La campagne s’annonce comme une des plus ouvertes de l’histoire du département. Difficile de désigner un favori entre la gauche, les Républicains et le Rassemblement national. Le scénario le plus probable d’ailleurs, c’est qu’aucun camp n’aura seul la majorité.
Depuis la Libération, la gauche et la droite ont alternativement dirigé le département avec des majorités toujours suffisantes pour gouverner. Mais depuis la Présidentielle de 2017, les grands partis traditionnels sont en crise. Localement, ils résistent mieux qu’au national mais leurs scores sont néanmoins en baisse, ils étaient même en chute libre aux dernières européennes de 2019. Malgré l’élection de trois députés (sur quatre circonscriptions), la République en marche n’a pas réussi à s’implanter. C’est, au contraire, le Rassemblement national qui est devenu la première force du département. En termes de voix mais pas encore en nombre d’élus.
Après l’élection de Louis Aliot comme député en 2017 puis comme maire de Perpignan l’an passé, quelle sera la dynamique du RN dans quelques jours aux départementales et dans quelle mesure, l’élection de conseillers départementaux d’extrême-droite troublera-t-elle l’alternance des partis traditionnels à la tête de l’exécutif ? Telles seront les clés de l’élection dans les Pyrénées-Orientales, un département qui sur bien des plans fait figure de laboratoire.
Une gauche divisée qui mise sur son implantation
La gauche qui gère le département depuis 1998 apparaît bien affaiblie cette année. Affaiblie et divisée. Les Verts font bande à part aux départementales comme aux régionales, la France insoumise également. Réduite à ces composantes historiques (PS, PC et radicaux de gauche), la majorité de gauche sortante n’a donc plus le vent en poupe. Si on totalise les résultats de ces formations aux dernières élections européennes, on reste nettement en dessous des 10% dans les Pyrénées-Orientales. Loin, très loin, des scores d’autrefois.
Le PS a énormément de relais, ce sont tous les gens qui travaillent depuis vingt ans pour le Conseil départemental et qui, bien évidemment, lui donnent un tapis pour résister aux chocs
Face à ce déclin, la majorité sortante a choisi de miser sur les sortants : les deux tiers de ses élus brigueront en effet un nouveau mandat. Quant à la présidente actuelle du département, Hermeline Malherbe a quitté un canton perpignanais incertain pour le canton des Aspres beaucoup plus sûr et pour se porter candidate ensuite à sa propre succession à la tête du département. Selon le politologue Nicolas Lebourg, l’implantation locale de la gauche pourrait se révéler déterminante : « Le PS a énormément de relais, ce sont tous les gens qui travaillent depuis vingt ans pour le Conseil départemental et qui, bien évidemment, lui donnent un tapis pour résister aux chocs ». Olivier Rouquan confirme : « Les sortants rassurent, ils sont connus et identifiés, ils ont un bilan. Et un bilan, c’est aussi des ressources distribuées, des réseaux tissés ». Et Nicolas Lebourg de conclure dans un sourire : « Un bookmaker peut miser sur le PS dans ce département : il devrait être faible mais il peut gagner encore »
Une droite affaiblie qui cherche son identité
« Il y a quelques mois, les pronostics allaient dans le sens d’une victoire de la droite et d’une alternance dans les P-O, explique Olivier Rouquan, mais je pense qu’il faut être beaucoup plus prudent aujourd’hui ». Dans un département où Jean Castex menait les candidats de l’UMP aux élections précédentes de 2015, on aurait pu imaginer une alliance entre les amis d’hier du Premier Ministre et ceux d’aujourd’hui, une alliance qui aurait fait de ces deux formations les grands favoris de cette élection.
Mais l’ancien maire de Prades a eu beau œuvrer en coulisse, aucun accord n’a pu être trouvé entre LR et LREM. Malgré des discussions longues et intenses, la proximité de la présidentielle a empêché tout rapprochement même local.
Il y a quelques mois, les pronostics allaient dans le sens d’une victoire de la droite et d’une alternance dans les P-O mais je pense qu’il faut être beaucoup plus prudent aujourd’hui
Les Républicains ne pourront donc compter que sur leurs propres forces. Des forces en chute libre lors des derniers scrutins : en 2017, François Fillon n’était arrivé qu’en quatrième position dans le département tandis qu’aux européennes de 2019, le candidat LR, Xavier Bellamy, avait dû se contenter d’un médiocre 7%. Localement, la droite doit aussi se remettre de la perte de Perpignan en juin dernier lors des municipales.
Pour espérer l’emporter, Jean Sol, le chef de file des Républicains, a choisi de miser sur l’implantation des élus sortants et celle de maires récemment élus. Dans la bataille des idées, le sénateur se revendique comme « homme de droite et homme d’équilibre », capitaine d’une « équipe plurielle compétente et expérimentée ». Ce positionnement empêchera-t-il une partie de l’électorat LR de glisser vers le Rassemblement National ? On le saura le 20 juin. En tout cas, il n’a pas suffi à retenir tous ses candidats : pressenti pour défendre les couleurs de la droite dans le canton Vallée de l'Agly, Gilles Foxonet, maire de Baixas, a préféré au tout dernier moment accepter le soutien de Louis Aliot et du Rassemblement National.
Un scrutin traditionnellement difficile pour le RN
Le Rassemblement national affiche de grandes ambitions dans ces élections départementales. Il rêve de l’emporter en réalisant notamment le grand chelem dans les six cantons perpignanais. Pour arriver à ses fins, le parti de Louis Aliot mise sur les recettes qui ont permis sa victoire à la mairie de Perpignan : la poursuite de la dédiabolisation du mouvement et une politique d’ouverture. Hormis le « débauchage » de Gilles Foxonet, le RN a choisi comme chef de file Alain Cavalière, une personnalité de la société civile, ancien président du Tribunal de commerce. Une demi-surprise seulement. Candidat sur la liste de Romain Grau (LREM) aux dernières municipales, Alain Cavalière avait appelé entre les deux tours a voté pour Louis Aliot.
La faible implantation du RN dans les cantons reste un handicap considérable
« Le fait d’avoir conquis la mairie offre un avantage indéniable, reconnait Olivier Rouquan, c’est ce que l’on appelle une dynamique ». Mais le politologue tempère aussitôt : « la faible implantation du RN dans les cantons reste un handicap considérable». Spécialistes des droites extrêmes, Nicolas Lebourg observe depuis longtemps l’évolution du Front puis du Rassemblement national. Il a souvent comparé la situation de Perpignan à celle de Béziers. « Un an après la victoire de Robert Ménard, il y avait eu aussi des départementales et on avait vu que les listes FN de Béziers se portaient beaucoup mieux mais cela n’avait pas permis de prendre le département. Dans les PO, on devrait avoir un effet Aliot également. De là à prendre le département, il y a un pas ».
Présent dans 16 cantons sur 17 au second tour en 2015, le Front national n’avait eu à l’arrivée aucun élu dans l’Assemblée départementale. Cette année, c’est certain pour tout le monde : il fera mieux. Et si son score le 27 juin ne fait pas de lui un vainqueur, il le placera sans doute dans une position d’arbitre pour un troisième tour qui s’annonce particulièrement ouvert.
Le troisième tour sera décisif
Jusqu’ici, deux camps seulement étaient présents au sein de l’Assemblée départementale, la droite et la gauche, facilitant ainsi la formation de majorité. La droite l’a emporté régulièrement jusqu’en 1998, la gauche sans interruption depuis vingt-trois ans. Mais le déclin des partis traditionnels et l’arrivée probable d’un troisième larron bouleversent l’ordre établi. Quelle que soit la formation qui arrive en tête, il n’est pas du tout certain qu’elle obtienne seule la majorité. « Suivant le rapport de force, on aura une assemblée plus diversifiée qu’aujourd’hui, explique Olivier Rouquan, et lorsqu’on va élire le Président de cette Assemblée, il y aura des négociations et des majorités plus difficiles à obtenir ».
L’élection de ce Président - ce que l’on appelle communément le troisième tour- pourrait donc receler un suspens plus grand encore que les deux premiers tours. Et le critère le plus décisif ne sera pas forcément le nombre d’élus obtenus. « Pour jouer ce jeu des majorités variables, il faut un profil, précise Olivier Rouquan. Il faut un Président – ou une Présidente- qui ait la capacité de discuter avec tout le monde ».
D’autres partis seront présents dans cette élection départementale :
« Le Pays catalan, c’est vous » sera partout
Oui au Pays catalan et Agissons 66 se sont regroupés pour présenter des candidats dans les 17 cantons du département. Leur but est de replacer le Pays catalan au cœur de cette élection. Avec une proposition-phare : changer le nom du département. « Ce serait est un signe fort, justifie Jordi Vera, le chef de file, quand on change le nom, on change aussi le chemin ». Pour ces candidats, fini donc les Pyrénées-Orientales, Sud de France ou encore la 4ème dimension (marque touristique installée par la majorité sortante) et place à une seule marque territoriale et commerciale : le Pays catalan.
Les Verts font entendre leur différence
Au département comme à la région, Europe-Ecologie-les-Verts a décidé de jouer sa propre partition. Des discussions avaient été entamées de longue date- «à notre initiative », précisent toujours les Verts – mais aucun accord n’a pu être trouvé, ni sur le programme, ni sur la répartition des postes. Symbole des divergences : la construction d’un quatrième pont à Céret. Les écologistes s’opposent fermement à cette nouvelle infrastructure programmée par la majorité de gauche du Conseil Départemental.
Les Verts seront présents dans 10 cantons, seuls ou avec Générations.s (le mouvement de Benoît Hamon), parfois aussi aux côtés de la France Insoumise.
La France insoumise toujours plus... insoumise
Les divergences entre la « gauche de gestion » et la France Insoumise semblent de plus en plus irréductibles, tant au plan national, régional que départemental, et aucune discussion n’a été engagée pour un éventuel accord dans cette élection. Le mouvement de Jean-Luc Mélenchon veut porter « une autre ambition de gauche » dans le département. Il le fera seul dans quatre cantons et dans cinq autres en compagnie des Verts.
Une « Union essentielle » encore très discrète
Candidate de dernière minute aux élections régionales, Union essentielle, une liste de citoyens, présente également six binômes aux départementales dans les Pyrénées-Orientales. Des candidats nouveaux en politique qui veulent « remettre le citoyen au cœur de la décision publique par la Démocratie Directe ». Leur chef de file, Anthony Le Boursicaud, éducateur à l’environnement, est également tête de liste aux Régionales
Le Modem présent dans trois cantons
Faute de l’accord espéré avec les Républicains, le Modem investit des binômes dans trois cantons. Le président du Modem 66 sera lui-même candidat dans le canton de la côte Vermeille.
La République en marche… arrière
Malgré l’élection de trois députés (sur quatre circonscriptions) en 2017, LREM reste peu implantée dans les Pyrénées-Orientales et le parti du Président de la République aura œuvré ici jusqu’au bout pour un accord avec la Droite. Les discussions ayant échoué, LREM a renoncé à présenter des candidats à l’exception des sortants Romain Grau et Isabelle de Noell-Marchesan dans le canton de Perpignan-IV. Les Républicains ont tout de même consenti un geste envers le binôme candidat de l’UMP en 2015 : ils ne présenteront aucun candidat face à eux lui facilitant ainsi une éventuelle réélection.
Un débat à suivre en direct
A l’occasion des élections départementales, France 3 Occitanie met en place un dispositif spécial sur tous les écrans du 7 au 16 juin. Les rédactions recevront les chefs de file des principales forces en présence dans les départements.
Lundi 7 juin, sur notre antenne à partir de 22h50, mais aussi dès 14h30 en direct sur notre site internet, nous vous proposons un débat de 52 minutes sur les Pyrénées-Orientales. il sera présenté par Olivier Meyer. Sont invités :
- Hermeline Malherbe (PS)
- Gilles Foxonet (RN)
- Jean Sol (LR)
- Marc Panis (EELV)
- Joan Nou (REG)
- Francis Daspe (FI)