par le modèle capitaliste : cela a donné naissance à la Confédération paysanne." Ainsi, les Jeunes agriculteurs furent fondés en 1957 sous l’impulsion de la Jeunesse agricole catholique.
Même s'ils comprennent ce positionnement, certains croyants de ces diocèses ne cachent pas un véritable agacement dans un contexte où l'Eglise continue à faire face à de nombreuses affaires d'agressions sexuelles en son sein, sans parfois faire preuve d'autant de soutien et de compassion vis-à-vis des victimes.