"Si la gauche pense qu'il y a 40 % de fascistes dans ce pays, elle ne comprend pas la France" selon l'élu socialiste Rémi Branco

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En Occitanie, le RN arrive en tête dans tous les département lors des élections européennes 2024. Cependant, à Toulouse et Montpellier, la gauche l'emporte largement. Le socialiste Rémi Branco souligne cette divergence entre les zones rurales et urbaines dans son essai "Loin des villes, loin du coeur". Il appelle la gauche à se reconnecter avec son électorat rural.

La claque est rude pour la gauche après les résultats des élections européennes qui ont vu le Rassemblement national (RN) arriver en tête dans la plupart des régions françaises. Pour Rémi Branco, vice-président du conseil départemental du Lot et auteur de l'essai "Loin des villes, loin du cœur", ce scrutin sonne comme un avertissement pour les partis de gauche, trop déconnectés selon lui des réalités vécues par les habitants des zones rurales et périurbaines.

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Dans cette interview, il appelle à un "Front populaire" rassemblant la gauche autour de propositions concrètes pour répondre aux attentes de ces territoires délaissés.

France 3 Occitanie : Comment réagissez-vous à cette victoire du Rassemblement National et à la dissolution de l'Assemblée nationale annoncée par le Président de la République ?

Rémi Branco : Sur les résultats d'hier, je crois malheureusement, qu'ils sont clairs. Nous avons une grande partie des Français partout sur le territoire, mais singulièrement dans des communes rurales, qui ont le sentiment qu'aujourd'hui, le pouvoir en place ne fait rien pour eux. Au contraire, qu'il aggrave leur quotidien, qu'il aggrave leur situation.
Et ils ont voulu adresser un message clair. "Nous ne voulons plus de ce gouvernement. Nous ne voulons plus de cette politique." Et malheureusement pour eux, le vote qui permettait de se faire entendre, c'était le vote RN. Quelque part, ce qui est terrible, c'est que le président de la République leur a donné raison. En faisant la dissolution, il leur a dit "Vous avez bien eu raison de penser qu'il fallait voter RN pour que les choses bougent et que je change, puisque voilà, allez-y, maintenant, vous pouvez voter". Donc c'est terrible car le président Macron donne raison à tous ceux qui pensaient qu'en mettant un bulletin RN, ils pourraient renverser la table. La table est renversée. La question, c'est comment on reconstruit un meuble avec dedans de quoi tenir la République et nos valeurs ?

France 3 Occitanie : En Occitanie, le grandes villes comme Montpellier et Toulouse ont voté à gauche (PS ou France Insoumise) ce qui n'est pas le cas justement des territoires ruraux. Est-ce pour vous la concrétisation du constat que vous établissez dans votre ouvrage "Loin des villes, loin du coeur" ?

Rémi Branco : Oui, c'est effectivement malheureusement la suite logique des choses. C'est-à-dire que nous avons une gauche qui a tendance, et c'est notamment le cas de la France Insoumise et d'une partie des écologistes, à s'adresser principalement aux habitants des zones urbaines parce qu'ils estiment que leur électorat est là. Ce qui d'ailleurs, leur donne raison puisqu'ils ont fait des bons scores dans les zones urbaines.
Pendant ce temps, vous avez toute une part de la population qui habite des zones rurales et qui a l'impression que la gauche n'est pas là pour s'occuper d'eux, ni écouter les problèmes auxquels les gens sont confrontés quotidiennement : se déplacer, le coût de l'énergie, les déserts médicaux. Si la gauche s'occupait de traiter ces sujets, j'en suis sûr, elle regagnerait les suffrages dans les campagnes. Mais pour ça, il faut que la gauche reparte du réel, qu'elle reparte de ces gens-là, et qu'elle sorte d'une vision très urbaine. Finalement, la gauche devient le parti des bobos, des centres-villes pour qui tout va bien.

France 3 Occitanie : Avec ce score historique, avez-vous l'impression que votre camp a eu une prise de conscience de cette situation ?

Rémi Branco : La gauche prend tardivement conscience du problème, mais elle ne l'a pas encore totalement compris. Malheureusement, on parle de Front Populaire, mais aujourd'hui, les classes populaires trouvent leur débouché politique chez le RN. Tant qu'on ne comprend pas que, bien sûr, il y a un rapport tendu à l'immigration chez beaucoup de Français, mais qu'au-delà de ça, il y a un profond sentiment d'abandon, et que ce profond sentiment d'abandon se traduit par un vote RN, alors on n'a rien compris. Si la gauche pense qu'il y a 40 % de fascistes dans ce pays, elle ne comprend pas la France. 

Aujourd'hui, si nous avions des services publics qui fonctionnaient dans les campagnes, des hôpitaux fiables, des transports sûrs. Si nous avions la capacité de se déplacer sans que le carburant coûte 2 euros, s'il y avait des alternatives de transport et des médecins à proximité, le score ne serait pas le même. Je suis persuadé qu'en repartant des problèmes réels des gens dans la ruralité, qui ne sont pas les mêmes que dans les zones urbaines, nous regagnerons leur confiance. Tant que l'on ne s'en occupe pas, ils chercheront la solution ailleurs. Malheureusement, c'était le vote RN ce week-end, et cela peut se reproduire dans trois semaines.

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France 3 Occitanie : Pour vous ce vote RN n'est pas un signe contre l'immigration, mais plutôt contre les "élites" ?

Rémi Branco : Le vote RN a plusieurs dimensions. Il y a eu une sédimentation progressive. Vous avez d'abord les années Jean-Marie Le Pen, où la haine de l'immigré et de l'étranger était le principal moteur, avec un RN très identitaire. Puis, un RN s'est développé dans le nord et l'est de la France, bénéficiant de la désindustrialisation et du chômage. Il y avait un mélange de désespoir et de sentiment que les immigrés prenaient leur travail. Ces phases d'ascension du FN étaient basées sur la xénophobie.

Aujourd'hui, ceux qui permettent au RN d'être majoritaire ne viennent pas pour des raisons d'immigration ou de la haine de l'islam, mais parce qu'ils se sentent abandonnés. Les services publics sont partis, et les seuls qui parlent de leurs problèmes, c'est le RN. Dire "Taxons les riches" ou "union de la gauche" ne change pas leur vie. Ils attendent que la gauche parle de leurs problèmes. Ces 10 points supplémentaires qui font gagner le RN ne reposent pas sur le racisme, mais sur le sentiment que seul le RN leur permet d'être entendus. Quand le président leur donne raison en faisant la dissolution, ils disent "Pourquoi arrêter ?" Ça a marché une fois, donc ils continueront dans 3 semaines.

France 3 Occitanie : Comment percevez-vous les prochains jours et "union de la gauche" ?

Rémi Branco : L'union de la gauche doit se faire sur un rassemblement clair des priorités et des idées, avec un rapport à la laïcité et au communautarisme clair, et un comportement démocratique constructif. Il faut surtout se concentrer sur la transformation de la vie des gens. On ne peut pas revenir au modèle social des années 70. Il faut apporter des solutions, des projets concrets.

Je suis d'accord avec ce que proposent Olivier Faure et François Ruffin : créer un Front populaire sur la base de 10 à 15 propositions fortes, réalisables en 2-3 ans, qui changeront concrètement la vie des gens. L'enjeu est que la gauche revienne au pouvoir et le garde. Il est important de choisir intelligemment les candidatures de cette union. Une candidature écologiste ou Insoumise aura du mal à gagner dans des territoires ruraux où le vote RN est fort. Inversement, les candidatures écologistes ou LFI ont du poids dans les centres urbains. Il faut que la gauche s'adapte aux territoires et choisisse des candidats qui sachent parler aux habitants.

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