Que ce soit légal ou pas, en cette période de confinement, les épandages de pesticides se rapprochent des zones habitées comme des cours d’eau. Une situation que dénonce, une fois de plus, la fédération d’associations France Nature Environnement en Occitanie.
Depuis le 1er janvier 2020, après bien des polémiques, de nouvelles distances de sécurité ont été instaurées entre les zones traitées avec des produits phytopharmaceutiques par les agriculteurs et les bâtiments habités pour protéger les populations riveraines.
Un arrêté a donc instauré des limites de 20 mètres, 10 mètres ou 5 mètres, variant selon les produits et le mode d'administration utilisés.
Mais la crise du Coronavirus a fait changer la donne : les agriculteurs peuvent à nouveau pulvériser ces produits phytopharmaceutiques plus près des habitations.
De quoi inquiéter bon nombre de riverains qui vivent à proximité immédiate des champs ou des vignes, en Occitanie.
Une dérogation pour traiter plus près des habitations
En effet, sur le site du ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation, on peut lire que désormais "Certaines de ces distances ( 20, 10 ou 5 mètres) peuvent être adaptées lorsque le traitement est effectué dans le cadre d’une charte d’engagement de l’utilisateur".
Par dérogation, jusqu’au 30 juin 2020, la réduction des distances à 5 et 3 mètres sera possible dans les départements dès lors que la concertation aura été lancée – sans attendre sa validation -, et que les agriculteurs utilisent du matériel performant tel que défini par arrêté ministériel.
En clair, explique le coordinateur de France Nature Environnement LR, "il suffit qu'un projet de charte entre élus locaux et syndicats agricoles soit en cours pour s'asseoir sur la législation".
Olivier Gourbineau est écoeuré par ce nouveau tour de passe-passe qui, selon lui, donne encore plus le champ libre aux agriculteurs pour utiliser des pesticides au plus près des habitations jouxtant les champs.
"Certains maires avaient tenté d'interdire par arrêté l'usage de pesticides à moins de 150 mètres des habitations. L'arrêté de janvier dernier avait encore réduit les distances de 20 , voire 5 mètres, ce qui était déjà ridicule; mais là, on est encore plus près !!"On déroge à ce qui était déjà une dérogation, c’est scandaleux !
Danger pour les cours d'eau
Si les FNE du Languedoc-Roussillon et de Midi-Pyrénées ont engagé depuis des mois un véritable bras de fer avec plusieurs préfectures d'Occitanie pour préserver les cours d'eau de la pollution aux pesticides, ce qui se passe en ce moment au bord des ruisseaux est encore plus inquiétant.
Plusieurs membres de la FNE nous ont fait remonter des observations avec photos à l'appui : des pesticides et des herbicides sont utilisés dans les champs jusqu'au bord des ruisseaux, ils se déversent dans l'eau en toute illégalité ! explique Olivier Gourbineau.
Le phénomène n'est pas nouveau mais il pourrait bien s'accentuer en cette période où nombre de gardes de l'environnement - à l'instar des agents de l'Office Français de la Biodiversité - sont moins nombreux à patrouiller sur le terrain à cause du confinement général.
Une crainte qui n'a pas lieu d'être pour Loïc Obled, le directeur général délégué "Police, Connaissance, Expertise" du nouvel Office de la Biodiversité :
Certes, une majorité des agents de l'OFB est confinée en respect des décisions gouvernementales, mais la police de l'environnement n'a pas pour autant déserté le terrain. Au contraire !
"Nous avons décalé dans le temps les contrôles programmés non-urgent, comme dans le domaine médical. Cela nous a libéré du temps pour lutter contre les dommages écologiques. En Occitanie, comme partout en France, depuis le début du confinement , nous sommes intervenus sur les pollutions liées aux épandages de produits phyto-sanitaires, également pour des pollutions industrielles ou accidentelles dans les cours d'eau" explique Loïc Obled.
Selon les informations collectées par l'OFB, pour le moment, il n'y aurait pas plus de pollutions aux pesticides signalées dans les cours d'eau que les années passées.
Des ruisseaux rayés de la carte
La FNE a attaqué plusieurs préfectures d'Occitanie devant les tribunaux administratifs pour tenter de réduire les quantités de pesticides dans les milieux aquatiques et par conséquent la contamination des captages d'eau potable.
"Il faut remonter à 14 ans en arrière pour comprendre cette affaire" explique Olivier Gourbineau qui est aussi juriste de formation.
En 2006, pour faire face à la contamination généralisée de nos cours d’eau, un arrêté ministériel a imposé des zones de non traitement (ZNT) : c'est à dire des aires en bordure des points d’eau sur lesquelles il est interdit d’épandre des pesticides.
Cet arrêté concernait l’ensemble des éléments du réseau hydrographique de la carte de l’IGN, "une carte incomplète" pour la FNE mais qui permettait une protection minimale des points d’eau.
Le hic, c'est que cet arrêté a été modifié en mai 2017, ce qui a permis à certaines préfectures de se référer à une carte réduite et donc "moins contraignante pour les agriculteurs".
Conséquence : de nombreux cours d'eau avaient tout simplement disparu.
40 contentieux en cours
Au total dans l'hexagone, France Nature Environnement a déposé une quarantaine de plaintes contre autant de préfets.
La justice lui a déjà donné raison dans l'Aude et les Hautes-Pyrénées.
Et nous sommes en passe d'obtenir gain de cause dans le Gard ! En fait, à chaque fois qu'on attaque au tribunal administratif sur ce sujet, on gagne... se réjouit Olivier Gourbineau.
Des victoires liées au principe de la non-régression, comme on pouvait le lire dans le jugement du 21 janvier 2020 rendu par le tribunal administratif de Pau.
"A la demande d’une partie de la profession agricole, la préfète (des Hautes-Pyrénées) avait enlevé de la carte des cours d'eau tous les canaux bétonnés de la vallée de l’Adour. (...) Exclure à dessein des kilomètres de cours d'eau et des milliers de mètres cubes d'eau d'une réglementation ayant pour objet de préserver la ressource et les milieux des pollutions, c'était une hérésie ! » affirmait un communiqué de FNE Midi-Pyrénées.
Considérant qu’il méconnaissait le principe de non-régression, les magistrats du TA de Pau ont donc annulé l’arrêté préfectoral définissant les points d’eau dans le département des Hautes-Pyrénées.