Dénoncer les fake news et leur propagation, tout en en produisant, c'est le parti adopté par Jonas Bendiksen. Son livre "The Book of Veles", présenté au festival Visa pour l'image comme un reportage était en fait faux. C'est l'auteur lui-même qui l'a révélé.
La ville de Veles, en Macédoine, s'est faite connaître pendant la campagne présidentielle américaine de 2016 : la bourgade était alors réputée pour être un haut-lieu de production de "fake news", des informations fallacieuses destinées à semer la confusion ou à tromper les foules.
La ville des "Fake News"
Cette ville est aussi connu dans le monde slave pour avoir été le lieu de la découverte d'un manuscrit, le "Livre de Veles", retrouvée par un soldat de l'armée russe en 1919. Un texte qui raconterait la vie d'un dieu antérieur au christianisme, nommé Veles, qui se caractérise par sa duplicité et son amour du chaos. Les scientifiques aujourd'hui estiment que le document est en fait un faux contemporain de sa pseudo-découverte.
J'ai commencé à me poser la question: combien de temps faudra-t-il avant que nous voyions des "documents photographiques" qui n'ont pas d'autre base réelle que l'imagination du photographe et une puissante carte graphique d'ordinateur ?
Autant d'éléments qui donnent envie à Jonas Bendiksen, un photographe norvégien travaillant pour la prestigieuse agence Magnum,de travailler sur cette ville et la thématique des Fake news. Dans un entretien sur le site de l'agence Magnum, il explique : "J'ai commencé à me poser la question: combien de temps faudra-t-il avant que nous voyions des "documents photographiques" qui n'ont pas d'autre base réelle que l'imagination du photographe et une puissante carte graphique d'ordinateur ? Serons-nous capables de faire la différence ? Est-ce si compliqué à produire ?"
En quelques semaines, Jonas Bendiksen se forme sur son ordinateur. Il achète des modèlisations de personnes en 3D sur internet, qu'il modifie et habille à son gré. Il voyage ensuite à Veles. "Je photographiais juste des endroits vides, des appartements, des bureaux, des parcs, des bancs...tout décor qui me semblait intéressant. J'attendais juste qu'il n'y ait personne dans le cadre," explique l'apprenti faussaire, toujours sur le site de Magnum.
Un faux-livre sur les "Fake News"
La photographe convertit ensuite ses photos en 3D, et y intégre ses faux personnages. Pour le texte de son livre, il utilise une intelligence artificielle capable d'écrire seule. Il la "nourrit" simplement avec autant d'article parus en langue anglaise qu'il le peut sur l'industrie des "Fake News" à Veles. Il obtient ainsi un texte de 5000 mots, dont toutes les citations sont fausses, puisque créées de toutes pièces par un ordinateur.
Lorsqu'il présente son travail à ses collègues de l'agence Magnum, personne ne relève la supercherie. Et le" Livre de Veles" de Jonas Bendiksen , sorti en avril 2021, fait même l'objet d'une présentation et d'une projection dans le cadre de Visas pour l'Image en septembre. Car le photographe n'a révélé sa supercherie qu'après la fin du festival de photojournalisme.
My response to the interview with @Jonasbendiksen published on @MagnumPhotos. pic.twitter.com/SvAU4URvMa
— Jean-Francois Leroy (@jf_leroy) September 20, 2021
Son directeur, Jean-François Leroy s'est exprimé à travers un communiqué sur Twitter. il présente d'abord ses excuses au public : "J'espère que la confiance [du public] n'a pas été abimée par cette rupture involontaire de la promesse que nous faisons chaque année d'exposer les meilleures histoires produites par des journalistes photographes."
Il rajoute : "Une chose est claire : le débat est maintenant lancé et il y aura des discussions. Notre responsabilité envers l'industrie du journalisme photo, comme de nos spectateurs, est d'avoir ce débat à Perpigan lors du prochain festival. [...]"
L'histoire ne dit pas encore si Jonas Bendiksen sera invité à la prochaine édoition de Visa pour l'image pour expliquer son travail.