Six jeunes femmes ont perdu leur ami Morgan Keane, en décembre 2020, tué dans le Lot par un chasseur près de son domicile. Depuis sa disparition, elles se mobilisent sur les réseaux sociaux afin de recueillir les témoignages de comportements abusifs liés à la chasse mais surtout à la réformer.
Elles se prénomment Peggy, Mila, Sara, Nadège, Zoé et Léa. La plupart originaires du Lot et étudiantes. Il y a encore quelques semaines, la chasse n’avait jamais été réellement pour ces jeunes femmes d’une vingtaine d’années un sujet de préoccupations. "Moi j’avais banalisé la présence des chasseurs, explique Mila. Je ne me posais pas la question de savoir si c’était normal ou pas". "Je n’étais pas rassurée pour aller me balader que ce soit la semaine ou le week-end, rajoute Peggy. Cela nous arrive à toutes d’entendre les coups de feu, de les entendre s’approcher. Plusieurs fois, j’ai fait demi-tour et je suis rentrée chez moi. Mais dans le même temps, je me disais qu’ils devaient être formés et qu’il était impossible qu’ils tirent sans voir ce qu’ils étaient en train de viser. Je faisais aveuglement confiance. Cela a changé avec la mort de Morgan".
Recueillir les témoignages de comportements abusifs liés à la chasse
Le 2 décembre 2020, Morgan Keane, est abattu par un chasseur, près de son domicile dans le Lot alors qu’il coupait du bois. Près d’une semaine plus tard, les six amies du jeune homme de 25 ans décident de créer un compte Instagram, une page Facebook puis un compte Twitter afin de "recueillir et de relayer les témoignages de comportements abusifs liés à la chasse". Au fil des jours, les histoires affluent commençant toujours par l’expression "un jour". "Un jour, des chasseurs dans le jardin de mes voisins". "Un jour, notre chat retrouvé mort". "Un jour, deux balles de gros calibre sur la voiture". "Un jour, un chasseur s’est vanté d’avoir fait exprès de tirer près d’un mec qui faisait du VTT".
Le nombre de récits reçu quotidiennement, parfois une vingtaine par jour, et d’abonnés ne cessent d’augmenter (3756 abonnés au 21 janvier sur Instagram. Facebook plus de 3000 personnes abonnées). Pour Sara, c’est avant tout la teneur des témoignages qui les étonne. "Nous ne nous attendions pas à recevoir des messages pareils et qu’il y ait autant d’histoires et de choses plus ou moins graves à raconter". "Les gens dans leurs témoignages ont très peur et se sont finalement confiés à nous. C’est pourquoi la plupart souhaite rester anonymes" constate Nadège. "Moi je ne m’attendais pas à ce que cela touche autant de monde qui soient urbains. Par exemple à Paris, il y a plein d’amis à nous qui sont sensibilisés à ces questions-là, alors qu’ils n’y étaient pas du tout" assure Mila.
Pas une interdiction mais une réforme
Ce qui devait s’avérer être un simple "état des lieux" a pris rapidement une toute autre ampleur. "Ce que l’on attend c’est une réforme de la chasse. Pas une interdiction mais une réforme explique Sara. Principalement, ce qui nous interpelle c’est la force des armes et la facilité d’obtention du permis".
Leur principal credo : faire évoluer la chasse en matière de sécurité. Et depuis la disparition de Morgan, elles y consacrent quasiment toutes leurs journées. Revoir les périmètres de sécurité, préparer et mieux informer la population de l’organisation des battues, définir des distances acceptables autour des habitations et des routes. "Il faut que nous partagions l’espace" estime Nadège. Et que les zones rurales redeviennent à leurs yeux des zones de sécurité.
Elles ont d’ailleurs rédigé une tribune (ci-dessous) afin de mieux expliquer la nécessité de leur démarche. Mais la chasse est-elle utile ? Sur ce point les voix se font dissonantes. Le débat au sein du groupe a toujours lieu. "On se pose des questions" en sourit l’une d’elle.
Tribune Des Amies de Morgan Keane by France 3 Tarn on Scribd
Apporter un large soutien
Mi-janvier, les jeunes femmes ont obtenu à ce qui ressemble à une première victoire. Le procureur de la République du Lot appliquera désormais une "politique pénale tolérance zéro" concernant la chasse, là où beaucoup d’affaires sont classées sans suite, des infractions jamais sanctionnées et où cette peur des représailles poussent de nombreuses victimes à ne pas porter plainte. "Pour moi, j’espère que ces annonces du procureur ne sont qu’un début. Je suis heureuse qu’il ait fait ce premier pas" se réjouit Peggy.
Une prise de position qui à leurs yeux nécessite un large soutien dans ce département rural où le monde de la chasse pèse lourd. Peggy, Mila, Sara, Nadège, Zoé et Léa ont lancé un appel à participer à la manifestation organisée le 23 janvier à Cahors par l’association Vivre sereinement en campagne. Une manifestation pour rassembler le plus grand et rappeler que Morgan Keane aurait eu 26 ans, dimanche 24 janvier.