Face à la sécheresse, notamment dans les Pyrénées-Orientales, les syndicats agricoles sont en alerte. Elle vient s'ajouter aux difficultés déjà existantes chez les agriculteurs. Des dispositifs comme celui des "sentinelles" permettent de repérer et d'orienter des agriculteurs en situation de mal-être ou de détresse.
Une profession marquée par la solitude, directement impactée par les aléas climatiques, où le repos est quasi inexistant. Autant de facteurs qui font qu'aujourd'hui, les agriculteurs sont la catégorie socio-professionnelles où l'on enregistre le plus de suicide, devant les forces de l'ordre.
En 2017, l'une de nos équipes avait rencontré un agriculteur du Gers qui avait tenté de mettre fin à ses jours avant d'être pris en charge par le Samu social agricole.
Selon la sécurité sociale agricole (MSA), ses assurés de 15 à 64 ans ont un risque de mortalité par suicide supérieur de 43,2% par rapport aux assurés des autres régimes dans cette même tranche d'âge. Pour les personnes de 65 ans et plus, le risque de suicide est deux fois plus élevé. Autrement dit : un agriculteur se suicide chaque jour en France selon Solidarité Paysans.
Toujours d'après la mutualité, les filières bovines du nord et du nord-ouest de la France seraient les plus concernées par ce mal être.
Difficile en effet de voir le bout du tunnel quand les difficultés s'accumulent. Autre mal du siècle : la reprise des exploitations n'a jamais été aussi problématique. On compte aujourd'hui que 400 000 agriculteurs contre 1,2 million dans les années 1990.
La difficile levée des tabous sur le suicide
Tout aussi préoccupant, et on le voit ces dernières semaines dans de nombreux médias : la sécheresse se fait ressentir, même en hiver. Dans les Pyrénées-Orientales, 2022 est l'année la plus sèche jamais enregistrée depuis 120 ans. Deux fois moins de pluie que la normale. "C'est un facteur aggravant pour le moral de nos agriculteurs. Depuis une semaine, ils m'appellent en détresse à cause de l'eau et on ne sait pas comment les aider" s'inquiète Nathalie Capillaire, la directrice de la FDSEA du département.
Le syndicat fait de son mieux pour accompagner les professionnels du secteur. Par exemple, quand un épuisement est détecté, elle renvoie vers le dispositif d'"aide au répit", permettant aux professionnels de bénéficier de vacances ou encore de se faire remplacer sur leur exploitation.
Malheureusement, lorsque le repos ne suffit plus et que le mal être demeure, la tâche s'avère compliquée face au tabou de la santé mentale. Nathalie Capillaire explique que "dans ce milieu, les gens n'en parlent pas et cachent beaucoup leur jeu".
"Les crises suicidaires sont souvent multifactorielles"
Alors, comment repérer un agriculteur qui ne va pas bien ? Sophie Bonnery, présidente de la MSA grand Sud, elle-même viticultrice dans l'Aude, a un début de réponse : "Les crises suicidaires sont souvent multifactorielles : il y a à la fois des problématiques économiques et personnelles". Pour repérer ces souffrances, des délégués cantonaux sont donc formés pour détecter les signes de mal être. "Ils sont vigilants par exemple quand un éleveur ne nourrit plus ses bêtes ou quand un viticulteur ne travaille plus correctement la vigne".
Depuis un peu plus de deux ans maintenant, la mutuelle des agriculteurs forme en effet des membres de son personnel pour repérer ces situations de mal être, qu'elle appelle des "sentinelles". Il en existe deux types : celles de terrain, qui établissent le premier contact avec les agriculteurs, et celles qui prennent en charge la personne dans le besoin. Ces dernières sont généralement des travailleurs sociaux exerçant dans le secteur médical. On en dénombre 76 dans l'Aude et les Pyrénées-Orientales.
Un dispositif qui doit continuer de se faire connaître
Parmi ces sentinelles, Danielle Goeytes, retraitée de la MSA et habitante des Pyrénées-Orientales. Elle a dédié 42 ans de sa vie active au monde agricole. "A la base, j'étais surtout sollicitée pour de l'administratif".
Au fur et à mesure, je me suis rendue compte que l'on ne parlait pas assez de la détresse du monde agricole. On a beau y baigner dedans, on y pense pas forcément
Danielle Goeytes, sentinelle
Si elle dit ne pas avoir été confrontée à un agriculteur en situation de détresse psychologique depuis sa formation, elle mesure l'importance de l'humain derrière l'exploitation. "Une personne est venue me voir pour constituer un dossier. Là, c'était pas la déléguée MSA qu'elle venait chercher, c'était la connaissance amicale. Elle est venue pour un conseil et forcément on en est arrivé à évoquer un certain mal être qu'elle pouvait ressentir. J'ai donc pu la rediriger directement vers les bons services".
Aujourd'hui, MSA et syndicat tentent de faire connaître au maximum le dispositif, "malheureusement les délégués ne sont peut-être pas assez connus et reconnus". Pour autant, "les démarches individuelles sont extrêmement difficiles. Je n'irai pas taper aux portes des gens comme ça". Le chemin semble encore long, avec peut-être un système à repenser pour que les agriculteurs français n'en arrivent pas à une telle détresse …