Le député Olivier Damaisin a remis un rapport sur la prévention du suicide chez les agriculteurs. Mercredi 2 décembre, il a été remis au ministre de l'Agriculture en espérant des décisions rapides. Un mal-être global et multi-factoriel qui pousse tous les jours un agriculteur au suicide.
Le mal-être du monde agricole n'est pas nouveau. Mais le film d'Edouard Bergeon "Au nom de la terre" a sans doute servi de révélateur et d'exutoire. Le long métrage a connu un immense succès, notamment dans les campagnes. Il a aussi été projeté à l'Assemblée Nationale, au Sénat, à Matignon et à l'Elysée. Un électrochoc pour Emmanuel Macron qui a demandé un rapport au député Olivier Damaisin.
Le député Olivier Damaisin en mission
Lors de sa visite au salon de l'Agriculture, Emmanuel Macron interpelle Olivier Damaisin. Le député LREM du Lot-et-Garonne habite Engayrac, petit village de 145 habitants. Ses beaux-parents et grands parents sont agriculteurs. En quelques mois, il auditionne plus de 300 personnes : des agriculteurs (dont la mère du réalisateur Edouard Bergeon), mais aussi des institutionnels, des personnes qui travaillent dans le secteur agricole. "Ma mission était de faire un état des lieux sur le mal-être agricole et les solutions que l'on pourrait y apporter. J'avais été alerté par beaucoup d'associations. Il y a même un agriculteur en détresse de la Manche qui m'a appelé au cours de mon travail. Nous avons discuté plusieurs heures. J'ai cru que j'avais réussi à le rassurer. Il m'a rappelé quelques jours plus tard en me disant qu'il allait se suicider. Il voulait me lire sa lettre". Le député LREM alerte alors la Mutualité Sociale Agricole (l'équivalent de Sécurité Sociale pour les agriculteurs). Plusieurs intervenants éviteront le pire. "Ce qui m'a frappé, poursuit le député, c'est que sa femme n'était pas au courant".Un mal être global et multi-factoriel
S'il est très difficile d'avoir des chiffres précis sur le suicide des agriculteurs officiellement, il y en a eu 372 en 2015. Soit 1 par jour. Le député s'étonne au passage qu'il n'y ait pas de données plus récentes. Pour faire simple, un agriculteur travaille en moyenne 70 heures par semaine. A la fin du mois, il ne lui reste souvent pas grand chose. Parfois 500€, parfois aussi des dettes qui s'ajoutent. Qui voudrait aujourd'hui travailler autant pour si peu ? Il y a donc un problème financier que la crise actuelle est venue aggraver.S'ajoute aussi la pression de l'héritage familial. Cette exploitation qui est dans le giron de la famille depuis des décennies, qui a fait vivre plusieurs générations et qui maintenant ne le permet plus. Comment se résoudre à la vendre, à dilapider un héritage? Ce lien à la terre est fort, obsédant, paralysant. Comment rembourser aussi la part que l'on doit aux frères et sœurs depuis le partage des biens lorsqu'il n'y a plus de marge?
Asphyxiés économiquement, le monde agricole ne peut plus vraiment compter sur le soutien de la population. L'agribashing pèse lourd dans la balance. Mal aimés, vilipendés sur la place publique et dans la presse, tenus responsables de la pollution, les agriculteurs portent le poids de la culpabilité. Et ce, d'autant plus qu'ils sont de plus en plus isolés au sein de la cellule familiale, que le conjoint doit souvent travailler à l'extérieur pour que le ménage puisse vivre et que la mécanisation a mis fin à l'entraide.
Autant de points qui sont listés dans ce rapport remis hier 1er décembre au Premier Ministre.
Des dispositifs déjà existants
En 2012, l'Etat demande de mettre en place une cellule de veille sur l'agriculture fragilisée. Les chambres d'agriculture reçoivent une délégation de l'Etat. Une personne est embauchée pour aller sur le terrain avec pour mission d'écouter et de trouver des solutions. 5 ans plus tard, un arrêté ministériel demande l'instauration d'une cellule de crise par département. 2 fois par trimestre, le Comité d'Accompagnement des Agriculteurs Fragilisés (COAAF) se réunit pour faire le point. On y retrouve du personnel de la chambre d'agriculture mais aussi de la MSA, des banques, coopératives agricoles, des représentants de différents organismes départementaux et autres acteurs du monde agriocole concernés. "Nous agissons en amont pour détecter et trouver des solutions. Quand nous avons connaissance d'un cas -et si l'agriculteur est d'accord- on présente sa situation à cette cellule et on cherche des solutions en commun. En aval, il y a aussi les Associations Départementales des Agriculteurs en Difficultés (ADAD) qui peuvent les accompagner devant les tribunaux par exemple, " précise la présidente du COAAF Marie-Blandine Doazan.Tous les ans, la chambre d'agriculture de la Haute-Garonne est saisie d'une centaine de cas. La moitié sont exposés devant la cellule de crise. Elle a mis en place un numéro d'appel.
Depuis plusieurs années, le dispositif national AGRI'ECOUTE est opérationnel 24/24h et 7/7j. En composant le 09 69 39 29 19, les agriculteurs en détresse peuvent s'adresser à un psychologue. "Nous avons accompagné plus de 90 personnes sur les 4 départements (Haute-Garonne, Hautes-Pyrénées, Gers et Ariège), déclare la présidente de la MSA Midi-Pyrénées Sud. Nous avons tout un maillage sur le territoire, tout un réseau de sentinelles pour nous alerter. Il faut enlever ce tabou du mal-être pour trouver des solutions." Laurence d'Aldéguier est elle-même agricultrice à Montesquieu-Lauragais. "Dans notre région, les signaux d'alerte sont inquiétant. Les récoltes n'ont pas été bonnes cette année. L'agro-tourisme a été touché de plein fouet. "
Joëlle Dupuy est la coordinatrice des psychologues de la MSA. Ils sont 25 sur la zone Midi-Pyrénées Sud. "Il faut recréer du lien et du collectif. L'agriculteur souvent esseulé doit pouvoir se libérer, reprendre confiance en soi. La MSA prend en charge 5 séances de psy renouvelables une fois. Mais il faut être complémentaires avec d'autres partenaires car le psy ne fait pas tout. " Une cellule de prévention du mal-être s'est créée en 2012 en lien avec Agri'Ecoute. Tous les mois, le point est fait sur chaque situation et les agriculteurs sont appelés régulièrement au téléphone.
Le nombre de dossier traîtés a doublé entre 2018 et 2019. Le mal-être touche tous les secteurs (créaliers, éleveurs, producteurs laitiers, maraîchers, etc) et toutes les tranches d'âge, même si les 45-54 ans sont les plus touchés. Il est temps d'agir.
Que va devenir le rapport Damaisin ?
Pour Olivier Damaisin, tous ces moyens sont insuffisants et pas assez connus. Le député LREM du Lot et Garonne, veut mettre en réseau et coordonner tout ce qui existe. "Beaucoup d'agriculteurs hésitent à appeler la MSA car souvent, ils doivent de l'argent à cet organisme. A qui s'adresser si l'agriculteur est en dificulté et ne veut pas agir ? Je propose qu'il y ait un référent départemental rattaché à la Préfecture ou à la chambre d'agriculture. Il doit être rémunéré avec une équipe et un réseau."Le député veut aussi instaurer un Observatoire National des Exploitations. "Il y a eu une série de suicides dans le Gers. Dernièrement, 9 agriculteurs sont passés à l'acte en Saône-et-Loire. Mais on manque de données et d'explications sur la nature de ces actes. " Parmi les autres mesures : diminuer la pression de l'héritage foncier en permettant à un agriculteur de continuer à travailler les terres qu'il a dû se résoudre à vendre, voire de les racheter plus tard grâce à un dispositif mis en place avec des banques ou des organismes agricoles.
Une loi Damaisin? Je m'en fous. Il faut agir vite!
Reste à savoir comment tout ceci peut prendre forme. Car les rapports sont souvent longs à déboucher sur des mesures concrêtes, quand ils ne sont pas enterrés. Le député veur agir vite. "Dès cet après-midi (mercredi 2 décembre) je rencontre le Ministre de l'Agriculture Julien Denormandie. Une réunion qui va permettre dès à présent de prendre les dispositions les plus urgentes, sans attendre une loi."
Olivier Damaisin a aussi été chargé par le président de la République du dossier sur la revalorisation du niveau des retraites des agriculteurs. Selon lui, tout agriculteur qui a exercé son métier sans une autre activité en parallèle touchera 85% du SMIC à la retraite, soit 1025€ mensuels (contre environ 730€ à l'heure actuelle). Une vraie avancée qui devrait se concrétiser dans les prochains mois de 2021.
A défaut d'être sécurisés pendant leur activité, les agriculteurs auront au moins une perspective pour leur retraite.